Le retour de l’inflation forte a vu la réapparition du débat sur le coût d’une politique désinflationniste, très vif au début des années 80. Il porte sur le ratio de sacrifice – la perte de production comparée à sa tendance pour une baisse donnée de l’inflation – et si l’atterrissage sera brutal ou se fera en douceur. Les termes du débat ont évolué dernièrement et des commentateurs s’interrogent désormais sur une possible « désinflation immaculée » : la Réserve fédérale parviendrait à ramener l’inflation à sa cible grâce à une politique monétaire restrictive avec un faible coût en matière de chômage. Ceci suppose une baisse des tensions dans le marché du travail ainsi que de la croissance des salaires. Néanmoins, cela prendra du temps. Par ailleurs, l’économie américaine se porterait mieux si les postes vacants étaient pourvus. Clairement, l’inconnue de l’évolution future du taux de chômage demeure.
Au début des années 1980, alors que les banques centrales s’efforçaient de maîtriser l’inflation, les chercheurs ont largement débattu de la perte de croissance due à une politique désinflationniste. La thèse était la suivante : un resserrement monétaire agressif entraînerait une baisse de l’activité économique, augmenterait le taux de chômage, et diminuerait la croissance des salaires et celle de l’inflation.
On considérait qu’une augmentation temporaire du taux de chômage au-dessus de son taux naturel, ainsi qu’une perte de production par rapport au niveau tendanciel étaient le prix à payer pour faire reculer l’inflation à un niveau acceptable. Ce coût est représenté par le ratio de sacrifice, avec au numérateur, la somme des pertes de production – les déviations entre la production effective et la production au plein emploi ou tendancielle – et, au dénominateur, la variation de l’inflation tendancielle sur une période donnée, soit la différence entre le pic et le creux[1].
En 1994, Laurence Ball, professeur d’économie à l’université Johns Hopkins, a déclaré que les «désinflations constituent une importante cause de récession dans les économies modernes - peut-être même la cause principale»[2]. C’est la raison pour laquelle les cycles de resserrement des taux donnent lieu à des discussions animées entre commentateurs du marché sur la question d’un atterrissage en catastrophe (hard landing) ou en douceur (soft landing) de l’économie. Au vu des données historiques, ce dernier cas de figure a été l’exception.
Depuis que la Réserve fédérale a commencé à relever les taux des fonds fédéraux au cours de ce cycle, le débat s’est poursuivi mais il a pris, depuis peu, une nouvelle tournure. On parle désormais de « désinflation immaculée », un processus selon lequel l’inflation est ramenée à sa cible par la banque centrale grâce à une politique monétaire restrictive, mais avec un coût insignifiant en matière de chômage[3].
D’un point de vue historique, les cycles de resserrement se sont accompagnés d’un accroissement significatif du taux de chômage, à l’exception majeure de celui de 1994 au cours duquel le chômage a poursuivi sa décrue (graphique 1). D’après la dernière synthèse des projections économiques du FOMC, les membres du Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale s’attendent à une croissance du PIB réel inférieure à la tendance cette année et la suivante, qui s’accompagnerait d’une hausse limitée du taux de chômage à 4,5 % (contre 3,7 % en mai), soit un niveau à peine plus élevé que celui prévu sur le long terme (4,0 %).
Un journaliste a alors fait le commentaire suivant lors de la conférence de presse de Jerome Powell : « il semble que [le processus] soit plus immaculé au lieu de plutôt problématique »[4]. Cela fait écho au débat de l’année dernière sur la question de savoir si un atterrissage en douceur était une hypothèse réaliste[5] ou pas. Selon J. Powell, la désinflation des prix des biens passe par la poursuite de l’amélioration des conditions de l’offre. Ce processus est en cours.
Autre source importante d’inflation : les services liés au logement. Or, les loyers actuels et les nouveaux contrats de bail ressortent à des niveaux bas, ce qui devrait contribuer à abaisser l’inflation à terme. Enfin, et il est important de le souligner que, dans le secteur des services, « nous observons les tout premiers signes de désinflation ». Compte tenu de l’intensité de main-d’œuvre de ce secteur, les coûts salariaux jouent un rôle clé.
Selon le président de la Fed, le retour de l’inflation vers la cible implique une croissance économique significativement inférieure à la tendance et une poursuite de la détente du marché du travail. « Des dispositions ont été prises que nous devons surveiller mais il faudra du temps pour que leurs effets sur l’inflation se fassent réellement sentir ». La croissance des salaires a reculé, quoique à un rythme très progressif. J. Powell fait à cet égard allusion à une étude récente de Bernanke et Blanchard – « qui rejoint dans une large mesure ce que je pense » - dans laquelle les auteurs concluent que « même si les tensions des marchés du travail n’ont pas été jusqu’à présent le principal moteur de l’inflation, nous estimons que les effets de la surchauffe de ces marchés sur la croissance nominale des salaires et l’inflation sont plus durables » [6].
William De vijlder