Dans la première phase de l’assouplissement quantitatif, les marchés financiers considèrent que la forward guidance sur les rachats d’actifs et celle sur les taux directeurs sont étroitement liées. Cela génère un renforcement mutuel de ces deux instruments. Par la suite, la crainte que cet effet de signal agisse aussi dans l’autre sens peut se renforcer. La réduction des achats mensuels d’actifs peut être interprétée comme l’annonce d’un relèvement prochain des taux, une fois que les achats nets auront pris fin. Aux États-Unis, Jerome Powell a été très clair : une réduction progressive des achats d’actifs n’annoncerait pas un changement de perspective pour les taux des Fed funds. Dans la zone euro, les deux types d’indications prospectives sont explicitement liés, ce qui pourrait compliquer la réduction des achats mensuels d’actifs face aux anticipations de taux d’intérêt. Au moment de prendre une décision concernant le PEPP, il serait bon de revoir le lien entre les indications sur l’APP et celles sur les taux.
L’assouplissement quantitatif peut agir sur l’inflation par différents canaux de transmission : un meilleur ancrage des anticipations d’inflation, la liquidité du marché, les effets de richesse, le taux de change, les réserves excédentaires des banques commerciales auprès de la banque centrale pouvant les inciter à accroître le volume des prêts, un rééquilibrage du portefeuille d’actifs ou un effet de signal sur l’évolution des taux directeurs.
Les deux derniers canaux sont particulièrement importants. L’introduction d’un programme d’achats d’actifs revient, pour la banque centrale, à signifier que, pendant longtemps, elle n’aura nullement l’intention de relever ses taux directeurs. Ainsi, les anticipations de taux d’intérêt reculent, entraînant une baisse des rendements obligataires. Le rééquilibrage de portefeuille consiste en une réallocation d’actifs par les investisseurs ayant cédé leurs obligations à la banque centrale. Cette dernière procède, par ses rachats d’actifs, à une «?extraction de la duration?», amenant ainsi les investisseurs à se tourner vers des instruments plus risqués – obligations d’entreprises, actions, immobilier, etc. – pour générer un rendement suffisant. Ce rééquilibrage réduit les primes de risque et abaisse ainsi les coûts du financement pour les entreprises. Il peut aussi produire des effets de richesse dus à la hausse des prix des actifs.
Dans la première phase de l’assouplissement quantitatif, la forward guidance (indications prospectives) de la banque centrale sur les rachats d’actifs et celle sur les taux directeurs sont, pour les marchés financiers, étroitement liées de manière explicite ou implicite. Elles contribuent à un renforcement mutuel des deux instruments. Par la suite, la crainte que cet effet de signal agisse aussi dans l’autre sens peut croître. La réduction des achats mensuels d’actifs peut être interprétée comme l’annonce d’un relèvement prochain des taux, une fois que les achats nets auront pris fin.
Aux États-Unis, les minutes du FOMC de juillet font état de la préoccupation de plusieurs membres à ce sujet. Dans son discours, lors du symposium annuel de Jackson Hole de la Réserve fédérale de Kansas City, Jerome Powell a été très clair sur ce point : le tapering (réduction progressive des achats d’actifs) n’annoncerait pas un changement de perspective pour le taux des Fed funds[1]. Comme le montre la réaction des marchés des obligations et des actions, les investisseurs se sont félicités de la distinction faite entre la forward guidance en termes d’assouplissement quantitatif et celle concernant les taux directeurs.
Dans la zone euro, les deux types d’indications prospectives sont explicitement liés. Le Conseil des gouverneurs estime que les achats mensuels nets au titre du programme d’achats d’actifs (asset purchase programme, APP) prendront fin « peu avant de commencer à relever les taux d’intérêt directeurs de la BCE »[2]. Autrement dit, toute communication sur la réduction des achats mensuels dans le cadre de l’APP, agirait très vraisemblablement sur les anticipations de taux d’intérêt directeurs. Ce risque peut paraître parfaitement maîtrisé à en juger par les conditions strictes fixées, pour un relèvement des taux, lors de la récente révision des indications sur la trajectoire future des taux d’intérêt[3]. Les inquiétudes à cet égard semblent donc prématurées. Le Conseil des gouverneurs doit d’abord se prononcer sur le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (pandemic emergency purchase programme, PEPP) : prendra-t-il fin en mars de l’année prochaine? Dans quelle mesure sera-t-il compensé par une augmentation de l’APP? Pendant combien de temps les titres rachetés dans le cadre du PEPP seront-ils réinvestis?
Pour Philip Lane, économiste en chef de la BCE, rien ne presse. Une clôture du PEPP ne nécessiterait pas de communiquer longtemps à l’avance dès lors que l’APP reste en vigueur. Cependant, son commentaire selon lequel « Si nous étions en situation de pur tapering, le passage d’un soutien au marché à la fin des achats nets poserait la question de la préparation du marché »[4] montre que la BCE est parfaitement consciente qu’elle ne peut se permettre de provoquer un effet de falaise (cliff effect) en mettant fin à l’APP. En établissant un lien explicite entre les deux types de forward guidance, la BCE s’est mise dans une position délicate : une annonce tardive de la fin de l’APP, impliquant une réduction rapide des achats mensuels, pourrait perturber les marchés, tandis qu’une réduction plus progressive, et donc une annonce plus précoce, entraînera également une hausse plus précoce des taux courts attendus. Au moment de prendre une décision concernant le PEPP, il serait bon d’envisager de revoir le lien entre les indications sur l’APP et celles sur les taux.