Le contraste est saisissant entre les conséquences géopolitiques possibles de l’escalade des tensions entre les États-Unis et l’Iran, depuis le début de l’année, et la réaction modérée des marchés. Celle-ci reflète probablement l’opinion des investisseurs selon laquelle l’impact sur la croissance, pondéré en fonction des probabilités des divers scénarios, devrait être très modeste. Ils estiment vraisemblablement limité le risque d’une escalade majeure et/ou faible l’incidence attendue d’une hausse des cours du pétrole sur l’économie. La réaction des marchés, jusqu’à présent, peut aussi s’expliquer, abstraction faite de l’incertitude géopolitique, par un environnement économique jugé propice à la prise de risque : stabilisation des données d’enquête, réduction de l’incertitude liée aux tensions commerciales et politique monétaire accommodante.
La réaction du marché a été très modérée si on la compare aux analyses, faites par les observateurs politiques depuis le début de l’année, de l’escalade des tensions entre les États-Unis et l’Iran. On peut être tenté d’y voir l’illustration d’une complaisance irrationnelle, reposant sur une sous-estimation des risques, bien que l’interprétation opposée soit tout aussi défendable : ce qui, de prime abord, semble tenir de l’excès de confiance pourrait, en fait, refléter une évaluation rationnelle de l’incertitude.
Les conséquences économiques de l’incertitude géopolitique[1] sont complexes et variées. Le passage à un régime de plus forte incertitude peut finir par peser sur la croissance, notamment sous l’effet du ralentissement de la croissance des investissements des entreprises. Un tel impact met du temps à se concrétiser dès lors qu’il dépend de la rapidité avec laquelle les entreprises acquièrent la conviction que cette plus grande incertitude est là pour durer et qu’elle a une incidence sur leur activité. Les pics d’incertitude, qui sont de courte durée, peuvent entraîner des réactions incontrôlées des marchés et avoir des conséquences limitées ou temporaires sur ces derniers comme sur l’économie. La question est de savoir dans quelle mesure exactement l’incertitude a une incidence sur l’économie : quelles sont les variables initialement impactées et comment celles-ci ont-elles, à leur tour, une influence sur la production, l’inflation, les dépenses, les taux d’intérêt, etc. ? Dans l’analyse des conséquences de la confrontation entre l’Iran et les États-Unis, les cours du pétrole jouent un rôle-clé en tant que canal de transmission, dès lors qu’une escalade pourrait aboutir à une rupture des approvisionnements. Il convient de rappeler, à cet égard, les événements du mois d’août 1990, avec l’invasion du Koweït par l’Irak, qui avait provoqué, en l’espace de trois mois, le doublement des cours du pétrole. Après avoir culminé en octobre de cette année-là, les cours se sont maintenus à un niveau élevé pendant plusieurs mois et n’ont avoisiné leur niveau antérieur à l’invasion qu’au printemps 1991. Cela fait donc une grande différence selon que l’augmentation des cours du pétrole est de courte durée (rétablissement rapide des approvisionnements après leur interruption) ou plus durable.
Compte tenu de tout ce qui précède, les investisseurs et les chefs d’entreprise doivent, dans un arbre de décision, se poser plusieurs questions au moment de décider de la manière de réagir à la montée récente des tensions : vont-elles s’intensifier?? Faut-il craindre une rupture des approvisionnements en pétrole?? Dans l’affirmative, quel en serait l’impact sur les cours du pétrole?? Cet impact serait-il provisoire ou durerait-il plusieurs mois?? Comment l’activité économique réagirait-elle?? La réaction pourrait-elle être telle qu’une récession risquerait d’en découler?? Dans ce type d’analyse de scénario, l’impact sur la croissance est égal au produit des réponses à chacune de ces questions.