Les données récentes témoignent de la résistance de l’économie américaine malgré le resserrement rapide et significatif de la politique monétaire. Dans la zone euro, le secteur des services se montre particulièrement résilient. Malheureusement pour les banques centrales, l’inflation résiste elle aussi. Si l’incertitude sur les perspectives n’était pas aussi élevée, une telle situation justifierait un message fort annonçant de nouvelles mesures de durcissement monétaire. Plus que jamais, les banques centrales doivent se doter d’une stratégie monétaire robuste qui tienne compte des multiples incertitudes. C’est pourquoi le FOMC a adopté un ton plus modéré. Lorsqu’on lit entre les lignes, le ton de la BCE semble également radouci, comme le montre l’accent mis sur la dépendance à l’égard des données et sur le rôle des conditions financières.
À l’exception d’un ralentissement dans certains secteurs de l’économie, comme le logement, les données économiques américaines reflètent dans leur ensemble la résilience de l’économie et ce, malgré un resserrement rapide et significatif de la politique monétaire au cours de ce cycle. D’après les données récemment publiées, le modèle d’estimation de la Réserve fédérale d’Atlanta indiquait, le 24 mars dernier, une croissance réelle du PIB de 3,2 % (taux annuel corrigé des variations saisonnières) au premier trimestre 2023. Le nombre de créations d’emplois mensuelles, un indicateur clé pour la politique monétaire, est resté élevé et l’indice PMI composite flash de S&P Global pour le mois de mars a fortement rebondi, à la faveur d’une embellie dans l’industrie manufacturière et les services.
Dans la zone euro, la résilience s’est concentrée dans les services, comme le montrent les indices PMI flash pour le mois de mars qui dressent un tableau contrasté, avec un repli dans l’industrie manufacturière mais une forte hausse dans les services. Dans l’ensemble, le PMI composite a progressé pour le cinquième mois d’affilée pour atteindre 54,1, soit un plus haut sur dix mois[1]. Un chiffre aussi élevé semble indiquer que la croissance pourrait être plus élevée que prévu au premier trimestre.
Malheureusement pour les banques centrales, l’inflation résiste aussi. Dans un discours récent, Jerome Powell, président de la Réserve fédérale, a clairement indiqué que « l’inflation reste trop élevée »[2] tandis que Christine Lagarde, présidente de la BCE, a déclaré que « l’inflation devrait rester trop forte pendant une trop longue période »[3].
Si l’incertitude sur les perspectives n’était pas aussi élevée, une telle situation justifierait un message fort et l’annonce de mesures supplémentaires de durcissement monétaire. Aux États-Unis, les dernières projections économiques des membres du Conseil de la Réserve fédérale et des présidents des banques de la Réserve fédérale indiquent un décalage vers la gauche de la fourchette des projections de croissance réelle du PIB pour cette année, à -0,5 %/+1,0 %. La fourchette de projections relatives au taux de chômage s’est, quant à elle, élargie, la limite supérieure s’établissant désormais à 5,3 %.[4] Christine Lagarde a également souligné que « le degré d’incertitude devrait rester élevé ».
L’une des principales sources d’incertitude est la rapidité et l’ampleur de la transmission des mesures de politique monétaire aux conditions financières et monétaires (premier volet du processus de transmission de la politique monétaire) et, de ces dernières à la demande et à l’inflation (second volet du processus de transmission)[5]. D’après la dernière enquête de la BCE sur le crédit bancaire et celle de la Réserve fédérale auprès des responsables du crédit, les critères d’octroi de prêts (niveau des taux d’intérêt et conditions appliquées) sont nettement plus restrictifs et de plus en plus de banques signalent un ralentissement de la demande de crédit[6]. Par le passé, de telles évolutions ont été suivies d’un impact négatif sur la croissance et le cycle actuel ne devrait pas faire exception à la règle.
On peut également supposer que l’effet des remontées de taux antérieures sur les conditions du crédit ne s’est pas encore pleinement fait sentir. De plus, comme l’a souligné Jerome Powell, « les événements de ces deux dernières semaines dans le secteur bancaire vont probablement se traduire par un durcissement des conditions du crédit pour les ménages et les entreprises, ce qui devrait, à son tour, impacter les résultats économiques »[7]. Christine Lagarde a également lancé une mise en garde concernant les dernières projections des services de la BCE, qui « ne tiennent pas compte des effets des récentes tensions sur les marchés financiers. Ces tensions ont engendré de nouveaux risques à la baisse et rendu l’évaluation des risques plus incertaine »[8].
Par conséquent, le communiqué du FOMC a pris des accents plus modérés. Le passage indiquant « nous anticipons que des hausses continues des taux d’intérêt seront appropriées pour maîtriser l’inflation » a été remplacé par « certaines mesures supplémentaires de resserrement de la politique monétaire pourraient être appropriées ». La ligne de conduite ne sera plus fixée à l’avance mais elle dépendra des données et de l’évaluation des « effets réels et attendus du durcissement des conditions du crédit sur l’activité économique, le marché du travail et l’inflation »[9].
Concernant la BCE, comme l’a expliqué sa présidente, les décisions de politique monétaire dépendront des données économiques et financières, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire. Pour atteindre l’objectif de stabilité des prix « il est nécessaire d’adopter une stratégie robuste, qui tienne compte des niveaux élevés d’incertitude auxquels nous faisons face aujourd’hui ». Contrairement au changement de ton explicite de la Réserve fédérale, il convient de lire entre les lignes le message de la BCE pour comprendre l’évolution en cours de son discours, notamment à
William De Vijlder