Edito

Cinq raisons pour lesquelles les « Trumponomics » pourraient ne pas affaiblir l'Europe, au contraire

10/02/2025
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D’après le consensus actuel, la divergence importante entre l’économie des États-Unis et celle de l’Union européenne, observée depuis la pandémie, devrait persister. Il est vrai que l’économie américaine bénéficie d’une dynamique de croissance forte et affiche un moral d’acier, alors que l’Europe n’a ni l’une ni l’autre. Mais extrapoler à partir d’un instantané, comme l’instinct nous pousse à le faire, est souvent une erreur. En réalité, il existe de solides raisons pour que l’écart entre la croissance des États-Unis et celle de l’Europe se réduise en 2025, comme le prévoit le scénario central de BNP Paribas, avec un ralentissement de l’économie américaine et une accélération de celle de la zone euro (quoique modeste). Au-delà des perspectives à l’horizon d’un an, cinq raisons contredisent l’idée selon laquelle les politiques économiques de Donald Trump affaibliraient encore davantage l’Europe. Examinons-les l’une après l’autre.

1. « L'Europe se fera dans les crises » avait prédit le père fondateur de l’UE Jean Monnet

Or, le retour de Trump à la Maison Blanche est sans aucun doute perçu comme une crise par les décideurs politiques européens. Arrivant opportunément dans la foulée de deux rapports historiques rédigés par d'anciens Premiers ministres italiens[1], qui fournissent une feuille de route à l'UE pour préserver sa place dans le monde pour les décennies à venir, cette crise a déjà commencé à accélérer des changements fort nécessaires. Au lieu d'être rangés dans les tiroirs des palais des gouvernements de l'UE, ces rapports ont fourni l'essentiel des ingrédients du plan de travail quinquennal de l'UE, rebaptisé « boussole de la compétitivité ».

« L'Europe est prête pour le changement », a résumé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Davos il y a quelques semaines. Cinq mois plus tôt à peine à Bruxelles, le consensus était que les États membres étaient largement d'accord sur les diagnostics, mais que les divergences sur les remèdes étaient telles qu'il ne se passerait pas grand-chose. Aujourd'hui, il existe de bonnes raisons de croire que nous assisterons à des changements du même ordre de grandeur que ceux provoqués par la pandémie de Covid-19 avec : des marchés intérieurs plus profonds et mieux intégrés pour les biens et les services, beaucoup plus d'entreprises opérant à l'échelle de l’UE, des réglementations plus pragmatiques, et des investissements plus importants (à la fois collectifs entre les États membres et par le secteur privé), y compris dans des domaines critiques pour la souveraineté économique, la transition verte et la défense. Cela ne se fera pas en un jour, mais l'UE a plus que jamais une chance de sortir renforcée de cette nouvelle crise.

2. L'Europe dispose de plus de stabilité et de marge de manœuvre macroéconomiques, tant monétaire que budgétaire

Pour une fois, l'Europe aborde cette crise dans une position de force relative. Son inflation est tombée et s’approche, à court terme, de l'objectif de 2% de la BCE, dont la politique se dirige rapidement vers la neutralité (la Réserve fédérale, en revanche, se voit contrainte de mettre en pause son cycle d'assouplissement avec des taux élevés de 4,5%, et la Banque d'Angleterre prévoit une résurgence de l'inflation qui limitera sa capacité à réduire rapidement ou fortement ses taux en dessous des 4,5% actuels). La croissance de la zone euro est inférieure à son potentiel, mais significativement positive, et une série d'indicateurs de sentiment semblent relever la tête. En cas de choc négatif, par exemple des droits de douane américains, une marge de manœuvre non négligeable existe en matière monétaire et budgétaire. Il est vrai que la marge de manœuvre budgétaire n'est pas uniformément répartie entre les pays membres. Néanmoins, dans l'ensemble, ceux qui ont le plus à perdre des frictions commerciales avec les États-Unis disposent de la plus grande marge de manœuvre budgétaire (graphique 1). L'Italie, qui n'en a pas, peut espérer bénéficier d'un coup de pouce de plus de 3% du PIB grâce aux fonds restant à débourser de la Facilité pour la Reprise et la Résilience. En revanche, les États-Unis et le Royaume-Uni ne disposent d'aucune marge d'expansion budgétaire.

Dette publique et exportations vers les Etats-Unis en part de PIB des pays membre de l’Union européenne

SOURCES : COMTRADE, IMF, BNP PARIBAS

Graphique : Tarik Rharrab

3. La vulnérabilité de l'Europe aux droits de douane américains est exagérée

Il est vrai que les États-Unis sont le premier partenaire commercial de l'UE et que celle-ci y exporte plus de biens qu'elle n'en importe. Comme le montre le graphique 1, pour plusieurs pays, les exportations à destination des États-Unis représentent une part importante de leur PIB. Toutefois, la part des États-Unis dans les exportations totales des pays de l'UE est inférieure à 8%. Ainsi, une augmentation relativement faible des exportations vers d'autres pays compenserait la perte vis-à-vis des États-Unis (graphique 2). En particulier, étant donné que l'UE commerce principalement avec elle-même, le programme d'approfondissement du marché unique identifié par Enrico Letta, et largement repris dans le Competitiveness Compass de la Commission européenne, permettrait d’augmenter significativement les échanges intra-UE. Pour compenser une baisse de 1% des exportations vers les États-Unis, il suffirait d’augmenter de 0,12% les échanges intra-UE. Une hausse limitée des exportations vers les pays voisins proches de l'Europe, mais non membres de l'UE, suffirait également[2]. Il est donc encourageant de constater que l'UE a signalé sa ferme intention de rester ouverte à des accords commerciaux avec tous les partenaires qui le souhaiteraient—et en a même conclu trois tout récemment, avec la Suisse, le Mercosur, et le Mexique ; des rapports récents suggèrent qu'elle pourrait même réduire certains droits de douane de la « nation la plus favorisée » en réponse à la menace de Trump de mettre en place des droits « réciproques ». Cela permettrait d'abaisser le taux moyen de ses tarifs extérieurs et de stimuler le commerce.

Exportations des pays membres de l’UE par destination

SOURCES EUROSTAT, BNP PARIBAS

Graphique : Tarik Rharrab

4. L'Europe peut combler le vide laissé par les États-Unis en matière de transition énergétique

Le fait que le gouvernement américain mette en pause, voire qu’il inverse ses efforts pour limiter le réchauffement climatique constitue incontestablement une mauvaise nouvelle pour la planète. Cela pourrait néanmoins profiter à l'économie européenne sur un point au moins : la fin de la puissante incitation, que constituent les subventions promulguées par le président Biden, dans le cadre de la mal nommée Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l'inflation), pour stimuler l'investissement vert aux États-Unis. Maintenant que l'UE redouble d'efforts pour décarboner son économie et soutenir la R&D et les investissements dans ce domaine, son attractivité pour les capitaux soucieux de l'environnement (qu’ils viennent de l'intérieur ou de l'extérieur de l'UE) sera amplifiée.

5. L'Europe offre des politiques économiques prévisibles et stables

Dans les démocraties, l'incertitude politique va et vient souvent en fonction des cycles électoraux. En 2024, elle était élevée tant en Europe qu'aux États-Unis, en raison d’élections prévues (États-Unis, Parlement européen) ou non (France et Allemagne). Aujourd'hui, le brouillard s'est largement dissipé en Europe, et les perspectives politiques aux niveaux européen et national sont désormais assez prévisibles sur un horizon pluriannuel. Au contraire, aux États-Unis, en raison du style unique d'élaboration des politiques du président Trump, l'incertitude reste extrêmement élevée, et elle le restera probablement. Qu'il s'agisse de droits de douane, de politique budgétaire, d'immigration, et donc d'inflation et de taux d'intérêt (à court et à long terme), personne ne peut savoir avec certitude à quoi s’attendre, et le champ des résultats possibles est vaste, entre très positifs et très négatifs en passant par moyens. Ce n'est pas un contexte porteur pour les décisions d'investissement ou d'embauche.

Certes, rien ne garantit que l'Europe dépasse les attentes, et encore moins que sa croissance surpasse celle des États-Unis, à quelque horizon de temps. Mais elle dispose de bonnes cartes en main et elle est consciente de l'urgence à les jouer.


[1] Certains ont fait valoir que si le monde entier tente de compenser la perte du marché américain, la concurrence sera intense et les exportations auront du mal à se développer. Mais le marché américain ne disparaîtra vraiment que si son déficit commercial disparaît, et cela ne se produira que si et quand le gouvernement fédéral dégagera des excédents budgétaires, ou les ménages et les entreprises des excédents suffisamment importants pour compenser les déficits béants du gouvernement. En l'absence d'un effondrement spectaculaire des investissements, cela semble hautement improbable dans un avenir prévisible.

[2] Certains ont fait valoir que si le monde entier tente de compenser la perte du marché américain, la concurrence sera intense et les exportations auront du mal à se développer. Mais le marché américain ne disparaîtra vraiment que si son déficit commercial disparaît, et cela ne se produira que si et quand le gouvernement fédéral dégagera des excédents budgétaires, ou les ménages et les entreprises des excédents suffisamment importants pour compenser les déficits béants du gouvernement. En l’absence d’un effondrement spectaculaire des investissements, cela semble hautement improbable dans un avenir prévisible.

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