La poursuite de la désinflation et la marge de manœuvre que cela crée pour les banques centrales en faveur d’un assouplissement de leur politique monétaire semblent être les seules « certitudes » économiques pour cette année 2024. Une liste de questions importantes demeure néanmoins, auxquelles une réponse devrait être apportée dans le courant de l’année. Quels seront le rythme et l’ampleur des baisses de taux ? Existe-t-il un risque que l’impact des hausses de taux passées soit sous-estimé et ne se soit pas encore pleinement fait sentir ? Qu’en est-il de la vigueur de la reprise économique et le moment où elle interviendra en réaction à la baisse de l’inflation et au début de la phase d’assouplissement de la politique monétaire ? Y a-t-il un revers de la médaille au scénario d’atterrissage en douceur de l’économie américaine ? Les réponses à ces questions sont cruciales pour l’économie réelle, mais elles revêtent une importance toute particulière pour les marchés financiers et les anticipations d’évolution des taux directeurs.
D’un point de vue macroéconomique, l’une des caractéristiques essentielles de l’année 2023 a été la poursuite du resserrement monétaire, avec des hausses de taux plus importantes que prévu de la part de la Réserve fédérale et de la BCE. Ces décisions, conjuguées à l’accumulation, dans les derniers mois de l’année, de données indiquant une nette orientation à la baisse de l’inflation sous-jacente ont changé les perspectives pour les taux d’intérêt en 2024. 2022 a marqué le point de départ du cycle de resserrement, 2023 a été l’année où le taux terminal a été atteint et 2024 devrait être celle des baisses de taux directeurs. Aux États-Unis, les projections des membres du FOMC en décembre 2023 indiquent trois baisses de taux de 25 points de base en 2024. Le message de la BCE est plus opaque, même si des déclarations récentes de certains membres du Conseil des gouverneurs montrent que le débat a nettement évolué : la question n’est plus de savoir si de nouvelles hausses de taux sont justifiées, mais plutôt pendant combien de temps les taux doivent être maintenus au niveau actuel. Le consensus s’attend à ce que la BCE commence à abaisser les taux en juillet, ramenant le taux de dépôt à 3,25 % d’ici la fin de l’année, contre 4,00 % actuellement (graphique 1)[1]. Les opérateurs de marché interrogés dans le cadre d’une enquête similaire aux États-Unis tablent sur une première baisse des taux par la Fed en juin et sur une diminution cumulée du taux des fonds fédéraux, cette année, de 125 points de base[2]. L’évolution à la baisse des taux cette année ne fait donc guère débat. La poursuite de la désinflation devrait justifier une telle réduction des taux directeurs, ne serait-ce que pour éviter que les taux d’intérêt réels n’augmentent entraînant ainsi un nouveau resserrement indésirable des conditions monétaires.
La poursuite de la désinflation et la marge de manœuvre que cela crée pour les banques centrales en faveur d’un assouplissement de leur politique monétaire semblent être les seules « certitudes » économiques pour cette année. Une liste de questions importantes demeure néanmoins, auxquelles une réponse devrait être apportée dans le courant de l’année. La première porte sur le rythme et l’ampleur des baisses de taux. Les banquiers centraux ont maintes fois fait savoir que leur politique monétaire restait liée à l’évolution des données économiques. Les variables clés à surveiller étant le marché du travail — indicateur de résilience ou d’atonie économique —, la croissance des salaires, l’inflation et les anticipations d’inflation. La deuxième question est celle liée à la crainte persistante que l’impact des hausses de taux passées ne se soit pas encore pleinement matérialisé. Or, la réponse à cette question revêt une importance particulière pour les entreprises qui doivent refinancer la dette comme pour les ménages ayant souscrit des prêts hypothécaires à taux variable et qui se trouvent confrontés à une révision des taux d’intérêt. Concernant les premières, les facteurs clés sont l’ampleur de la dette à refinancer[3], l’augmentation des charges d’intérêts et la manière dont ces entreprises vont faire face à cette hausse en abaissant leurs coûts, en réduisant leurs investissements ou simplement en acceptant une baisse des profits. De plus, les faillites, déjà en hausse, pourraient encore augmenter. Le rôle des crédits hypothécaires à taux variable dépend dans une large mesure du pays considéré. Aux États-Unis, les crédits hypothécaires sont, en général, à taux fixe, alors que dans la zone euro, il existe des différences significatives d’un pays à l’autre[4]. Même si l’impact macroéconomique de l’effet résiduel de la hausse des taux d’intérêt est très difficile à évaluer, le risque baissier pour la croissance et, par conséquent, pour l’inflation est clair. Cette question revêt également une importance particulière pour les marchés et les anticipations d’évolution des taux directeurs.
La troisième question concerne la vigueur de la reprise économique et le moment où elle interviendra. S’agissant de la zone euro, l’enquête du quatrième trimestre 2023 des prévisionnistes professionnels de la BCE anticipait une amélioration au premier semestre 2024.[5] Les projections de décembre 2023 établies par les services de l’Eurosystème prévoient que la croissance devrait « progressivement se renforcer à partir du premier trimestre 2024, sous l’effet de nouvelles hausses du revenu disponible réel et de la demande extérieure »[6]. Nous tablons sur une reprise graduelle de la croissance trimestrielle passant d’un taux non-annualisé de 0,1 % au premier trimestre à 0,3 % au deuxième et 0,4 % aux troisième et quatrième trimestres. Aux États-Unis, la dernière enquête des prévisionnistes professionnels de la Réserve fédérale de Philadelphie anticipe un ralentissement du PIB réel au premier trimestre 2024, avant une nouvelle accélération à partir du deuxième trimestre.[7] Pour notre part, nous prévoyons une croissance atone au premier trimestre et une contraction de -0,3 % au deuxième trimestre, suivie par une reprise très progressive au second semestre 2024, avec une progression trimestrielle en rythme non-annualisé de 0,2 % au troisième trimestre et de 0,3 % au quatrième trimestre. La question de la vigueur de la reprise et du moment où elle interviendra revêt une importance particulière pour les marchés financiers et pour le pricing de la trajectoire attendue des taux directeurs. Ce pricing dépendra également de la réponse à la quatrième et dernière question : y-a-t-il un revers de la médaille au scénario d’atterrissage en douceur de l’économie américaine ? Un tel atterrissage implique en effet qu’après un resserrement monétaire suffisant, l’inflation converge de nouveau vers l’objectif sans être accompagnée d’une récession et d’une forte hausse du taux de chômage. Or, avec le redémarrage de l’activité, une rapide réapparition de goulets d’étranglement et donc de risques sur les perspectives d’inflation sont à craindre, ce qui s’accompagnerait d’une réévaluation des prévisions de politique monétaire — un arrêt plus rapide que prévu du cycle d’assouplissement — et, partant, d’une hausse des rendements obligataires.