Une inflation élevée, si elle n'est pas traitée, peut entraîner une déstabilisation des anticipations, une augmentation des primes de risque, une plus grande distorsion des prix, et donc des coûts à plus long terme pour l'économie. Les banques centrales semblent confrontées à un dilemme : augmenter les taux d'intérêt pour faire baisser l'inflation au risque de provoquer une hausse du chômage, ou se concentrer sur le marché du travail et accepter que l'inflation puisse rester élevée plus longtemps. En réalité, elles doivent choisir entre agir rapidement pour maîtriser l'inflation ou faire face à un défi encore plus grand à l’avenir. Dans de récentes déclarations, les dirigeants de la Réserve fédérale, de la Banque centrale européenne et de la Banque d'Angleterre reconnaissent la nécessité d'agir. Mais leurs décisions et orientations diffèrent en raison du contexte économique propre à chaque pays.
En 2015, Ben Bernanke, ancien président de la Réserve fédérale, publiait « Le courage d’agir : souvenir d’une crise et de ses conséquences ». Le titre interpelle au regard des récentes conférences de presse du président de la Fed actuel, Jérôme Powell, et du gouverneur de la Banque d'Angleterre, Andrew Bailey1, mais aussi à la lecture d’un discours récent du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau2.
Le livre de Ben Bernanke décrypte la crise financière mondiale de 2008-2009, ses causes, ses conséquences et les décisions politiques qu’elle a engendrées. La crise actuelle concerne l’inflation forte et les coûts à long terme qu'elle génèrerait si celle-ci n'était pas corrigée. Il est clair qu'il faut agir, mais pour cela il faut du courage : premièrement, une partie de la hausse des prix est causée par un choc d'offre négatif, qui agit comme un vent contraire sur la demande et, deuxièmement, un resserrement monétaire ralentirait la croissance et pourrait même provoquer une hausse du taux de chômage.
Andrew Bailey a été particulièrement clair à ce sujet. Au Royaume-Uni, même si le taux de chômage devrait continuer à baisser à court terme, à 3,6% au deuxième trimestre, il pourrait atteindre 5,5% dans trois ans compte tenu du fort ralentissement de l’activité, auquel le resserrement monétaire aurait contribué. Jerome Powell reconnaît que « ramener l'inflation à l'objectif pourrait être douloureux? »3.
Si le dilemme apparaît très inconfortable, selon les différents banquiers centraux une réaction s’impose. « Le plus douloureux est ne pas traiter dans la durée, de ne pas s’attaquer à l'inflation et de la laisser s'enraciner. »4 F. Villeroy de Galhau partage cette idée : « une inflation durablement installée signifierait une baisse de la confiance, une augmentation des primes de risque, ainsi que davantage de distorsions de prix, et, par conséquent, moins de croissance à long terme. »
Bien que les trois banques centrales partagent un même objectif - la maîtrise de l'inflation -, les marchés financiers s'attendent à ce que les chemins empruntés par chacune d’elle pour l’atteindre bifurquent (graphique 1). Cela reflète des différences en matière d'orientation prospective (forward guidance) et d'environnement macroéconomique. D’après A. Bailey, « les États-Unis font face à ce qui ressemble à un choc de la demande (…), tandis que la zone euro est confrontée à un choc des coûts de l’offre (…). Au Royaume-Uni, nous voyons des éléments des deux. Comme pour la zone euro, nous subissons un fort choc des termes de l’échange (…) mais notre marché du travail solide s’apparente davantage à celui des États-Unis. »
Aux États-Unis, les chocs d’offre mondiaux, la forte demande et un marché du travail sous pression forcent la Réserve fédérale à durcir « rapidement »5 sa politique monétaire. Après la hausse des taux de 50 pb lors de sa réunion de mai, des relèvements similaires devraient suivre lors des prochaines réunions. Par ailleurs, la réduction de la taille du bilan de la Fed débutera en juin, même si l'effet sur l’économie est difficile à évaluer.
Dans la zone euro, l'approche sera beaucoup plus progressive. Les chocs d'offre y jouent un rôle plus important qu’aux États-Unis, elle est plus exposée à l'incertitude géopolitique causée par la guerre en Ukraine, la croissance des salaires y est plus lente et le marché du travail subit moins de pression qu'aux États-Unis. D’après de récentes déclarations de plusieurs membres du Conseil des gouverneurs de la BCE, une hausse en juillet du taux de rémunération des dépôts semble de plus en plus probable et de nouvelles augmentations devraient suivre.6
Enfin, au Royaume-Uni, on s'attend à d’autres hausses du taux bancaire. En cause : une inflation élevée qui augmente - la Banque d'Angleterre prévoit que l’inflation moyenne au quatrième trimestre 2022 culminera à 10% -, un taux de chômage très bas et une croissance des salaires qui accélère. Néanmoins, les membres du comité de politique monétaire ne sont pas d'accord sur ce que cela implique en termes de politique monétaire, trois d'entre eux défendant une augmentation de 50 pb plutôt que de 25 pb. La livre sterling s'est affaiblie (graphique 2), ce qui reflète les doutes persistants des investisseurs quant au risque que la Banque d'Angleterre est prête à prendre en resserrant sa politique. Le Conseil des gouverneurs de la BCE est confronté à un débat similaire. De toute évidence, la nécessité de convaincre les marchés de leur détermination est un autre objectif que partagent les banques centrales.