Les récentes déclarations de la Réserve fédérale et de la BCE indiquent clairement que la première baisse des taux d’intérêt approche. Les deux banques centrales tiennent le même discours - cela dépendra des statistiques. Toutefois, si l'on y regarde de plus près, la communication de la BCE est plus opaque que celle de la Réserve Fédérale, qui fournit les projections de taux d’intérêt des membres du comité directeur de la Réserve Fédérale (« dot plot »). Plusieurs approches sont possibles pour tenter de prédire la rapidité et le nombre des baisses de taux directeurs de la BCE dans le présent cycle. Compte tenu de la crédibilité de la BCE et des estimations plausibles de taux neutre, il est pertinent de prendre pour hypothèse une fourchette comprise entre 2,00 % et 2,50 % pour le taux de rémunération des dépôts de la BCE au terme du cycle d'assouplissement.
Les récentes déclarations de la Réserve fédérale et de la BCE indiquent clairement que la première baisse des taux d’intérêt approche. Lors de la présentation au Congrès du rapport semestriel de la politique monétaire, Jerome Powell a indiqué que le comité directeur de la Réserve Fédérale (FOMC) attend de renforcer sa conviction que l'inflation approche durablement des 2 % . Il a ajouté qu’« une fois que nous aurons acquis cette conviction — et ce moment approche — il sera approprié de commencer à réduire le niveau de restriction ».[1] Lors de la conférence de presse du 20 mars organisée à l'issue de la réunion du FOMC, le président de la Fed a réitéré le message que l'assouplissement monétaire commencerait cette année.[2] Au début de ce mois, Christine Lagarde avait souligné, lors de sa conférence de presse, que la BCE était en bonne voie d'atteindre son objectif d'inflation. Elle a toutefois indiqué que des statistiques supplémentaires seraient nécessaires avant d’avoir la certitude que l'objectif d’inflation serait atteint. « Nous en saurons un peu plus en avril, mais nous en saurons beaucoup plus en juin ».[3] Voilà qui répond à la question « facile » : — y aura-t-il une baisse des taux ? Mais qu'en est-il des questions « difficiles » : quel sera le nombre et le rythme de ces baisses de taux ?, quel sera l'« autre » terminal, c'est-à-dire le taux auquel les banques centrales cesseront d'abaisser leurs taux directeurs ?[4] De prime abord, les deux banques centrales ont le même discours : cela dépendra des statistiques. Toutefois, à y regarder de plus près, la communication de la BCE est plus opaque que celle de la Réserve fédérale. Lors de sa conférence de presse, Jerome Powell a fait référence au « dot plot », le graphique de projection des taux des membres du FOMC. « Si l’économie évolue comme prévu, le participant médian prévoit que le niveau approprié des taux des fonds fédéraux sera de 4,6 % à la fin de cette année, à 3,9 % au 31 décembre 2025 et à 3,1 % au 31 décembre 2026—ce qui reste au-dessus de la médiane des taux à plus long terme ».[5] Compte tenu de la dépendance aux statistiques de la politique, la trajectoire des taux directeurs décidée par la Fed serait sans nul doute différente si l’économie n'évoluait pas comme prévu. Néanmoins, le « dot plot » donne une indication claire du scénario de base adopté par les membres du FOMC, et il constitue un bon point de référence pour les agents économiques. Lors de la récente conférence « ECB watchers », Christine Lagarde a déclaré « Nous ne pouvons prendre aucun engagement sur les décisions futures de politique monétaire, aussi tentantes soient-elles, aussi désirables soient-elles pour certains d'entre vous. Si nous sommes fidèles à notre méthodologie et si nous appliquons ce principe avec rigueur, cela nous est impossible ».[6] L’absence d’orientation sur les taux directeurs de la zone euro ( la BCE ne produit pas de « dot plot » soulève deux questions : cela a-t-il une importance, et, comment évaluer le niveau auquel l'assouplissement monétaire ramènera les taux ? En réponse à la première question, la publication des projections de taux d’intérêt doit en théorie avoir un impact positif sur la performance macroéconomique. Cette information devrait réduire le degré d’incertitude sur la trajectoire des baisses de taux futures. Par conséquent, les ménages et les entreprises pourraient être plus enclins à réagir à la perspective d'une baisse des taux induite par ces projections qu'à celle découlant des anticipations des marchés financiers, qui sont par nature plus volatils. L'incertitude sur les taux d’intérêt revêt une certaine importance compte tenu de son impact négatif sur les décisions des entreprises.[7] Il importe toutefois de garder à l'esprit qu'un changement majeur des projections de taux d’intérêt peut augmenter l'incertitude en prenant les marchés, les ménages et les entreprises à contre-pied.
Pour la zone euro, dans la situation actuelle, il est plus pertinent de se demander quelle sera la trajectoire des baisses de taux dans le cycle actuel, dans l’hypothèses que les variables économiques clés (inflation, croissance, salaires, etc.) évoluent conformément aux dernières projections des équipes de la BCE. Il est possible d'adopter plusieurs approches (tableau). La première consiste à s'intéresser aux prévisions du consensus. D'après la dernière Enquête auprès des analystes monétaires de la BCE (mars 2024), le taux de rémunération des dépôts, qui se situe actuellement à 4,00 %, devrait tomber à 3,00 % à la fin de cette année, puis à 2,25 % au 31 décembre 2025, avant d'atteindre la projection à long terme de 2,00 % en 2027. La deuxième approche consiste à s'intéresser au pricing du marché. Sur la base de la courbe à terme du taux en euro à court terme (€STR), les marchés tablent sur une baisse du taux de rémunération des dépôts de 85 points de base (pb) d'ici à la fin de cette année et de 150 pb d'ici à fin 2025 (graphique 1). Toutefois, le pricing du marché peut enregistrer des fluctuations importantes, en réaction aux surprises dans les statistiques ou aux communications des membres du Directoire de la BCE. Comme le montre le graphique 2, sur la base des contrats à terme sur l'€STR, le taux d’intérêt implicite pour décembre 2024 a diminué d'environ 120 points de base au quatrième trimestre 2023, avant de remonter d'environ 80 points de base. De toute évidence, la stabilité du taux de rémunération des dépôts (la dernière hausse est intervenue lors de la réunion de septembre 2023 du Conseil des gouverneurs) n'a pas empêché les anticipations du marché d’être très volatiles.
En troisième lieu, une approche simple consiste à appliquer la baisse attendue de l'inflation au taux nominal de rémunération des dépôts. Une telle approche revient à supposer (implicitement) que le taux directeur réel actuel reste adapté dans le temps. Cela n'a pas de sens. Des taux d’intérêt réels élevés s'imposent lorsqu'il est nécessaire de juguler l'inflation, mais ils doivent ensuite être abaissés par le biais de réductions du taux directeur nominal supérieures à la baisse de l'inflation. Dans cette optique, une quatrième approche consiste à tenter de comprendre la fonction de réaction de la BCE. Les membres du Directoire ont maintes fois déclaré que cette fonction se fonde sur trois critères : les perspectives d’inflation, la dynamique de l'inflation sous-jacente et la vigueur de la transmission monétaire.[8] Toutefois, cela ne répond pas à la question du calibrage : à quel moment le taux directeur nominal aura-t-il suffisamment baissé compte tenu des perspectives d’inflation et de l'environnement monétaire ? L'analyse historique est de peu d’utilité compte tenu du nombre limité de cycles d'assouplissement et de la spécificité de la conjoncture économique qui prévalait par le passé. Une approche plus logique, au moins en théorie, consiste à s'intéresser au taux neutre, c'est-à-dire au taux d’intérêt réel à court terme qui est cohérent avec un niveau d’activité correspondant à son niveau potentiel et avec une inflation stable et compatible avec l'objectif de la banque centrale. Ce taux étant impossible à observer, les estimations empiriques dépendent nécessairement des modèles et des hypothèses employés. Les recherches effectuées récemment par la BCE montrent que depuis le second semestre 2023, les estimations fondées sur des modèles « se situent entre moins 0,75 % et 0,5 % », l'estimation médiane se situant légèrement au-dessus de zéro[9]. Il est intéressant de noter que ce niveau est assez proche du taux réel implicite qui peut être déduit de l'Enquête auprès des analystes monétaires de la BCE, lequel table sur une inflation totale en ligne avec l'objectif de 2,00 % de la BCE au troisième trimestre 2025. Pour l'inflation sous-jacente, cette normalisation devrait intervenir avec un délai d'un trimestre. Cette enquête prévoit également que le taux de rémunération des dépôts de la BCE chutera à 2,25 % au quatrième trimestre 2025 et à 2,00 % au premier trimestre 2026.
Pour conclure, bien que la décision d'effectuer une première baisse des taux n'ait encore été prise par la BCE, il est important d'évaluer la rapidité et l'ampleur de l'assouplissement monétaire. S'agissant du niveau final du cycle d'assouplissement -l’autre taux terminal- l’hypothèse d’une fourchette comprise entre 2,00 % et 2,50 % est pertinente.