D’après les dernières données publiées, en zone euro comme aux États-Unis, l’inflation est essentiellement portée par sa composante sous-jacente et donc, à première vue, par la demande. Des facteurs d’offre sont aussi à l’œuvre via la diffusion du choc sur les prix de l’énergie et des matières premières et l’inflation alimentaire. Ces effets de premier tour montrent des premiers signes de dissipation, ce qui devrait tirer plus nettement à la baisse l’inflation à l’horizon des prochains mois. La dynamique des salaires est à surveiller compte tenu de son caractère inflationniste qui serait modeste mais persistant, justifiant la réponse monétaire.
À quel point l'inflation actuelle est-elle (encore) due à une insuffisance de l'offre ? À quel point est-elle liée à un excès de demande ? La réponse n’est pas évidente, avec pour question sous-jacente celle de la nécessité du resserrement monétaire, de sa poursuite et du risque que les banquiers centraux aillent trop loin dans ce resserrement si l’inflation est davantage tirée par l’offre.
Que nous dit l'analyse simple de la décomposition de l'inflation selon ses principaux postes ? Dans la zone euro, l’inflation a pu être considérée, de prime abord, comme essentiellement due à l’offre au regard du rôle prépondérant joué par la composante « énergie » (cf. graphique 1). D’avril à juillet 2021, cette composante a, en effet, expliqué jusqu’à 60% de l’inflation totale. Sa contribution relative a ensuite baissé à mesure que les effets de premier tour de ce choc se diffusaient aux autres composantes de l’indice des prix à la consommation (IPC), que l’inflation alimentaire s’envolait (que l’on peut aussi assimiler à un choc d’offre) et que l’inflation sous-jacente remontait, signe, en apparence, du développement d’une inflation liée à la demande.
Simple déformation relative des prix au départ, l’inflation est ensuite véritablement devenue une hausse généralisée, durable et auto-entretenue des prix, ce qui correspond à sa définition. Aujourd’hui, à la faveur d’une baisse des prix de l’énergie par rapport à leur niveau d’il y a un an, la contribution directe à l’inflation de cette composante de l’IPC a disparu, tirant l’inflation totale vers le bas. Au regard de la forte diminution de notre indicateur de pressions inflationnistes (qui combine les composantes « prix des intrants », « prix de vente » et « délais de livraison » du PMI manufacturier), une baisse plus importante de l’inflation à l’horizon des prochains mois semble probable (cf. graphique 3). Pour l’heure, l’inflation demeure très élevée (6,1% en g.a. en mai selon l’estimation préliminaire d’Eurostat), soutenue à hauteur de 40% par l’inflation alimentaire (12,5% a/a) et de 60% par l’inflation sous-jacente (5,3% a/a), gagnant au passage en persistance. Au vu de ces chiffres, l’inflation de la zone euro est donc désormais essentiellement tirée par la demande.
Aux États-Unis, la dynamique est différente, avec une inflation, en apparence, moins alimentée par l’offre que par la demande (cf. graphique 2). La composante « énergie » a, en effet, expliqué au maximum 35% de l’inflation américaine (en avril 2021, selon l’IPC). La contribution de l’inflation sous-jacente domine depuis le début. À son plus bas, en juin 2022, elle expliquait encore légèrement plus de la moitié de l’inflation totale (33% pour l’énergie, 15% pour l’alimentaire). Aujourd’hui, à la faveur de la baisse de la contribution de la composante « énergie », le croisement des courbes retient l’attention, l’inflation totale étant passée, en mars, sous l’inflation sous-jacente, pour la première fois depuis la fin 2020. Comme dans la zone euro, on peut espérer que la mécanique inflationniste soit en train d’être enrayée aux États-Unis avec la disparition progressive des effets inflationnistes de premier tour dus à la hausse du prix des matières premières. Autre nouvelle encourageante du côté américain : l’inflation a significativement perdu en persistance en avril, d’après la dernière analyse de la Réserve fédérale de New York[1].
L’Institute of International Finance (IIF) estime, au contraire, que l’inflation dans la zone euro est essentiellement tirée, encore aujourd’hui, par l’offre, son envolée ayant été assez uniforme dans les différents pays de la zone malgré des différences importantes en termes d’écarts de production[2]. Un diagnostic renforcé, toujours d’après l’IIF, par le moindre dynamisme des salaires dans les pays dits périphériques de la zone euro, et qui permet de relativiser les craintes d’une boucle prix-salaires[3]. Le fait est que la forte progression de l’indicateur de salaires négociés de la BCE (+4,3% en g.a. au T1 2023, cf. graphique 4) est à surveiller de près compte tenu du rôle de ceux-ci dans la formation et la dynamique des prix des services, et donc dans l’inertie de l’inflation[4].
Un graphique présenté notamment par Philip Lane apporte un éclairage intéressant sur le rôle des salaires par rapport à celui joué par les prix de l’énergie[5]. Il distingue trois types d’inflation sous-jacente : « sensible à l’énergie », « sensible aux salaires », « non-sensible à l’énergie ». L’inflation sous-jacente « sensible à l’énergie » reste nettement plus élevée que celle « sensible aux salaires » (respectivement, environ 7% et 5% en g.a. en avril 2023). De manière encourageante, ces deux types d’inflation montrent des signes de stabilisation. Quant à l’inflation sous-jacente « non sensible à l’énergie », elle est légèrement supérieure à 4% et, en avril, elle a enregistré une baisse légère mais également encourageante. On retrouve ce rôle inflationniste important des effets d’offre liés aux prix de l’énergie dans l’analyse récente de Bernanke et Blanchard (2023) sur l’origine de l’inflation américaine post-pandémie, qui corrige l’image d’une inflation tirée par la surchauffe du marché du travail[6]. D’après les auteurs, l’inflation américaine trouve son origine dans une série de chocs sur les prix des matières premières et le marché des biens (ayant entraîné diverses pénuries sectorielles).
Néanmoins, si les tensions sur le marché du travail américain n’ont pas été, jusqu’ici, le principal moteur de l’inflation outre-Atlantique – une étude de la Réserve fédérale de San Francisco montre aussi que la dynamique du coût du travail joue un rôle modeste dans l’inflation actuelle[7] – Bernanke et Blanchard estiment que les effets inflationnistes d’un marché du travail tendu sont plus persistants que ceux issus des chocs sur le marché des biens. C’est dans cette optique que le resserrement de la politique monétaire a un rôle à jouer pour contrer ces effets, contrôler l’inflation et la rapprocher de la cible de 2% en contribuant à un meilleur équilibre entre la demande et l’offre de travail.