Eco Emerging

Un délicat exercice d’équilibrisme

05/10/2020

Alors que la circulation du virus s’est de nouveau intensifiée ces dernières semaines, les autorités marocaines continuent de chercher le bon équilibre entre urgences sanitaire et économique. L’annonce du plan de soutien lors du discours du roi Mohammed VI illustre cette stratégie. Si le montant annoncé est important (MAD 120 mds, soit 11% du PIB), les mécanismes mis en place devraient permettre de limiter la pression sur les finances publiques. Plus de 60% sont en effet constitués de crédits garantis par l’État. À l’image du fonds COVID, il est aussi prévu que les deux tiers de la dotation du nouveau fonds d’investissement (MAD 45 mds) soient couverts par des investisseurs privés et institutionnels. Le soutien de la politique monétaire passe par la mobilisation rapide des outils conventionnels, mais la banque centrale refuse d’intervenir directement dans le financement du Trésor. Dans un environnement instable, cette volonté de préserver la stabilité macroéconomique rassure. Néanmoins, les perspectives de rebond après le choc de 2020 restent incertaines.

Chute significative de l’activité

PRÉVISIONS
TAUX DE CROISSANCE

L’économie marocaine, déjà pénalisée au T1 2020 par la contraction de 5% de la valeur ajoutée agricole, en raison de conditions climatiques défavorables, a connu une chute spectaculaire de son activité au T2. Selon le Haut-commissariat au plan, la contraction du PIB a atteint 14,9% en glissement annuel (graphique?1). Avec un confinement imposé très tôt, la demande domestique s’est écroulée, aussi bien l’investissement (-17,4% en g.a.) que la consommation des ménages (-21,2%), en dépit d’une inflation extrêmement basse (0,5% en moyenne sur les sept premiers mois de l’année). De plus, en raison de sa dépendance au marché européen et du poids élevé du tourisme, le pays a subi un choc extérieur puissant. Le repli de 21,4% en g.a. de l’indice de la production manufacturière, hors raffinage de pétrole, au T2 s’explique ainsi en grande partie par les difficultés des filières exportatrices, secteur automobile en tête (-57%). L’effondrement de 90% de la valeur ajoutée de la branche « hôtellerie, restauration » a amputé la croissance de 2,3 points de pourcentage. Malgré la bonne tenue des services financiers, le secteur tertiaire (50% du PIB) s’est contracté de 14,9% au T2.

Si une amélioration est attendue au second semestre grâce à la levée du confinement depuis juin, la récession s’annonce donc sévère, à 5,8%. En outre, les risques sont baissiers, à l’image des récentes mesures de restriction à Casablanca.

Néanmoins, la dégradation aurait pu être plus sévère encore sans l’intervention rapide des autorités. La banque centrale a notamment ramené son taux directeur à 1,5% contre 2,25% avant la crise et n’exige plus de dépôts des banques commerciales au titre des réserves obligatoires. Combiné à la mise en place de crédits garantis par l’État et d’un assouplissement des règles de provisionnement face au report des échéances et des restructurations de prêts, les banques ont ainsi continué de soutenir l’économie. À fin juillet, le volume des crédits bancaires était en hausse de 5,8% en glissement annuel, une dynamique qui s’explique en grande partie par les besoins accrus en fonds de roulement des entreprises. Près de 60% de la hausse des encours depuis mars provient des crédits de trésorerie. Malgré une pression accrue sur la liquidité bancaire, les conditions d’emprunt des entreprises s’améliorent (baisse du taux débiteur moyen de 33 points de base sur les 6 premiers mois de l’année à 4,58) et les prêts non performants sur les entreprises ne se sont pas envolés (+12% en g.a. contre +17% pour les ménages à fin juillet).

Position extérieure solide malgré le choc du tourisme

Les autorités ont également agi avec prudence en tirant début avril sur la totalité de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) du FMI, soit environ USD 3 mds. Les réserves de change ont ainsi gonflé de 13% à la suite de cette opération (graph. 2), atténuant de facto les pressions qui avaient commencé à émerger sur le dirham (MAD). La bande de fluctuation du MAD a été élargie en mars à +/-5% autour de son cours pivot composé à 60% d’euro et 40% de dollar US. Alors que le MAD s’est immédiatement déprécié de 5-6% contre ses deux monnaies de référence, il s’est stabilisé depuis avril à l’intérieur de la bande de fluctuation sans intervention de la banque centrale. Avec des réserves de change qui couvrent désormais plus de 7 mois d’importations, la position extérieure apparaît ainsi solide pour faire face à de potentielles tensions.

De fait, le choc attendu ne s’est pas encore matérialisé. Si les principales sources de devises se sont effondrées sur les sept premiers mois de l’année (exportations : -17% , recettes touristiques : -44%), les importations se sont également contractées de 17% sous le double effet de la chute de la demande domestique et du retournement des cours du pétrole. Même hors énergie, le déficit commercial s’est résorbé de 10%. Toutefois, la balance commerciale est amenée à se détériorer à mesure que la demande se redressera alors que les pertes sur les recettes touristiques devraient atteindre 4% du PIB. La résilience des transferts financiers de la diaspora marocaine (-3,2%) est aussi sujette à caution. Le déficit courant devrait approcher 7% du PIB en 2020. Avec des investissements directs étrangers en berne, les autorités ont donc décidé de se tourner une nouvelle fois vers les marchés financiers internationaux pour combler le besoin de financement non couvert par l’assistance des bailleurs de fonds, pourtant massive. Comme attendu, l’émission de EUR 1 md d’Eurobonds a été bien accueillie par les investisseurs. Malgré une mobilisation accrue des financements extérieurs, l’endettement en devise reste sous contrôle (54% du PIB en 2020).

Finances publiques : une envolée de la dette tenable

RÉSERVES DE CHANGES

La pression sur les finances publiques est significative. Sur les huit premiers mois de l’année, les ressources fiscales et non fiscales affichent des replis de 8% et 14% respectivement. Malgré des dépenses quasi stables, grâce aux économies faites sur les subventions énergétiques et à un contrôle accru sur les investissements, le déficit budgétaire s’est creusé de 50% par rapport à août 2019 et une loi de finances rectificatives a dû être votée pour la première fois depuis 1990.

Le déficit est désormais attendu à 7,6% du PIB contre une cible initiale de 3,8%, alors même que l’essentiel du programme de soutien a transité par le fonds Covid dont l’enveloppe de MAD 33,7 mds est constituée aux deux tiers de dons. La dette du gouvernement devrait s’alourdir de plus 10 points à 76% du PIB. En outre, il existe des risques budgétaires contingents à la situation financière des entreprises publiques également affectées par la crise. La dette extérieure garantie par l’État atteignait 15,5% du PIB en 2019. Or, celle-ci n’est pas incluse dans le périmètre de la dette du gouvernement.

Néanmoins, la dégradation des finances publiques reste supportable dans la mesure où l’État continue de se financer à des conditions avantageuses. En dépit d’un gros volume d’émissions depuis le début de l’année, les taux des bons du Trésor n’ont ainsi jamais été aussi bas, ce qui devrait permettre de contenir la charge d’intérêts à moins de 13% des ressources budgétaires. De plus, la structure de la dette est peu risquée car composée à 78% de MAD.

Une reprise en 2021 déjà contrariée ?

La capacité de rebond de l’économie marocaine est difficile à évaluer. Si une meilleure campagne agricole est espérée en 2021 après deux années difficiles, le redressement des activités hors agriculture ne sera que graduel dans le meilleur des cas. Selon les dernières estimations de la banque centrale, les recettes touristiques pourraient doubler en 2021 si les conditions sanitaires le permettent mais leur niveau resterait 60% inférieur à celui de 2019. Un retour à la normale pour l’activité industrielle reste également hypothétique, même si une hausse de la production d’automobile dans la toute récente usine de PSA devrait permettre de soutenir les exportations. Surtout, les incertitudes sur la santé du tissu économique sont nombreuses.

Les mesures mises en place ont certes permis d’atténuer le choc mais elles n’empêcheront pas une montée des défaillances à mesure qu’elles prendront fin. Un stress test réalisé récemment par la banque centrale anticipe ainsi une hausse du taux de créances non-performantes à 9,9% fin 2020 et 10,8% fin 2021 contre 7,6% en 2019 (8,2% en juillet 2020). La stabilité du système financier n’est pas remise en question mais les autorités monétaires ont prévenu qu’un nouvel exercice sera mené d’ici la fin de l’année pour tenir compte de l’évolution de la situation. En d’autres termes, une hausse encore plus significative des créances non-performantes n’est pas à écarter. Le comportement des ménages demeure également une inconnue. Alors que la hausse du chômage est restée relativement contenue au T2 (+1,8 point à 12,3%), en particulier en zone urbaine (+0,5 point), la chute concomitante de 10 points de l’indice de confiance des ménages, à un niveau historiquement bas, semble traduire une détérioration marquée des conditions de vie.

Dernière inconnue : quelle sera la portée du plan de relance ? La dynamique de croissance était déjà modeste avant le choc de la pandémie malgré un taux d’investissement élevé, public comme privé. L’efficacité de la dépense publique va généralement de pair avec la mise en place de réformes structurelles qui peuvent être retardées dans un contexte difficile pour la population. Dans tous les cas, les marges de manœuvre seront étroites car la dette du gouvernement (bien que soutenable) commence à être élevée. La volonté de préserver le statut « Investment Grade » du pays devrait également inciter à la modération

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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