Après le grand plongeon, le grand rebond
D’après la deuxième estimation de l’INSEE, le PIB français a chuté de 13,8% t/t au T2 2020, après déjà -5,9% t/t au T1. La contraction du PIB au T2 est un peu moins importante que d’après la première prévision de l’INSEE (-20% t/t) ou de la Banque de France (-15% t/t), rehaussées ensuite à -17% et -14%, respectivement. Comme au T1, mais en plus prononcé, l’ensemble des composantes du PIB ont accusé une chute considérable. Par ordre croissant d’ampleur de la baisse, la consommation publique arrive en premier (-10,3% t/t) [1], suivie de la consommation privée (-11,8%), de l’investissement des entreprises non financières (-13,4%), des importations (-16,4%), de l’investissement des ménages (-17,1%), de celui des administrations publiques (-17,4%) et, enfin, des exportations (-25% t/t). La contribution très positive des variations de stocks (+0,9 point de pourcentage) atténue un peu la chute globale.
On retiendra aussi, des résultats détaillés des comptes trimestriels du T2, la baisse très amortie du revenu disponible brut des ménages (-2,3% t/t après -0,3% t/t au T1), le bond qui s’ensuit de près de 8 points de leur taux d’épargne (à 27,4%, après déjà +5 points au T1) et la détérioration marquée du taux de marge des sociétés non financières (-3 points au T2, à 26%, après déjà -4 points au T1). La question qui se pose désormais est de savoir à quelle vitesse ces indicateurs vont retrouver leur niveau d’avant-crise (15% pour le taux d’épargne et 33% pour le taux de marge) et l’ampleur du soutien (déblocage de l’épargne forcée) et du frein (reconstitution des marges) à la croissance que cela représentera.
La baisse un peu moins importante qu’anticipé du PIB au T2 résulte de la vigueur du redémarrage de l’économie depuis le 11 mai dernier et la sortie du confinement. Le rebond est visible notamment dans le redressement des enquêtes sur le climat des affaires (+38 points entre mai et août pour l’indice composite de l’INSEE, +46 points pour le PMI de Markit entre mai et juillet), des dépenses de consommation des ménages en biens et de la production industrielle (+50% et +41% entre avril et juillet, respectivement).
Il reste toutefois incomplet. L’INSEE, comme la Banque de France, estime que l’économie était, en août, à 95% de son niveau normal. L’indice composite du climat des affaires de l’INSEE reste 9 points sous sa moyenne de référence 100. La consommation en biens a dépassé son niveau d’avant-crise mais celle de services reste déprimée, laissant, en août, la consommation totale 2% en-deçà de son niveau d’avant-crise selon l’INSEE. La production industrielle est encore 7% sous son niveau de février 2020. De plus, le rythme du retour à la normale se fait plus asymptotique à mesure que les effets mécaniques du rattrapage s’estompent, et du fait des contraintes et incertitudes sanitaires qui persistent. En mai, selon l’INSEE, l’économie fonctionnait à 82% de son niveau normal, une amélioration de 12 points par rapport à avril (au moment du creux). En juin, le gain se montait à 9 points, en juillet à 3 points et en août à 1 point. Le recul de l’indice PMI, de 6 points à 51,6 en août, marque aussi le retour à une réalité moins optimiste.
Le redressement de l’économie reste également freiné par les fortes disparités sectorielles qui affectent aussi les perspectives d’emploi. Les secteurs les plus en difficulté (perte d’activité au T3 2020 par rapport au T4 2019 égale ou supérieure à 5%) comptent, en effet, pour environ 40% de l’emploi (cf. graphique 2).
Le rebond mécanique de la croissance au T3 s’annonce toutefois important (17% t/t selon l’INSEE, 16% selon la Banque de France, 13% selon nous). Mais ce qui est récupéré au T3 se fait au détriment du T4 : la croissance retomberait comme un soufflé à 2,5% t/t d’après nos prévisions (1% t/t selon l’INSEE). Sur l’ensemble de 2020, la contraction du PIB atteindrait 9,8%. Toutes choses égales par ailleurs, le moindre élan de la croissance fin 2020 pèsera aussi sur 2021. Mais c’est sans compter le plan de relance dont nous estimons l’impact sur la croissance à +0,6 point (sous l’hypothèse conservatrice d’un multiplicateur de 0,5 et que 30% des EUR 100 mds de France Relance sont injectés en 2021). En 2021, la croissance s’élèverait ainsi à 6,9% en moyenne annuelle (comme le consensus). Cette prévision est assortie de risques équilibrés : le plan de relance représente un risque haussier mais la situation sanitaire et les incertitudes liées au Brexit et aux élections américaines constituent des risques baissiers. Pour reprendre les termes de l’INSEE, le moteur de la croissance est à la fois bridé et dopé. À titre de comparaison, l’OCDE est plus pessimiste (5,8%) et la Banque de France plus optimiste (7,4%), ainsi que le gouvernement (8%), sachant que la Banque de France précise ne tenir que partiellement compte du plan de relance faute de disposer de tous les détails. À noter aussi que, d’après la Banque centrale, le PIB français reviendrait à son niveau d’avant-crise début 2022, plus vite que la zone euro.
France Relance : un renfort budgétaire de taille mais dont il est difficile, à ce stade, de juger de l’efficacité
Les enjeux du plan France Relance sont grands puisqu’il s’agit non seulement de soutenir la croissance à court terme (éviter que le redémarrage en cours ne fasse long feu, avec en ligne de mire le retour du PIB à son niveau d’avant-crise en 2022) et aussi de la renforcer à moyen-long terme pour « construire aujourd’hui la France de 2030 ». D’où l’accent mis sur les mesures d’offre plutôt que de demande. Le soutien important aux entreprises vient aussi du coût de la crise, plus élevé pour elles que pour les ménages. Dans le plan de relance, le soutien à ces derniers passe par le soutien à l’emploi, et celui-ci passe par le soutien aux entreprises dans le volet « compétitivité », mais pas seulement. D’autres mesures, plus directes, sont consacrées à l’emploi dans le volet « cohésion ». Des retombées positives peuvent également être attendues du soutien à la transition écologique. L’emploi est la variable charnière entre l’offre et la demande. Ce n’est pas sans raison qu’il est au cœur du plan de relance.
Les sommes mises sur la table sont importantes à n’en pas douter. Elles se répartissent, à dessein, de manière à peu près équilibrée, entre les trois piliers du plan (écologie, compétitivité, cohésion), peu contestables dans leur formulation. Tout le débat porte désormais sur l’efficacité que l’on peut attendre de ce plan, à court terme comme à long terme. Or, il est encore difficile d’en juger pour le moment. Plus exactement, si on peut en attendre un effet positif, son ampleur est incertaine.
Se pose, pour commencer, la question de la vitesse à laquelle les EUR 100 mds vont être réellement injectés, de leur répartition entre 2021 et 2022 et entre mesures front-loaded et back-loaded. On espère des éclaircissements à ce sujet lors de la présentation, fin septembre, du budget 2021. L’efficacité du plan pourrait aussi être desservie par son ambition et un risque de déperdition et de dilution. On peut, en effet, se demander si le double rôle d’amortisseur (des séquelles de la crise) et de renfort (du redémarrage en cours et de la croissance de demain) n’est pas trop ambitieux pour un seul plan. On peut, de même, s’inquiéter de ce qu’un instrument (par exemple, la baisse des impôts de production) serve plusieurs objectifs (la compétitivité, l’emploi, l’innovation, la relocalisation). Ce qui amène à la question de la suffisance des moyens engagés, en montant et dans la durée. Celle du ciblage et de la bonne allocation des ressources est également sous-jacente : ce sera un point de vigilance du gouvernement.
Le parti pris du soutien à l’offre n’est pas sans risque non plus. Depuis l’été, en effet, le risque d’un choc significatif de demande émerge des enquêtes de conjoncture : d’après l’INSEE, les entreprises sont nombreuses à craindre de perdre des débouchés. Les soutenir en réduisant leurs coûts de production et en augmentant leur potentiel de développement par l’innovation est nécessaire, mais il n’est pas certain que ce soit suffisant dans les circonstances actuelles : un soutien à la demande, plus direct, visible et immédiat, est peut-être à considérer. Pour ce faire, les regards se tournent vers la manne de l’épargne forcée accumulée par les ménages, la meilleure manière de la débloquer au plus vite et d’éviter qu’elle ne se transforme en épargne de précaution. Or, il n’y a pas de réponse évidente. Le gouvernement n’a, ainsi, pour l’instant, pas retenu l’option d’une baisse temporaire de la TVA comme en Allemagne, la jugeant inappropriée. Il mise sur l’effet positif du plan de relance sur l’emploi : plus les ménages seront rassurés sur ce front, plus ils consommeront.