L’Espagne a été l’économie la plus touchée par la Covid-19 au sein de la zone euro. Le PIB réel a ainsi plongé de 18,5% au deuxième trimestre. Les baisses ont été très marquées pour l’ensemble des composants de la demande (consommation, investissement et exportations). Nous prévoyons désormais une contraction du PIB de 13,0% en 2020, suivie d’un redressement de 5,0% en 2021.
Pour faire face à la recrudescence des cas de contamination dans le pays, de nouvelles restrictions ont été mises en place à l’échelle locale (Madrid, Murcie, Girone). L’aggravation de l’épidémie pourrait freiner la reprise de l’activité économique dans les mois à venir, bien que la situation actuelle n’a, pour l’heure, rien de comparable avec celle de février-mars. L’indicateur de confiance des directeurs d’achat (PMI) a rebasculé en zone de contraction de l’activité en août (48,4 pour l’indice composite).
L’industrie « tire » la reprise
L’industrie a connu néanmoins une reprise vigoureuse au cours de l’été, portée par un rebond des biens de consommation et, notamment, des biens durables. En effet, les ventes d’automobiles sont repassées dès juillet au-dessus de leur niveau du début d’année, avant de fléchir en août. La mise en place en juin du dispositif gouvernemental « Renove 2020 », qui subventionne l’achat de véhicules plus propres, a stimulé la demande. Ainsi, la production industrielle n’était en juillet plus que 3,5% en dessous de son niveau d’avant-crise.
Cette reprise de la demande en biens de consommation s’observe ailleurs en Europe (France, Italie). Elle a permis à l’Espagne un redressement de ses exportations plus conséquent que celui de ses importations. La balance commerciale s’est ainsi fortement améliorée, enregistrant en juin un surplus (EUR 746,9 millions), ce qui n’était pas arrivé depuis le démarrage des statistiques actuelles.[1] Cette hausse ne compense néanmoins que partiellement les pertes de revenus liées à l’activité touristique, qui ont fait plonger la balance des services. Le compte courant s’est, en conséquence, détérioré cet été.
En effet, l’économie espagnole reste structurellement plus exposée à la crise actuelle que ses voisins européens, car elle repose davantage sur les services, des secteurs peu concurrentiels (commerce de détail, construction, hôtellerie, restauration), et les petites entreprises.[2] Ces activités sont les plus touchées par les restrictions sanitaires, ainsi que par la chute du tourisme. Ce dernier a eu, en effet, beaucoup de mal à se relever au cours de l’été. En juillet, le taux d’occupation hôtelier s’établissait ainsi à seulement 35,6%.
Il est encore trop tôt pour juger de l’impact total de cette crise sur le marché du travail. Le taux de chômage est remonté à 15,8% en juillet et le niveau d’emploi restait, en août, bien en dessous de celui du début d’année (-3,5% par rapport à février).[3] Cependant, on observe une reprise progressive, bien que modérée, du retour à l’emploi depuis le déconfinement. Les indices PMI pointent par ailleurs vers une poursuite de cette tendance (cf. graphique 2). Ce redressement reste bien entendu fragile et dépendra étroitement de l’évolution de l’épidémie dans les prochaines semaines et les prochains mois.
Les jeunes travailleurs ont néanmoins été frappés plus durement par la crise du fait de contrats souvent plus précaires (de courtes durées, saisonniers, intérimaires). Le taux de chômage pour les 15-24 ans a ainsi augmenté de plus de 10 points cette année, jusqu’à atteindre 41,7% en juillet. Même si ce taux reste près de quinze points inférieur au pic de 2013[4], la réintégration de cette catégorie de travailleurs restera l’un des défis majeurs de l’exécutif espagnol pour les années à venir.
Casse-tête budgétaire
Le gouvernement espagnol fait face, à l’instar d’autres pays, au casse-tête du recalibrage du dispositif de chômage partiel (ERTE). Le dispositif actuel, qui expirera pour l’heure le 30 septembre, sera certainement prolongé. Mais il devra devenir plus sélectif et se limiter aux secteurs les plus touchés par les restrictions sanitaires ou ceux faisant face aux périodes de récupération économique les plus longues (aéronautique, automobiles notamment). En contrepartie, le ministère du Travail a prolongé le durcissement des conditions de licenciement jusqu’en 2021, durcissement qui se traduit principalement par une hausse des indemnités de licenciement. Selon le ministère, il y avait fin août près de 813 000 travailleurs au chômage partiel, contre environ 3,4 millions au plus fort du confinement en mai.
Cet ajustement des mesures de soutien à l’emploi s’exerce, bien entendu, dans un contexte de forte dégradation des finances publiques. La Banque d’Espagne, dans ses dernières projections de septembre, prévoit désormais un déficit budgétaire compris entre 10,8% et 12,1% du PIB suivant le scénario envisagé.[5] Le ratio de dette sur PIB augmente, dans les deux scénarios, de plus de 20 points (entre 116,8% et 120,6%).
Les sommes allouées à l’Espagne par le Fonds de relance européen (Next Generation EU) devraient néanmoins permettre au gouvernement de Pedro Sanchez la mise en place d’un plan de relance conséquent. Selon les termes de l’accord obtenu le 21 juillet, l’Espagne obtiendrait EUR 72,7 mds de subventions, une somme étalée jusqu’en 2026, qui équivaut à 5,8% du PIB national.
Pour percevoir ces fonds, le plan de relance national devra recevoir l’aval de la Commission européenne. Le gouvernement a d’ores et déjà dévoilé un grand programme d’investissement dans le secteur du numérique (España 2025). Ce programme, mené conjointement par le secteur public et le secteur privé, s’étalera jusqu’en 2025, et mobilisera au total EUR 140 mds, dont EUR 70 mds seront alloués entre 2020 et 2023. Après des mesures d’urgence prises cet été, notamment pour soutenir le secteur automobile et le tourisme, le gouvernement tracera dans les prochains mois une feuille de route, qui sera centrée davantage sur la compétitivité et la transformation économique du pays.
Vers une déflation dans les services ?
La chute d’activité du premier semestre a un effet baissier de plus en plus notable sur les prix à la consommation. L’indice des prix à la consommation (IPC) enregistrait une baisse de 0,52% en glissement annuel (g.a.) en août. L’IPC sous-jacent (hors énergie et aliments périssables) n’a grimpé que de 0,43% (g.a.) en août, soit la plus faible hausse depuis avril 2015. Cela est en partie dû aux prix des services, secteur dont l’activité a été affectée bien plus fortement de d’autres par les mesures de restriction. En effet, la baisse de l’IPC des services (hors loyers), au cours des six derniers mois, était la plus marquée depuis le début des statistiques actuelles (janvier 2002). Au cours des six derniers mois, les prix ont chuté dans les loisirs, l’événementiel, la restauration et l’hôtellerie, venant s’ajouter à la baisse des prix dans les transports, ceux du gaz et de l’électricité (cf. tableau 1).
L’impact baissier est également visible sur le marché immobilier malgré des taux d’emprunt historiquement bas.[6] Les prix immobiliers ont ainsi chuté de 2,3% entre août et mai (indice TINSA)[7] . Malgré cela, l’inflation pourrait remonter en 2021, à mesure que l’effet de la chute ades prix de l’énergie, observée au début de l’année 2020, s’atténue.