La reprise économique s’essouffle en zone euro. Après une chute historique de l’activité au T2 2020 et un rebond mécanique au T3, la croissance économique devrait nettement baisser les prochains trimestres. L’évolution récente de l’inflation préoccupe pour les autorités monétaires.
Un rattrapage incomplet
La stabilisation des indicateurs les plus récents appelle à la prudence. Suite à la levée des mesures de confinement, l’activité a rebondi de manière sensible avant de marquer le pas. L’indice des directeurs d’achats (Purchasing Managers Index, PMI)[1] composite pour la zone euro s’est établi à 51,9 en août après 54,9 en juillet. L’activité continue donc de progresser mais à un rythme moindre que les mois précédents. Le constat est similaire dans le secteur des services marchands dont l’indice PMI a baissé en août à 50,5 après 54 en juillet. Dans le secteur manufacturier, le PMI s’est stabilisé à 51,7 en août. Le secteur des services continue de pâtir de la prudence des consommateurs. Les services, qui occupent une place croissante et majoritaire dans les dépenses des ménages (plus de 50% du total en zone euro)[2], souffrent notamment du manque de confiance des consommateurs de la zone euro. En effet, leur indice de confiance ne s’améliore plus depuis le mois de juin et reste dégradé par rapport aux mois précédant le confinement (-14,7 en août contre -11,6 en mars et -6,6 février). Ce constat se reflète dans les ventes au détail. Bien qu’imparfaitement représentatives de la consommation finale des ménages, celles-ci, après avoir lourdement chuté, n’ont affiché qu’un redressement timide. Elles ont progressé seulement de +1,3% (en glissement annuel) en juin avant de ralentir à +0,4% en juillet.
Au total, nous anticipons un rebond du PIB de la zone euro au T3 2020 de +9,0% (en variations trimestrielles, t/t), après une baisse de -12,1% au T2 2020 et avant un net ralentissement au T4 à +1,5%. Sur l’ensemble de l’année 2020, la croissance économique devrait s’établir à -8,0% (en moyenne annuelle) avant de se redresser à + 5,2% en 2021. Ces dynamiques ne permettraient pas à l’activité de retrouver, à l’horizon de notre prévision, son niveau antérieur à la crise de la Covid-19 (cf. graphique 2). Des disparités importantes existent entre les États membres de la zone euro. La divergence des dynamiques de rattrapage pèserait sur la reprise de chaque pays compte tenu de l’intégration, commerciale notamment, de la zone. De fortes incertitudes entourent le scénario macroéconomique, au regard en particulier du retour actuel de l’épidémie dans certains pays de la zone euro. Selon une estimation de la Banque centrale européenne (BCE), dans un scénario pessimiste (forte résurgence de l’épidémie et mesures sanitaires renforcées), le niveau du PIB réel de la zone euro serait, fin 2022, encore inférieur de près de 6% à son niveau d’avant-crise.
Inquiétudes sur l’inflation
Dans un contexte macroéconomique qui demeure dégradé et incertain, les pressions désinflationnistes semblent se renforcer. Au mois d’août, l’inflation totale en zone euro est passée en territoire négatif, à -0,2% (en glissement annuel), pour la première fois depuis mi-2016. L’inflation sous-jacente[3] a, quant à elle, très nettement reculé à +0,4%, soit un point bas historique. Dans le détail, la plus forte décélération des prix depuis le début de l’année 2020 s’observe dans le secteur des transports, ce qui n’est pas vraiment surprenant compte tenu de la forte baisse des flux de touristes depuis le début de l’épidémie. Les chiffres d’inflation des derniers mois doivent être interprétés avec précaution. Une partie du ralentissement des prix provient en effet du décalage des périodes de soldes dans certains pays de la zone euro (en France, par exemple), ainsi que de la baisse de la TVA opérée en Allemagne dans le cadre du plan de relance de l’économie. Si parler de déflation semble prématuré[4], ces dynamiques interpellent toutefois et la BCE fait face à une situation délicate.
Le choc de demande négatif provoqué par la crise de la Covid-19 pèse sur la dynamique des prix. Celle-ci est renforcée par l’appréciation de l’euro face au dollar, mais également face à un panier de devises représentatif du commerce extérieur de la zone euro (taux de change effectif nominal, TCEN). Cette appréciation diminue l’inflation importée ce qui freine in fine l’inflation nationale. Si l’influence des mouvements de change, surtout ceux d’une ampleur modérée, est moins importante que par le passé, la situation est néanmoins suivie de près par les autorités monétaires. Par ailleurs, le mouvement récent de la Réserve fédérale américaine (Fed) pourrait impliquer des changements d’orientation des autres banques centrales. La Fed a modifié sa cible d’inflation, visant désormais un taux d’inflation moyen de 2%. Conséquence : une remontée des taux aux États-Unis n’est pas pour demain. La Fed introduit un biais plus accommodant à sa politique qui constitue un soutien structurel à l’euro face au dollar. La BCE, qui a engagé sa propre revue stratégique, devrait en tenir compte.
Lors de sa réunion trimestrielle de septembre 2020, la BCE, par la voix de sa présidente Christine Lagarde, a indiqué que la question du change était importante, sans toutefois procéder, dans l’immédiat, à de nouveaux changements dans la conduite de sa politique monétaire. Les fortes incertitudes actuelles, un essoufflement accru de la reprise ou un resserrement des conditions financières, via la poursuite de l’appréciation de la monnaie unique, pourraient conduire la BCE à étendre son programme d’urgence de rachats d’actifs (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP) au-delà de juin 2021, ainsi qu’à augmenter son enveloppe, actuellement de EUR 1 350 mds. Il apparaît clair à la lecture du blog de l’institution de Francfort que celle-ci est prête à faire davantage. Récemment, son chef économiste Philip Lane y écrivait : “It should be abundantly clear that there is no room for complacency. Inflation remains far below the aim and there has been only partial progress in combating the negative impact of the pandemic on projected inflation dynamics”.
Les plans de relances nationaux constituent également un pilier essentiel à la relance. Le risque de défaut et celui de hausse du chômage ces prochains mois sont particulièrement élevés. À l’échelle européenne, l’accord conclu autour du plan de relance « Next Generation EU » est une étape-clé et l’épineuse question de son financement est plus que jamais d’actualité. Par leur vote du 16 septembre 2020, les députés européens ont pris position sur la nécessité d’introduire de nouvelles sources de recettes dans le budget de l’Union (ressources propres). Ces nouvelles taxes, qui viseraient par exemple les entreprises du numérique, pourraient toutefois faire renaître des oppositions entre les États membres.