Traditionnellement, l’assouplissement de la politique monétaire commence dès que l’économie connaît un net ralentissement ; il s’accélère en phase de récession et se poursuit bien après le début du redressement, jusqu’à ce que l’économie soit manifestement en mesure de « voler de ses propres ailes ». Au cours de ces phases, plusieurs faits stylisés peuvent apparaître : la montée des craintes de récession entraîne un repli des marchés boursiers, ainsi qu’une hausse des rendements des obligations d’entreprises, et rend plus difficile l’accès au financement, par le biais des marchés de capitaux comme des banques.
Inévitablement, la confiance et l’activité reculent. Les baisses de taux d’intérêt doivent alors restaurer la confiance, ce qui, à son tour, stimule l’appétit pour le risque. On assiste alors à un rebond des marchés des actions et des obligations d’entreprises et à une amélioration de l’accès au crédit. La croissance se redresse, annonçant le début d’une reprise.
Dans la situation actuelle, ces canaux de transmission seront probablement moins efficaces ; autrement dit, le coup de pouce donné à la croissance et à l’inflation sera moins significatif : les indices boursiers se situent, en effet, à des niveaux élevés, les spreads des obligations d’entreprises sont assez faibles et les enquêtes sur le crédit bancaire font état de conditions du crédit plutôt normales. Lorsque les liquidités sont déjà abondantes, les mesures visant à les accroître auront moins d’impact sur l’économie réelle que lorsque l’accès au crédit est sérieusement restreint, comme en phase de récession. De toute évidence, le marché actions s’est félicité de la perspective d’un assouplissement monétaire supplémentaire (le S&P500 a battu un nouveau record) et le marché immobilier devrait bénéficier de taux d’intérêt encore plus bas.
Cependant, la mise en œuvre d’une politique de détente monétaire dans une économie de plein emploi, visant à se rapprocher de l’objectif d’inflation, pose la question de la stabilité financière. Le rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI), qui vient de paraître, résume parfaitement ce dilemme : « Le mandat relatif à la stabilité des prix trace les grandes lignes. Il amène naturellement les banques centrales à maintenir une orientation accommodante ou à assouplir davantage leur politique monétaire lorsque l’inflation est inférieure à l’objectif, même lorsque l’économie semble proche de son niveau potentiel estimé »[1]. Mais « il limite aussi les options de politique monétaire lorsqu’une telle politique pourrait avoir des effets indésirables sur l’aspect financier de l’économie à plus long terme, notamment en encourageant une prise de risques excessive ».
La dernière Revue de stabilité financière de la BCE ne dit pas autre chose. Même si l’endettement des ménages s’est stabilisé pour la zone euro dans son ensemble, à 58 % du PIB, soit un niveau légèrement inférieur au seuil de surendettement, il reste préoccupant dans certains domaines. De plus, « dans certains pays, la hausse des prix de l’immobilier, conjuguée à l’augmentation significative des volumes de prêts et/ou à l’endettement des ménages mérite une surveillance plus étroite », même si les « mesures de politique macroprudentielle, comme les exigences de fonds propres supplémentaires ou les contrôles de l’assouplissement des conditions d’emprunt, peuvent contribuer à atténuer les risques éventuels pour la stabilité financière au niveau national »[2].
En d’autres termes, et dans certains pays ou secteurs tout au moins, des règles macroprudentielles plus strictes pourraient très bien neutraliser l’impact d’une plus grande détente monétaire, et compliquer ainsi la convergence de l’inflation vers l’objectif de la BCE.