La proposition de la Commission est, enfin, créative, à plus d’un titre. Premièrement, dans son financement qui s’inspire de propositions antérieures. L’Union européenne empruntera EUR 750 mds sur les marchés financiers, essentiellement entre 2020 et 2024, et les remboursements s’étaleront jusqu’en 2058. La dette sera remboursée sur son budget et, à cette fin, de nouvelles ressources seront mises à disposition. Elles seront étroitement liées aux priorités de l’UE, telles que le changement climatique, l’économie circulaire et une fiscalité équitable. Deuxièmement, cet instrument financier s’appuie sur EUR 500 mds de subventions et EUR 250 mds de prêts. Le volet subventions est important car les prêts – même aux conditions les plus favorables – augmentent la taille de la dette publique, pouvant entraîner une hausse des rendements obligataires. Les subventions permettent d’éviter un tel écueil. Troisièmement, l’accès au financement est laissé à l’initiative de chaque Etat membre, c’est-à-dire à leur libre arbitre. Les Etats membres manifesteront probablement un intérêt certain pour les subventions, mais on peut se demander s’il en ira de même pour les prêts. Etant donné que l’UE empruntera à des conditions très bon marché, on peut supposer que de nombreux pays s’enthousiasmeront à l’idée d’exploiter ces ressources, d’autant plus que les conditions fixées pour en bénéficier ne semblent pas trop sévères.
Chaque Etat membre devra présenter un plan national « pour la reprise et la résilience », compatible avec les stratégies à long terme de l’UE, et définir des étapes en vue d’atteindre les objectifs fixés. Après examen de ces plans avec la Commission dans le cadre du Semestre européen, les Etats membres auront accès à un financement. Au cours de la conférence de presse qui a suivi cette proposition, Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission européenne et Paolo Gentiloni, commissaire à l’économie, ont répété à plusieurs reprises que ces financements ne seraient pas soumis à des conditionnalités du genre qu’on a observé par le passé.
Il reste à savoir comment cet instrument financier sera mis en œuvre. Les vingt-sept Etats membres de l’UE devront tous approuver ce plan et les discussions seront liées à celles sur le budget « normal » de l’UE – le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 – sur lequel aucun accord n’a encore été trouvé. Une large place sera faite au débat, y compris sur la manière dont les fonds doivent être répartis entre les divers pays et, bien sûr, sur le mix entre subventions et prêts. On peut se demander si les pays qui étaient, jusque-là, farouchement opposés aux subventions, considéreront que la discipline imposée dans le cadre des discussions du Semestre européen avec la Commission sera suffisante : la menace de non-décaissement de la tranche de subvention suivante, dans le cas où une étape n’aura pas été atteinte, sera-t-elle suffisamment forte ?
La Commission européenne espère qu’un accord politique sera trouvé au Conseil européen en juillet prochain. Cela permettrait de mettre les fonds rapidement à disposition pour le financement de certaines initiatives[2]. Le reste serait lié à la finalisation d’un accord sur le CFP, c’est-à-dire d’ici à la fin de l’année. Autrement dit, il faut s’attendre à une stimulation progressive de la croissance : il s’agit plus de renforcer la reprise que d’en donner le coup d’envoi. L’impact devrait néanmoins être considérable. Le staff de la Commission européenne estime que cet investissement supplémentaire de EUR 750 mds pourrait entraîner une augmentation du PIB de l’UE d’environ 1,75 % en 2021 et 2022 ainsi que la création de deux millions d’emplois. Les enjeux économiques des négociations à venir sont parfaitement clairs.