L'économie de la Malaisie a bien résisté en 2022. Sa croissance pourrait avoir dépassé 8% et les finances publiques se sont consolidées grâce à l’augmentation des revenus pétroliers. Par ailleurs, même si les comptes extérieurs ont été fragilisés par les sorties de capitaux et la hausse des importations, le solde du compte courant est resté excédentaire et le ringgit s’est modérément déprécié contre le dollar sur l’ensemble de l’année. Les perspectives pour 2023 sont moins favorables. La croissance devrait décélérer compte tenu du durcissement monétaire et du ralentissement économique mondial. Les risques sur les finances publiques restent contenus même si la dette demeure supérieure au niveau d’avant crise. Le nouveau gouvernement devrait présenter son budget au parlement fin février. Sa stratégie budgétaire devrait s’inscrire dans la continuité de celle du précédent gouvernement. La principale question porte sur la ré adoption ou non de la taxe sur les biens et services.
Nette décélération de la croissance en 2023
Sur les trois premiers trimestres de l’année 2022, la croissance a atteint 9,3%, soutenue par le dynamisme de la demande intérieure et une contribution positive des exportations nettes au troisième trimestre.
L’activité économique a été particulièrement dynamique dans le secteur de la construction et des services. La hausse des subventions sur les prix de l’énergie et de l’alimentaire a permis de limiter l’impact de l’augmentation des prix internationaux sur le pouvoir d’achat des ménages. Par ailleurs, le retour des touristes, le rebond du marché du travail et la hausse du salaire minimum ont soutenu la demande. Même si le nombre de touristes reste inférieur de 37% à ce qui prévalait avant l’épidémie de la Covid-19, il a été multiplié par plus de 3,2 depuis la réouverture des frontières en avril 2022.
De même, bien que toujours plus fragile qu’avant la crise, le marché du travail s’est sensiblement consolidé au cours des douze derniers mois. Les créations d’emplois ont augmenté de 3,6% au troisième trimestre 2022 et le taux de chômage a diminué pour s’établir à 3,7% en octobre, soit 0,7pp de moins qu’à la même époque l’année dernière. Le taux de participation a continué sa progression pour atteindre 69,7% en octobre. Les hausses de salaires se sont poursuivies en particulier dans le secteur des services (+8,7% au T3 2022), principal secteur de créations d’emplois.
Au quatrième trimestre 2022, la croissance devrait avoir sensiblement décéléré. En effet, les indicateurs d’activité montrent un ralentissement des ventes au détail et de la production industrielle depuis le mois de septembre. La confiance des entreprises s’est sensiblement dégradée conjointement à la hausse des coûts de production. De plus, les exportations ont progressivement diminué après avoir atteint un point haut en août et ce mouvement ne devrait pas s’inverser au premier trimestre 2023 en raison du rebond de l’épidémie de Covid-19 en Chine. Néanmoins, en dépit de la décélération de l’activité au quatrième trimestre, la croissance économique pourrait avoir dépassé 8% sur l’ensemble de l’année 2022.
Les prévisions de croissance pour l’année 2023 sont beaucoup moins favorables. Elles ont été revues à la baisse par la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement depuis le mois de septembre. L’économie malaise est beaucoup plus exposée à l’environnement international que les autres pays d’Asie. Or, les risques de récession en Europe et aux États-Unis sont élevés. Par ailleurs, le durcissement monétaire domestique devrait peser sur la demande intérieure. Sur les douze derniers mois, les taux d’intérêt déflatés de la hausse des prix hors produits alimentaires ont augmenté de 210 points de base. Dans ces conditions, la croissance ne devrait guère dépasser 4-4,5% à moins que l’activité en Chine ne rebondisse plus rapidement que prévu.
Consolidation des finances publiques
Les finances publiques se sont consolidées au cours de l’année 2022. Bien que toujours supérieurs au niveau d’avant crise, le déficit du gouvernement fédéral et la dette ont diminué et devraient s’établir, sur l’ensemble de l’année, à respectivement 5,3% et 62% du PIB. En revanche, certaines fragilités structurelles demeurent : la base fiscale reste relativement faible (les recettes ne devraient guère excéder 15% du PIB cette année) et le poids des dépenses rigides reste élevé (les dépenses d’intérêt et celles de retraites et de salaires des seuls fonctionnaires constituent 41% des dépenses totales).
Sur les onze premiers mois, le déficit budgétaire a diminué de 28% par rapport à la même époque l’année dernière (-0,7 point de PIB) pour atteindre 5,2% du PIB. Cette consolidation résulte d’une forte augmentation des recettes publiques (+29,5%) alors que la hausse des dépenses a été plus modeste (+11,1%) en dépit de l’augmentation significative des subventions (multipliées par près de 1,6).
Cette hausse des recettes s’explique à la fois par la forte reprise de l’activité économique, mais aussi par l’envolée des prix du pétrole. En effet, sur les trois premiers trimestres 2022, les revenus issus des activités pétrolières ont atteint des niveaux qui n’avaient pas été enregistrés depuis 2014 et ont constitué 27,3% des recettes du gouvernement. En effet, selon les dernières prévisions du ministère des Finances, les seuls dividendes versés par Petronas devraient s’être élevés à MYR50mds (soit plus de 17% des recettes totales de l’année) sans compter les prélèvements directs sur les sociétés du secteur pétrolier (7% des revenus totaux) et les taxes indirectes sur les ventes de produits pétroliers. La hausse des recettes budgétaires pour l’année 2022 ne sera donc que temporaire à moins que le nouveau gouvernement ne décide de remettre en place la taxe sur les biens et services, supprimée en 2018. Un tel projet avait été envisagé par l’ancien gouvernement mais n’avait pas été voté avant la dissolution du parlement.
Du côté des dépenses, sur les trois premiers trimestres 2022, la charge des dépenses d’intérêt rapportées aux recettes, bien que toujours supérieure au niveau d’avant-crise, a diminué à 14% contre plus de 16% en 2021.
Le budget pour l’année 2023 devrait être présenté le 24 février prochain par le nouveau Premier ministre, Anwar Ibrahim (aussi ministre des finances). Le budget initialement présenté en octobre par l’ancien gouvernement prévoyait une réduction du déficit de 5,8% du PIB en 2022 à 5,5% du PIB. Même si le nouveau gouvernement devrait poursuivre la consolidation de ses finances publiques, il a toutefois annoncé qu’il ne souhaitait pas accroître la pression fiscale et qu’il poursuivrait ses efforts de soutien à la croissance. Il souhaite notamment concentrer davantage les subventions sur les ménages les plus défavorisés. Par ailleurs, les dépenses d’investissement devraient continuer à augmenter pour pallier les défaillances en matières d’infrastructure en particulier dans le domaine des transports routiers et ferroviaires.
Au T3 2022, la dette s’est établie à 61,6% du PIB. Même si elle reste élevée, les risques de refinancement sont contenus. La dette est presque exclusivement libellée en monnaie locale (à 97,2%) et détenue principalement par les investisseurs domestiques (77,6%).
Tensions passagères sur la liquidité extérieure malgré l’excédent courant
La Malaisie a un surplus structurel de son compte courant. Bien qu’en baisse sensible au cours de l’année 2022, il est demeuré en territoire positif et devrait le rester en 2023.
En 2022, la Malaisie a bénéficié de la hausse des prix des matières premières exportées (huile de palme, hydrocarbures). Pour autant, l’augmentation des exportations sur les trois premiers trimestres de l’année (+2,2 points de PIB) a été compensée par la hausse des importations (+4,2 points de PIB), en particulier des produits alimentaires et des biens de consommation durables dans un contexte de forte accélération de la demande intérieure. Ainsi, en dépit de la hausse des recettes touristiques, le surplus du compte courant a diminué de 2,3 points de PIB par rapport à la même période l’année dernière pour atteindre seulement 1,6% du PIB. Au quatrième trimestre, la baisse des importations induite par le ralentissement économique et le retournement du prix des matières premières compensera la contraction des exportations générées notamment par la forte décélération de l’activité en Chine. Sur l’ensemble de l’année 2022, le surplus du compte courant devrait ainsi s’établir à 2% du PIB contre 3,8% en 2021.
Concernant le compte financier, comme les autres pays d’Asie du Sud, la Malaisie n’a pas été épargnée par les sorties de capitaux générées par la forte hausse des taux américains. Elles ont atteint l’équivalent de 1,9% sur les trois premiers trimestres de l’année 2022.
La part des actions détenues par les investisseurs étrangers a baissé de 0,7 point sur les douze derniers mois pour atteindre seulement 13,7% en décembre 2022. Il en est de même pour les obligations. Sur le marché obligataire domestique, les investisseurs étrangers ne détiennent plus que 12,7% des obligations (-0,8 pp en un an).
Dans un tel contexte, pour contenir la dépréciation du ringgit face au dollar, la banque centrale est intervenue sur les marchés des changes, générant ainsi une baisse des réserves de change de USD 10,4 mds entre janvier et octobre 2022. Depuis le mois de novembre, les pressions à la baisse sur les comptes extérieurs se sont atténuées. Le ringgit s’est renforcé face au dollar pour terminer l’année en baisse de seulement 4,6% et les réserves de change se sont accrues à nouveau pour atteindre USD 98 mds fin novembre 2022, soit l’équivalent de 4,9 mois d’importations de biens et services.
Le ratio de la dette extérieure rapportée au PIB reste élevé mais il a diminué à 67% du PIB au T3-2022, en dépit de la hausse de la valeur nominale de la dette. La dette libellée en devises reste élevée (67,8% de la dette totale) mais les risques de revalorisation induits par la dépréciation du ringgit restent modérés. En effet, selon la banque centrale, 67,6% de la dette en devises est soumise à des règles strictes de couverture contre le risque de change. Par ailleurs, 14,2% de la dette extérieure correspond à de la dette intra-entreprises et 11,1% à de la dette « commerciale » couverte naturellement par les opérations d’exportation à l’international.
Le retournement à la baisse des prix de certaines matières premières (l’huile de palme à partir de fin avril et le pétrole depuis le mois de juin) ainsi que la recrudescence de l’épidémie de Covid-19 en Chine et la récession attendue dans les pays avancés sont autant d’éléments qui vont peser sur les exportations du pays en 2023. Pour autant, le solde du compte courant devrait rester excédentaire en raison du ralentissement des importations.
Johanna Melka