Eco Emerging

Chili : Réformes sur fond de récession

17/01/2023
PDF

Il est peu probable que le Chili échappe à une récession en 2023. Le ralentissement de la demande mondiale pèsera sur les exportations, alors que la demande interne reste fragilisée par une inflation et des taux d’intérêts élevés en raison de la politique monétaire restrictive. Les perspectives d’investissement restent fortement liées au climat politique du pays, et notamment à la mise en œuvre des deux principales réformes annoncées par le gouvernement : le nouveau processus constitutionnel (dont le déroulement devrait se poursuivre tout au long de l’année 2023), et la mise en place de la réforme des retraites.

Récession en 2023

Prévisions du Chili

Après une croissance faible en 2022, l’économie devrait se contracter en 2023 (le PIB a déjà baissé de 1,2% t/t au T3 2022). L’inflation a ralenti mais reste élevée, à 12,8% en g.a. en décembre 2022. En conséquence, la politique monétaire restera restrictive. La Banque centrale (BC) a régulièrement relevé son taux d’intérêt au cours de l’année 2022 jusqu’à 11,25% (soit une hausse cumulée de 725 points de base depuis le mois de janvier) et les anticipations d’inflation restent largement supérieures à la cible d’inflation (3%), à 12 mois comme à 24 mois. Bien que la BC ait annoncé la fin de son cycle de hausse en octobre, de nouveaux relèvements du taux directeur ne peuvent être exclus.

On s’attend donc à un net ralentissement de la consommation des ménages. En dépit des mesures de soutien récemment annoncées par le gouvernement (destinées à aider les ménages les plus vulnérables à compenser les effets de l’inflation), le pouvoir d’achat des ménages devrait en effet continuer à s’éroder au cours des prochains trimestres. L’investissement devrait également ralentir, malgré la multiplication des mesures de soutien gouvernementales (facilitation de l’accès au financement pour les investisseurs chiliens, incitations fiscales pour les investisseurs étrangers, multiplication des projets de partenariats public-privé). La reprise de l’investissement sera bridée par le durcissement monétaire et conditionnée à l’évolution du climat politique et l’avancée des différentes mesures de réformes structurelles annoncées par le gouvernement. Dans le même temps, le ralentissement de la croissance mondiale pèsera sur le secteur exportateur.

Les deux années à venir seront surtout marquées par les réformes lancées depuis l’entrée en fonction de Garbiel Boric, il y a un peu moins d’un an : le projet pour une nouvelle constitution et la réforme du système des retraites (qui répondent de manière directe aux manifestations violentes de l’automne 2019), et plus largement à la dégradation du climat politique et social observée dans le pays depuis plusieurs décennies. La mise en place de ces réformes s’avère particulièrement délicate, le gouvernement devant composer avec une majorité réduite au Congrès et des attentes populaires très fortes. De plus, la crise économique et sanitaire a exacerbé la fragilité du système de santé et de protection sociale, en grande difficulté malgré un soutien budgétaire massif au cours des deux dernières années.

Réforme constitutionnelle : nouvelle tentative

Le premier projet de réforme constitutionnelle a été largement rejeté par 60% des votants lors du référendum organisé le 4 septembre dernier. Depuis, le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution se poursuit. Une très large majorité de la population reste favorable à une nouvelle constitution, et attend a minima des ’amendements à la constitution en vigueur. Le projet initial ne proposait pas de réforme profonde du modèle économique chilien comme la remise en cause de l’indépendance de la Banque centrale ou des droits de la propriété ou du travail. Mais, outre la garantie d’un meilleur accès de la population à un ensemble de droits sociaux (logement, éducation, accès aux soins), le projet mettait en avant de nombreux engagements écologistes, féministes et en faveur des populations autochtones (dont un système de justice qui leur aurait été propre). Ces dernières propositions ont massivement été rejetées par la population et les partis d’opposition.

Après plusieurs mois de débat, et un remaniement ministériel, le président a présenté au début du mois de décembre le nouveau processus constitutionnel. Comme pour le premier projet, un Conseil constitutionnel sera élu, en mai prochain. Celui-ci ne comptera, en revanche, que 50 membres, contre 155 pour le précédent. Le mode de scrutin a également été modifié, laissant potentiellement moins de place aux petits partis et partis indigènes (il n’y aura, cette fois, pas de quotas). En outre, le nouveau conseil sera épaulé par deux autres organes : une commission de 24 experts sera nommée par le Congrès[1] et un « comité d’admissibilité » de 14 juristes (tous nommés par le Sénat), chargés de valider les points techniques du projet.

Après un préprojet présenté à la fin du mois de janvier qui servira de base de travail, le projet devra être rédigé d’ici la fin du mois d’octobre 2023, avant d’être soumis à l’approbation populaire par un nouveau vote, prévu pour la mi-décembre. Il est quasiment certain que la nouvelle proposition sera plus modérée que ne l’était la première, notamment sur les sujets sociétaux. Il est en revanche très probable que les propositions concernant les droits sociaux, et plus généralement une augmentation de la présence de l’État dans l’économie, soient retenues. La dépense publique devrait augmenter significativement dans les années à venir afin de répondre à la demande d’amélioration du service public.

Réforme des retraites : renforcement du pilier de solidarité

La réforme du système de retraite s’inscrit dans un cadre similaire à celui de la réforme constitutionnelle. La volonté de réformer le système de retraite chilien est au cœur des débats publics depuis plus de 15 ans. Les principales revendications, et les points de réformes essentiels, sont une amélioration du taux de remplacement (c’est-à-dire le pourcentage du revenu d’activité perçu par un salarié lorsqu'il fait valoir ses droits à la retraite) et de la couverture (beaucoup de Chiliens sont exclus totalement ou partiellement du système actuel), mais aussi la gestion peu transparente des fonds de pension privés. Hormis l’ajout d’un pilier de solidarité ajouté en 2008 (permettant aux travailleurs les plus défavorisés d’accéder à un minimum retraite), et quelques modifications marginales, le système de retraite était en effet resté inchangé depuis la réforme ultralibérale du début des années 80. Le système de retraite par répartition avait alors été remplacé par un système de fonds de pension obligatoires à cotisations définies individuelles, géré par les sociétés d’administration des fonds de pension (Administradoras de Fondos de Pensiones, AFP)[2].

Inflation et taux directeur

La réforme présentée par le gouvernement à la fin du mois de novembre 2022 propose plusieurs changements structurels. D’une part, les cotisations ne reposeront plus uniquement sur les salariés, puisque leur contribution reste globalement inchangée (passant de 10% à 10,5% du salaire) et une contribution patronale de 6% du salaire est introduite (permettant de financer un pilier de solidarité renforcé, en plus de l’amélioration du taux de remplacement individuel).

D’autre part, le rôle des AFP sera dorénavant restreint à la gestion des capitaux, la gestion administrative (collecte…) étant reléguée à une nouvelle administration publique. Enfin, le marché des AFP devrait être ouvert à la concurrence.

Il est pour le moment difficile d’évaluer les conséquence fiscales de ces deux réformes majeures. Cela dit, bien que les finances publiques se soient dégradées au cours de deux dernières années (la dette publique représentait près de 38% du PIB fin 2022, après 28% fin 2019), un dérapage du déficit budgétaire est relativement peu probable. Le président Boric semble déterminé à respecter son double engagement d’augmenter les dépenses publiques en faveur de plus de justice sociale, tout en demeurant « fiscalement responsable ». Pour le moment, il semble que le principal objectif du gouvernement (maintenir la dette à un niveau inférieur à 45% du PIB d’ici la fin du mandat) reste tenu.

Achevé de rédiger le 9 janvier 2023

Hélène Drouot


[1]Pour rappel, aucune majorité ne s’est dégagée au Sénat, et la coalition de gauche ne dispose que d’un avantage de deux sièges (sur 155) au Sénat. Les deux conseils supplémentaires devraient donc permettre de limiter encore davantage les propositions jugées trop radicales dans le premier projet de constitution.

[2] Dans ce système, la pension touchée par chaque retraité ne représente, en annuités calculées sur la base d’une espérance de vie moyenne, que sa seule épargne personnelle, résultat de cotisations obligatoires, supportées par le salarié seul.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Pays émergents
Inerties dans les pays émergents

Inerties dans les pays émergents

Au cours des tous derniers mois 2022, les marchés actions des principales places émergentes font preuve d’un peu plus d’optimisme [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Chine : Nouveaux chaos

Chine : Nouveaux chaos

L’abandon soudain et mal préparé de la politique zéro Covid début décembre 2022 a plongé la Chine dans de nouvelles turbulences [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Inde : Bonne résistance des finances publiques au ralentissement

Inde : Bonne résistance des finances publiques au ralentissement

L’économie indienne a bien résisté à l’environnement extérieur en 2022 mais elle ralentit en raison notamment des pressions inflationnistes [...]

LIRE L'ARTICLE
Malaisie
Malaisie : Vers une normalisation

Malaisie : Vers une normalisation

La Malaisie a bien résisté à l’environnement international en 2022. La croissance économique pourrait avoir dépassé 8% et les finances publiques se sont consolidées grâce à l’augmentation des revenus pétroliers [...]

LIRE L'ARTICLE
Philippines
Philippines : Ralentissement limité de la croissance pour 2023

Philippines : Ralentissement limité de la croissance pour 2023

Le gouvernement philippin a maintenu les restrictions sanitaires liées à la pandémie pour une durée plus longue que la moyenne des pays émergents, certaines régions étant restées confinées jusqu’en avril 2022 [...]

LIRE L'ARTICLE
Vietnam
Vietnam : Craquements financiers dans un contexte de reprise soutenue

Vietnam : Craquements financiers dans un contexte de reprise soutenue

Le Vietnam a bénéficié d’un solide redressement de sa croissance économique en 2022, soutenu par le dynamisme du secteur exportateur et de la demande intérieure [...]

LIRE L'ARTICLE
Turquie
Turquie : Stabilisation financière encore fragile

Turquie : Stabilisation financière encore fragile

La Turquie bénéficie d’une accalmie financière depuis la mi-2022 avec une plus grande stabilité du taux de change par rapport au premier semestre, une baisse des primes de risque et des rendements obligataires [...]

LIRE L'ARTICLE
Hongrie
Hongrie : Recalibrage monétaire et budgétaire

Hongrie : Recalibrage monétaire et budgétaire

L’activité économique s’est affaiblie au troisième trimestre. Les perspectives restent sombres à court terme [...]

LIRE L'ARTICLE
Bulgarie
Bulgarie : Les autorités visent l'adoption de l'euro en 2024

Bulgarie : Les autorités visent l'adoption de l'euro en 2024

La croissance du PIB a été résiliente au cours des trois premiers trimestres de l’année 2022 mais devrait nettement ralentir en 2023 [...]

LIRE L'ARTICLE
Israël
Israël : Le bon élève économique de l'OCDE

Israël : Le bon élève économique de l'OCDE

Les performances économiques israéliennes ont été particulièrement bonnes en 2022 et restent supérieures à la moyenne des autres pays de l’OCDE [...]

LIRE L'ARTICLE
Brésil
Brésil : De nouvelles priorités

Brésil : De nouvelles priorités

Luiz Inacio Lula da Silva a débuté son troisième mandat à la présidence du Brésil dans un climat sociopolitique tendu et un environnement économique peu porteur [...]

LIRE L'ARTICLE
Maroc
Maroc : Nouveau test de résistance en 2023

Maroc : Nouveau test de résistance en 2023

L’économie marocaine continuera d’afficher des déséquilibres extérieurs et publics importants malgré le reflux des cours mondiaux des matières premières. La stabilité macroéconomique n’est toutefois pas menacée [...]

LIRE L'ARTICLE