Il est peu probable que le Chili échappe à une récession en 2023. Le ralentissement de la demande mondiale pèsera sur les exportations, alors que la demande interne reste fragilisée par une inflation et des taux d’intérêts élevés en raison de la politique monétaire restrictive. Les perspectives d’investissement restent fortement liées au climat politique du pays, et notamment à la mise en œuvre des deux principales réformes annoncées par le gouvernement : le nouveau processus constitutionnel (dont le déroulement devrait se poursuivre tout au long de l’année 2023), et la mise en place de la réforme des retraites.
Récession en 2023
Après une croissance faible en 2022, l’économie devrait se contracter en 2023 (le PIB a déjà baissé de 1,2% t/t au T3 2022). L’inflation a ralenti mais reste élevée, à 12,8% en g.a. en décembre 2022. En conséquence, la politique monétaire restera restrictive. La Banque centrale (BC) a régulièrement relevé son taux d’intérêt au cours de l’année 2022 jusqu’à 11,25% (soit une hausse cumulée de 725 points de base depuis le mois de janvier) et les anticipations d’inflation restent largement supérieures à la cible d’inflation (3%), à 12 mois comme à 24 mois. Bien que la BC ait annoncé la fin de son cycle de hausse en octobre, de nouveaux relèvements du taux directeur ne peuvent être exclus.
On s’attend donc à un net ralentissement de la consommation des ménages. En dépit des mesures de soutien récemment annoncées par le gouvernement (destinées à aider les ménages les plus vulnérables à compenser les effets de l’inflation), le pouvoir d’achat des ménages devrait en effet continuer à s’éroder au cours des prochains trimestres. L’investissement devrait également ralentir, malgré la multiplication des mesures de soutien gouvernementales (facilitation de l’accès au financement pour les investisseurs chiliens, incitations fiscales pour les investisseurs étrangers, multiplication des projets de partenariats public-privé). La reprise de l’investissement sera bridée par le durcissement monétaire et conditionnée à l’évolution du climat politique et l’avancée des différentes mesures de réformes structurelles annoncées par le gouvernement. Dans le même temps, le ralentissement de la croissance mondiale pèsera sur le secteur exportateur.
Les deux années à venir seront surtout marquées par les réformes lancées depuis l’entrée en fonction de Garbiel Boric, il y a un peu moins d’un an : le projet pour une nouvelle constitution et la réforme du système des retraites (qui répondent de manière directe aux manifestations violentes de l’automne 2019), et plus largement à la dégradation du climat politique et social observée dans le pays depuis plusieurs décennies. La mise en place de ces réformes s’avère particulièrement délicate, le gouvernement devant composer avec une majorité réduite au Congrès et des attentes populaires très fortes. De plus, la crise économique et sanitaire a exacerbé la fragilité du système de santé et de protection sociale, en grande difficulté malgré un soutien budgétaire massif au cours des deux dernières années.
Réforme constitutionnelle : nouvelle tentative
Le premier projet de réforme constitutionnelle a été largement rejeté par 60% des votants lors du référendum organisé le 4 septembre dernier. Depuis, le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution se poursuit. Une très large majorité de la population reste favorable à une nouvelle constitution, et attend a minima des ’amendements à la constitution en vigueur. Le projet initial ne proposait pas de réforme profonde du modèle économique chilien comme la remise en cause de l’indépendance de la Banque centrale ou des droits de la propriété ou du travail. Mais, outre la garantie d’un meilleur accès de la population à un ensemble de droits sociaux (logement, éducation, accès aux soins), le projet mettait en avant de nombreux engagements écologistes, féministes et en faveur des populations autochtones (dont un système de justice qui leur aurait été propre). Ces dernières propositions ont massivement été rejetées par la population et les partis d’opposition.
Après plusieurs mois de débat, et un remaniement ministériel, le président a présenté au début du mois de décembre le nouveau processus constitutionnel. Comme pour le premier projet, un Conseil constitutionnel sera élu, en mai prochain. Celui-ci ne comptera, en revanche, que 50 membres, contre 155 pour le précédent. Le mode de scrutin a également été modifié, laissant potentiellement moins de place aux petits partis et partis indigènes (il n’y aura, cette fois, pas de quotas). En outre, le nouveau conseil sera épaulé par deux autres organes : une commission de 24 experts sera nommée par le Congrès[1] et un « comité d’admissibilité » de 14 juristes (tous nommés par le Sénat), chargés de valider les points techniques du projet.
Après un préprojet présenté à la fin du mois de janvier qui servira de base de travail, le projet devra être rédigé d’ici la fin du mois d’octobre 2023, avant d’être soumis à l’approbation populaire par un nouveau vote, prévu pour la mi-décembre. Il est quasiment certain que la nouvelle proposition sera plus modérée que ne l’était la première, notamment sur les sujets sociétaux. Il est en revanche très probable que les propositions concernant les droits sociaux, et plus généralement une augmentation de la présence de l’État dans l’économie, soient retenues. La dépense publique devrait augmenter significativement dans les années à venir afin de répondre à la demande d’amélioration du service public.
Réforme des retraites : renforcement du pilier de solidarité
La réforme du système de retraite s’inscrit dans un cadre similaire à celui de la réforme constitutionnelle. La volonté de réformer le système de retraite chilien est au cœur des débats publics depuis plus de 15 ans. Les principales revendications, et les points de réformes essentiels, sont une amélioration du taux de remplacement (c’est-à-dire le pourcentage du revenu d’activité perçu par un salarié lorsqu'il fait valoir ses droits à la retraite) et de la couverture (beaucoup de Chiliens sont exclus totalement ou partiellement du système actuel), mais aussi la gestion peu transparente des fonds de pension privés. Hormis l’ajout d’un pilier de solidarité ajouté en 2008 (permettant aux travailleurs les plus défavorisés d’accéder à un minimum retraite), et quelques modifications marginales, le système de retraite était en effet resté inchangé depuis la réforme ultralibérale du début des années 80. Le système de retraite par répartition avait alors été remplacé par un système de fonds de pension obligatoires à cotisations définies individuelles, géré par les sociétés d’administration des fonds de pension (Administradoras de Fondos de Pensiones, AFP)[2].
La réforme présentée par le gouvernement à la fin du mois de novembre 2022 propose plusieurs changements structurels. D’une part, les cotisations ne reposeront plus uniquement sur les salariés, puisque leur contribution reste globalement inchangée (passant de 10% à 10,5% du salaire) et une contribution patronale de 6% du salaire est introduite (permettant de financer un pilier de solidarité renforcé, en plus de l’amélioration du taux de remplacement individuel).
D’autre part, le rôle des AFP sera dorénavant restreint à la gestion des capitaux, la gestion administrative (collecte…) étant reléguée à une nouvelle administration publique. Enfin, le marché des AFP devrait être ouvert à la concurrence.
Il est pour le moment difficile d’évaluer les conséquence fiscales de ces deux réformes majeures. Cela dit, bien que les finances publiques se soient dégradées au cours de deux dernières années (la dette publique représentait près de 38% du PIB fin 2022, après 28% fin 2019), un dérapage du déficit budgétaire est relativement peu probable. Le président Boric semble déterminé à respecter son double engagement d’augmenter les dépenses publiques en faveur de plus de justice sociale, tout en demeurant « fiscalement responsable ». Pour le moment, il semble que le principal objectif du gouvernement (maintenir la dette à un niveau inférieur à 45% du PIB d’ici la fin du mandat) reste tenu.
Hélène Drouot