Au cours des tous derniers mois 2022, les marchés actions des principales places émergentes font preuve d’un peu plus d’optimisme. Ils parient sur une relance de la croissance en Chine après la levée des restrictions sanitaires, sur l’effet positif de la baisse des prix des matières premières pour les pays importateurs et sur un impact moins sévère qu’anticipé du durcissement monétaire américain et de l’appréciation du dollar. Les deux premiers arguments sont fragiles et doivent être relativisés. Quant au choc financier, il est probablement derrière nous en effet. Mais ses conséquences négatives sur l’investissement persisteront cette année. De la même façon, l’accélération de l’inflation en 2022 pourrait avoir des effets diffus sur la consommation des ménages même si on observe un rattrapage des salaires.
Depuis le mois d’octobre, les marchés d’actions sur les principales places émergentes se redressent alors même que les indicateurs conjoncturels (PMI, exportations) sont restés dégradés jusqu’en décembre et que les principales institutions financières (FMI, Banque mondiale) prévoient un fort ralentissement de la croissance voire une récession en 2023.
Le rebond boursier est pour l’instant limité puisque l’indice MSCI a tout juste retrouvé son niveau de 2019. Cependant, il reflète le pari sur une relance de la croissance en Chine après la levée des restrictions sanitaires, l’effet positif de la baisse des prix des matières premières pour les pays importateurs, et un impact moins sévère qu’anticipé du durcissement monétaire américain. Que faut-il en penser ?
Un rebond de l’activité chinoise devrait effectivement intervenir d’ici la fin du premier trimestre par simple effet de rattrapage. Toutefois, l’incertitude reste grande quant à l’évolution de la pandémie, en particulier si la population âgée ne se vaccine pas très rapidement.
Les prix des matières premières ont effectivement sensiblement baissé depuis le printemps 2022 (-20% entre mars et décembre pour l’indice agrégé des 69 matières premières suivies par le FMI), mais leur niveau reste encore historiquement très élevé. En décembre 2022, l’augmentation médiane était encore de 40% par rapport au niveau de 2019 et 22% des matières premières avaient un cours supérieur d’au moins 80% à leur niveau de 2019.
Plus généralement, l’inflexion des taux d’inflation, généralement présentés en glissement sur un an, ne doit pas faire oublier que les niveaux de prix ont continué de progresser. Pour deux tiers des pays émergents, les glissements annuels des indices de prix à la consommation ont effectivement baissé de 1,3 point en médiane en novembre ou décembre par rapport à leur point haut de 2022, mais la hausse mensuelle était encore de 0,6% (en médiane également) au T4 2022.
La question est de savoir si les salaires auront rattrapé en 2023 l’augmentation cumulée des prix de 2021-2022. Les indications en la matière sont plutôt positives même si les données sont encore parcellaires : pour la moitié des pays pour lesquels les statistiques de salaires sont disponibles jusqu’à la fin du T3 2022 ou au début du T4, un rattrapage aurait déjà eu lieu.
Restent les changements d’anticipation sur la dureté du durcissement monétaire américain. D’un côté, les investissements nets de portefeuille dans les pays émergents se sont nettement redressés depuis le mois d’août (+USD 69,6 mds entre août et décembre selon les estimations de l’IIF contre –USD 35,9 mds entre janvier et juillet). En conséquence, la dépréciation des devises émergentes contre le dollar a fortement ralenti (-1% en médiane au cours du S2 2022 contre -7% au S1) et les primes de CDS se sont réduites ou sont restées stables au S2 (à l’exception du Pakistan et de la Tunisie).
Le choc financier du durcissement monétaire aux États-Unis et d’appréciation du dollar est probablement derrière nous. En revanche, les conséquences en termes d’activité sont encore à venir ; la directrice du FMI ayant annoncé en début d’année qu’un tiers des économies risque de connaître une récession, notamment en Europe.
Les entreprises des pays émergents auront à faire face à la baisse de la demande extérieure au moins sur la première partie de l’année et, pour celles opérant dans le secteur des matières premières, à une dégradation des termes de l’échange. S’ajoute à ces facteurs une hausse des coûts de de financement. À quelques exceptions près, le coût de l’emprunt en dollar pour les grandes entreprises est sensiblement plus élevé actuellement qu’au cours des dernières années (d’au minimum 200 points de base par rapport à la période pré- pandémique), la hausse de la prime de risque pays s’ajoutant à celle des rendements des obligations d’État américaines. Les taux d’intérêt domestiques sont également nettement supérieurs à leur niveau d’avant la pandémie et il n’est pas sûr que les petites et moyennes entreprises puissent répercuter dans leur prix de vente le coût des matières premières.
En conséquence, dans un contexte d’incertitude sur la demande, les entreprises pourraient faire preuve d’attentisme en matière d’investissement même si, corrigés de l’inflation des prix à la consommation, les taux d’intérêt réels peuvent sembler attractifs. D’après la Banque mondiale, la croissance de l’investissement des pays émergents hors Chine ralentirait de nouveau en 2023 à environ 3% contre 4% en 2022 et près de 10% en 2021.
François Faure