L’économie indienne a bien résisté à l’environnement extérieur en 2022 mais elle ralentit en raison notamment des pressions inflationnistes. Sur l’année fiscale qui s’achèvera en mars 2023, le déficit budgétaire pourrait excéder la cible initiale, mais le dépassement devrait être marginal et le ratio de la dette rapportée au PIB devrait poursuivre sa décrue. Les risques de refinancement de l’État restent contenus. En revanche, les tensions sur les comptes extérieurs devraient rester relativement fortes, en raison, notamment, de la baisse des exportations dans un contexte international défavorable. Pour autant, la banque centrale devrait être en mesure de contenir la dépréciation de la roupie. Même si les réserves de change ont sensiblement baissé, elles restent suffisantes pour couvrir les besoins de financement extérieurs du pays.
Ralentissement attendu de la croissance
Au deuxième trimestre de l’année budgétaire 2022/2023 commencée au 1er avril 2022, la croissance économique a ralenti à 6,3% en glissement annuel (g.a.) après un premier trimestre exceptionnellement élevé en raison d’effets de base favorables. Sur la deuxième partie de l’année budgétaire, la croissance ne devrait guère excéder 5% par rapport à la l’année dernière. Même si la demande intérieure devrait rester solide, son rythme de croissance serait moins soutenu que sur la première partie de l’année.
Tous les indicateurs d’activité confirment un ralentissement depuis septembre-octobre 2022, même si les investissements publics devraient rester soutenus. En outre, alors que les activités de service restent dynamiques, une contraction de la production industrielle a été enregistrée en octobre dernier, conjointement à celle des exportations. Après avoir atteint un point haut en septembre 2022, à 7,4% en g.a., l’inflation a ralenti pour s’établir à 5,9% en g.a. en novembre 2022, portée par une sensible décélération des prix alimentaires, alors que l’augmentation des prix de l’énergie est restée importante (+10,6% en g.a). Ainsi, même si l’inflation s’est établie sous la cible de 4% ±2 points de pourcentage fixée par les autorités monétaires, les pressions inflationnistes restent fortes, comme en témoigne la hausse des prix hors produits alimentaires et énergétiques qui s’est encore établie à +6% en g.a. en novembre.
Bien que moins exposée à l’environnement économique mondial que d’autres pays d’Asie, l’Inde ne sera pas épargnée par la récession attendue en Europe et aux États-Unis. Par ailleurs, le durcissement monétaire (+225 points de base entre avril et décembre 2022) devrait se poursuivre au dernier trimestre de l’année budgétaire en cours et peser sur les décisions d’investissement des entreprises, même si leur situation financière est beaucoup plus solide qu’à la veille de l’épidémie de la Covid-19. Le gouvernement devrait maintenir une politique budgétaire expansionniste afin de développer les infrastructures et soutenir le pouvoir d’achat des ménages dans un contexte pré-électoral (les élections générales étant prévues en mai 2024).
Les risques qui pèsent sur la croissance restent importants. Le marché du travail n’a pas renoué avec les niveaux d’avant-crise. Le taux de chômage reste élevé (8% en novembre) et le taux de participation, qui mesure la part de la population en activité ou en recherche d’emploi, reste structurellement bas (39,6% en novembre 2022), et inférieur au niveau d’avant-crise (42,7% fin 2019). Une partie importante de la population ne cherche pas à intégrer le marché du travail. La situation est particulièrement préoccupante pour les jeunes. Le taux de chômage des jeunes urbains agés de 20 à 24 ans a atteint 42% en octobre 2022.
À ce jour, le pays ne parvient pas à tirer profit de son avantage démographique. Selon le FMI, à moins que le gouvernement parvienne à accroître sensiblement les créations d’emplois, en particulier pour les jeunes et des femmes, la croissance potentielle s’établira à 6% à l’horizon 2027, soit 0,5 point de pourcentage en moins que ce qui était estimé avant l’épidémie de la Covid-19. À l’inverse, si le taux de participation augmente, en particulier dans les secteurs à forte productivité, et que l’intermédiation financière se développe, alors la croissance à moyen terme pourrait atteindre 7%, selon le FMI.
Bien que fragiles, les finances publiques résistent
Dans son budget établi il y a près d’un an, le gouvernement prévoyait une réduction du déficit de 6,7% du PIB à 6,4% pour l’année budgétaire qui s’achèvera au 31 mars 2023. Les États, quant à eux, avaient pour objectif de réduire leur déficit consolidé de 3,6% du PIB à 3,3% du PIB, ce qui aurait permis d’abaisser le déficit de l’ensemble des administrations bien en-deçà de 10% du PIB (contre 10,2% en 2021/2022).
Le déficit budgétaire du gouvernement central est resté contenu sur les sept premiers mois de l’année budgétaire 2022/2023. Entre avril et octobre 2022, le déficit budgétaire a atteint seulement 45,6% de sa cible annuelle, soit un niveau bien en-deçà des années précédentes (au cours des cinq dernières années, le déficit atteignait en moyenne 70,9% de sa cible annuelle à la même période). Il ne s’est ainsi élevé qu’à 4,9% du PIB. La bonne résistance des comptes publics sur ces sept premiers mois s’explique par une augmentation des recettes du gouvernement.
La hausse des recettes reflète une augmentation sensible des prélèvements sur les bénéfices des entreprises (+27,7%) et des taxes sur les biens et services (+31,5%), alors que les recettes induites par les transactions commerciales à l’international ont diminué (-18,8%) en raison de la baisse des droits d’accise sur les importations de produits énergétiques, une décision prise par le gouvernement pour contenir la hausse des prix induite par le conflit en Ukraine. Les recettes issues de la taxe sur les biens et services ont constitué la plus importante source de revenus pour le gouvernement (25,7%), reflet de la bonne tenue de l’activité économique mais aussi d’une amélioration significative de la collecte de la taxe.
Du côté des dépenses publiques, le gouvernement a adopté une politique de soutien à la croissance, en dépit d’une marge budgétaire étroite. Il est notamment parvenu à poursuivre sa politique de développement des infrastructures. Ces dépenses ont ainsi atteint sur les sept premiers mois de l’année près de 55% de leur cible annuelle.
L’objectif de déficit du gouvernement central devrait être dépassé compte tenu du ralentissement de la croissance et du niveau élevé des dépenses publiques. Celles-ci devraient ainsi atteindre près de 3% du PIB sur l’ensemble de l’année budgétaire contre seulement 1,6% du PIB avant l’épidémie de Covid-19. Par ailleurs, pour contenir l’impact de la hausse des prix des matières premières sur les ménages et les agriculteurs, le gouvernement a sensiblement augmenté les subventions sur les prix alimentaires et les engrais. Le programme d’aide alimentaire a été prolongé jusqu’à la fin de l’année 2022. Le coût supplémentaire induit par la hausse des subventions est estimé à plus de 0,7% du PIB pour l‘ensemble de l’année fiscale.
Le paiement des intérêts sur la dette est resté un poste de dépenses majeur (22,4% des dépenses entre avril et octobre 2022 y ont été consacrées), en hausse de 22,4% sur les sept premiers mois de l’année budgétaire en cours par rapport à la même période l’année dernière. Néanmoins, bien que toujours très élevé, le ratio des dépenses d’intérêt rapportées aux recettes a légèrement diminué pour la deuxième année consécutive. Le paiement des intérêts représentait ainsi 34,7% des recettes sur les sept premiers mois de l’année contre un plus haut de 40,2% au cours de l’année budgétaire 2020/2021. Cette tendance positive pourrait toutefois se dégrader à court terme compte tenu de la hausse des rendements sur les obligations du gouvernement dans le contexte de durcissement de la politique monétaire. Sur les six premiers mois de l’année budgétaire en cours, le taux moyen de rendement sur les obligations émises par le gouvernement a augmenté de 6,6% en début d’année à 7,3%.
À court et moyen terme, la consolidation des finances publiques devrait se poursuivre. Malgré la perspective des élections générales en mai 2024, le gouvernement a réaffirmé son engagement de réduire son déficit à 4,5% du PIB d’ici l’exercice budgétaire 2025/2026. Par ailleurs, même si le niveau de la dette reste élevé, les risques de refinancement sont contenus.
Sur la première partie de l’année budgétaire, le déficit a été financé presque exclusivement par l’émission de titres de dette sur le marché domestique. Après avoir atteint un point haut de 89,4% du PIB au cours de l’année 2020/2021, le ratio de dette devrait baisser pour la deuxième année consécutive et atteindre 83,5% du PIB en mars 2023. À moyen terme, le niveau de la dette devrait rester durablement au-dessus du niveau d’avant crise. Pour autant, les risques de refinancement restent contenus. La dette a une maturité longue (11,9 ans en moyenne) et les titres de dette d’un an ou moins ne constituent que 7,9% de la dette totale. Par ailleurs, la dette est libellée presque exclusivement en monnaie domestique (seulement 6,1% de la dette est libellée en devises) et détenue à plus de 93% par les résidents.
Les comptes extérieurs toujours sous pression
Les comptes extérieurs sont sous pression depuis le début du conflit en Ukraine. Importateur net de matières premières, l’Inde a vu sa facture énergétique augmenter fortement alors même qu’elle a très rapidement substitué une grande partie de ses importations de pétrole du Moyen-Orient par du pétrole en provenance de Russie (le prix du baril de l’oural a été vendu en moyenne USD30 de moins que le prix du brent depuis mars 2022). Entre avril et septembre 2022, le déficit commercial a atteint 8,9% du PIB (contre 5,1% un an auparavant)et le déficit du compte courant 3,9% du PIB. Ce dernier n’a été couvert que partiellement par les investissements directs étrangers. Le creusement du déficit courant aurait pu être beaucoup plus important sans la bonne tenue de la balance des services, dont l’excédent a augmenté de 0,5 point de PIB (pour atteindre 3,9% du PIB).
Les pressions sur les comptes extérieurs devraient rester fortes au moins sur la première partie de l’année 2023 en raison notamment de la baisse des exportations à destination de l’Europe et des États-Unis. Ainsi, sur l’ensemble de l’année 2022/2023, le déficit du compte courant devrait atteindre 3,5% du PIB contre seulement 1,2% l’année dernière. Par ailleurs, les entrées de capitaux ne suffiront pas à le couvrir, accentuant les pressions à la baisse sur les réserves de change et sur la roupie.
Même si les tensions sur la monnaie se sont allégées aux mois d’octobre et novembre 2022, elles restent fortes comme en témoignent les mouvements à la baisse enregistrés depuis début décembre. Ainsi, sur l’ensemble de l’année calendaire 2022, la roupie s’est dépréciée de 10,3% face au dollar. Le mouvement aurait pu être plus marqué sans les ventes de devises par la banque centrale. Les marges de manœuvre de cette dernière restent confortables mais elles ont sensiblement baissé avec la contraction des réserves de change (-USD 70 mds sur un an). Fin décembre, les réserves couvraient 1,4 fois les besoins de financement à court terme du pays.
Johanna Melka