Le gouvernement philippin a maintenu les restrictions sanitaires liées à la pandémie pour une durée plus longue que la moyenne des pays émergents, certaines régions étant restées confinées jusqu’en avril 2022. La phase de rebond de l’activité n’est pas encore terminée. La vigueur de la consommation des ménages, toujours alimentée par les transferts des travailleurs étrangers, devrait permettre de compenser les effets de la hausse de l’inflation et du ralentissement de la croissance mondiale. La croissance devrait ralentir en 2023 mais resterait soutenue. Toutefois, les séquelles laissées par la crise et les mesures sanitaires pèsent sur les perspectives de moyen terme.
Fort rebond en 2022
La croissance a été très soutenue en 2022 (estimée à près de 8%, après un recul de 9,5% en 2020 et une croissance de 5,7% en 2021). Elle s’explique surtout par un rebond d’activité post-Covid plus tardif que dans les autres pays de la région. Après un confinement plus strict et plus long aux Philippines (certaines régions sont restées confinées jusqu’en avril 2022), la vague de contaminations « Omicron » en 2022 a été moins sévère, d’autant que le taux de vaccination a été beaucoup plus élevé qu’initialement anticipé.
Au cours des trois premiers trimestres 2022, la consommation des ménages et l’investissement privé ont enregistré des taux de croissance très dynamiques (près de 9% et 12% respectivement, en moyenne et en g.a.). Malgré la persistance de contraintes sanitaires toujours relativement fortes en 2022 (les écoles n’ont commencé à accueillir de nouveau les élèves qu’à partir de septembre 2022), les services ont fortement contribué à la croissance au cours des trois premiers trimestres. Le retour des touristes a notamment participé au dynamisme du secteur Au total, on comptabilise plus de 2 millions d’arrivées en 2022, soit près de 15 fois le nombre enregistré en 2021. Le nombre d’arrivées reste toutefois largement en dessous du niveau d’avant-Covid (plus de 8 millions d’arrivées en 2019). Plusieurs années pourraient être nécessaires pour atteindre de nouveau ce niveau. Au T3 2022, le PIB restait encore à un niveau inférieur de 10% à celui du dernier trimestre 2019.
Par ailleurs, le taux de chômage a baissé significativement au cours des derniers mois, enregistrant un plus bas historique en novembre, à 4,2%. Cela dit, d’après la Banque centrale, le faible taux de chômage est surtout dû à une recrudescence du travail informel.
Les perspectives pour les deux années à venir demeurent relativement favorables. La croissance devrait s’établir autour de 6% en 2023, avant d’accélérer de nouveau en 2024, pour atteindre un niveau proche du potentiel de croissance estimé par le FMI (6,5%). La consommation des ménages devrait rester soutenue, en dépit de la persistance de l’inflation. Les transferts en provenance des travailleurs étrangers continueront de soutenir la consommation privée. En dollars courants, ils ont progressé de plus de 3% en 2022. Exprimés en pourcentage du PIB, les transferts sont restés globalement stables autour de 8% au cours des trois dernières années.
Dans le même temps, le ralentissement de la croissance mondiale pèsera sur le secteur exportateur, en dépit du rôle d’amortisseur joué par le retour des touristes. Cela dit, l’effet sur la croissance devrait être moins marqué que dans d’autres pays de la région, compte tenu du moindre degré d’ouverture de l’économie.
Persistance de l’inflation
L’inflation des prix à la consommation a accéléré de façon continue depuis le mois de mars 2022, pour atteindre 8,1% en g.a. en décembre et s’établir à 5,8% en moyenne en 2022. Dans ses dernières estimations, la Banque centrale s’attend à un taux d’inflation qui devrait rester élevé (proche de 5% en 2023), en raison d’une forte pression de la demande intérieure (dans un contexte de prix des matières premières) et du prix toujours élevé des engrais. Depuis le mois de mai, la Banque centrale a régulièrement relevé son taux d’intérêt (à 5,5% en décembre, soit une hausse cumulée de 350 points de base). La politique monétaire pourrait encore se durcir au cours des prochains trimestres. Les écarts de taux avec les États-Unis se sont rétrécis au cours des derniers mois, occasionnant des sorties de capitaux et une dépréciation du taux de change (soit une dépréciation de près de 15% sur les dix premiers mois de l’année). Le taux de change a atteint PHP 59 / USD au début du mois d’octobre, en dépit d’interventions de la Banque centrale (qui ont cependant permis d’amoindrir la volatilité du taux de change). Le peso s’est stabilisé autour de PHP 55 / USD depuis le début du mois de décembre.
D’autres interventions sur le marché des changes sont possibles à court terme. Le gouverneur de la Banque centrale a plusieurs fois précisé que celle-ci ne visait pas de niveau particulier au taux de change et restait concentrée sur son mandat de maintien de stabilité des prix. Cependant, le ministre des Finances a annoncé que le gouvernement ne « laisserait pas le taux de change se déprécier au-delà de PHP 60 / USD » et que près de USD10 mds de réserves de change (estimées à USD 96 mds en décembre) pourraient être utilisés à cette fin. La décision finale revient toutefois au conseil de politique monétaire de la Banque centrale, dont le ministre fait partie.
La consolidation budgétaire se poursuit
Le gouvernement philippin a profité des marges de manœuvre budgétaires dont il disposait en 2020 et 2021 pour soutenir l’économie. Le déficit public s’est établi à 5,8% du PIB en 2020, et 4,6% en 2021, alors que celui-ci était inférieur à 1% en moyenne entre 2015 et 2019. Dans un contexte de rebond de la croissance, le déficit public est passé à 3,5% du PIB en 2022.
Dans le même temps, la dette a augmenté fortement : alors que celle-ci représentait 37% du PIB en 2019, elle a atteint 62% du PIB fin 2022.Cela dit, les risques concernant un éventuel dérapage des finances publiques n’ont pas significativement augmenté. D’une part, la structure de la dette est restée favorable : en dépit de la hausse rapide de la dette, la part des revenus budgétaires consacrée au paiement des intérêts est restée modérée (à un peu mois de 10%,au T3 2022 alors qu’elle représentait 8,5% en moyenne en 2019), les maturités sont restées longues. La part de la dette libellée en devises reste relativement élevée, autour de 33%, mais diminue continûment depuis près de 15 ans et le gouvernement philippin a pu facilement se financer sur le marché local, à des taux d’intérêts relativement bas. Tous ces éléments illustrent l’efficacité des politiques macroéconomiques mises en place au cours de la dernière décennie, et la solidité des fondamentaux philippins en dépit de la crise économique.
D’autre part, le président Marcos Jr., élu en mai dernier, a affirmé sa volonté de poursuivre la politique de consolidation annoncée par le précédent gouvernement. Peu après son entrée en fonction, le nouveau ministre des Finances a annoncé un plan de moyen terme, articulé autour de trois objectifs principaux : ramener la dette à un niveau inférieur à 60% du PIB d’ici 2025, ramener le déficit à un niveau inférieur à 3% du PIB d’ici 2028 et maintenir un rythme de croissance des dépenses en infrastructures supérieur au rythme de croissance du PIB.
Plusieurs propositions destinées à améliorer la collecte ont également été annoncées, telles que l’élargissement de l’assiette fiscale concernant les taxes foncières, ainsi que l’introduction de nouvelles taxes concernant la consommation numérique, ou la consommation de sacs en plastique à usage unique. D’après les mesures annoncées, l’investissement public (dépenses d’infrastructures exclues) pourrait diminuer. Cela dit, les nombreux projets de partenariat public-privé initiés par le gouvernement précédent, et continués par l’actuel, pourraient en partie se substituer à l’investissement public, et contribuer aux revenus de manière plus importante qu’escompté.
Au total, dans un contexte de ralentissement limité de la croissance, la consolidation devrait se poursuivre au cours des deux prochaines années, et les objectifs de diminution de la dette publique annoncés par le gouvernement devraient être tenus.
Fragilités liées à la pandémie
À moyen terme, les prévisions de croissance restent relativement élevées : d’après le FMI, le taux de croissance du PIB devrait être proche de 6,5% au cours des cinq prochaines années. Pourtant, l’ampleur et la durée des restrictions imposées dans le pays pendant la crise sanitaire ont occasionné de nombreuses fragilités (augmentation du taux de pauvreté, recours accru à l’emploi informel, diminution de la qualité de l’enseignement) qui ont en partie effacé les progrès observés au cours de la décennie précédente, et pèsent sur le potentiel de croissance. Plusieurs pistes de réformes ont été annoncées par le nouveau gouvernement, dont un plan visant à favoriser le retour à l’école et améliorer le niveau d’enseignement (Basic Education Development Plan 2030).
Hélène Drouot