L’économie marocaine continuera d’afficher des déséquilibres extérieurs et publics importants malgré le reflux des cours mondiaux des matières premières. La stabilité macroéconomique n’est toutefois pas menacée. Les réserves de change sont confortables et la structure de la dette publique est favorable. De plus, l’économie devrait bénéficier d’un rebond de la production agricole après une chute historique en 2022. Dans un environnement international encore très instable, cependant, la tâche des autorités reste complexe. Elles doivent en effet maintenir une politique économique prudente mais pourraient être amenée, une nouvelle fois, à soutenir l’activité. La décélération de la croissance du PIB hors secteur agricole devrait être prononcée.
Après un fort rebond de la croissance en 2021, le Maroc a été affecté en 2022 par une combinaison de chocs qui se sont mutuellement renforcés, à savoir :
1/ une chute historique de la production céréalière provoquée par une grave sécheresse ;
2/ l’envolée des cours des matières premières dont le pays est un gros importateur (blé, pétrole).
Le panorama d’ensemble est mitigé mais la solidité des fondamentaux, le rattrapage du secteur du tourisme et la bonne tenue des exportations et des transferts financiers de la diaspora marocaine ont permis à l’économie de résister.
L’année 2023 s’annonce toute aussi périlleuse. Entre la persistance de la volatilité des cours mondiaux des matières premières et la menace de récession en Europe, de loin le principal partenaire du Royaume (62% des investissements directs étrangers et plus de 70% des exportations, des transferts financiers des Marocains résidant à l’étranger et des recettes touristiques), les facteurs de risque sont nombreux. La stabilité macroéconomique n’est pas menacée, mais les marges de manœuvre des autorités s’érodent.
Comptes extérieurs : pressions fortes mais gérables
Avec des importations en hausse de plus de 40% en glissement annuel (g.a.) sur les onze premiers mois de 2022, la pression sur les comptes extérieurs est forte. Elle devrait le rester à court terme. De fait, la moitié de l’envolée des importations résulte de celle des achats de produits énergétiques (+111%) et alimentaires (+49%). Malgré une accalmie récente, les cours mondiaux des principales matières premières importées par le Maroc vont sans doute demeurer élevés. Côté exportations, l’impulsion générée par le boom des ventes de phosphates et produits dérivés (+55%) devrait également s’estomper. Une contraction est même attendue pour 2023 en raison de la normalisation des prix du phosphate après le pic atteint mi-2022.
Pour autant, les risques sur la stabilité extérieure apparaissent limités. Malgré un déficit commercial record en 2022, le déficit courant reste contenu. Il est estimé à 4,4% du PIB, soit 2 points de plus qu’en 2021, mais 3 à 5 points inférieurs à ce qui prévalait au début des années 2010 lorsque les cours du Brent dépassaient également 100 dollars US (graphique 1).
Plusieurs facteurs devraient continuer de soutenir la position extérieure du Maroc, à commencer par le développement soutenu de la filière automobile, dont les exportations ont progressé de 35% en g.a. sur les onze premiers mois de l’année 2022, en dépit d’un environnement déjà difficile.
Depuis le décollage de cette industrie en 2013-2014, elles n’ont jamais été aussi élevées, ce qui s’explique par des gains de parts de marché du Maroc, notamment en Europe. Compte tenu des projets d’expansion en cours, un retournement brutal de cette dynamique, lié à un choc de demande, apparaît peu probable, mais un ralentissement des exportations d’automobiles est néanmoins à prévoir en 2023.
Les envois de fonds de la diaspora marocaine sont en passe de franchir la barre symbolique des MAD 100 mds, et les recettes touristiques sont désormais supérieures de 12% à leur niveau de 2019 après avoir plus que doublé en 2022. Même si un repli n’est pas à écarter en fonction de l’ampleur de la crise en Europe, ces deux sources importantes de devises devraient rester élevées.
À 3,9% du PIB en 2023, le déficit courant resterait significatif mais devrait être financé sans difficulté. L’économie marocaine continue d’attirer d’importants flux de capitaux, essentiellement sous la forme d’investissements directs étrangers (autour de 2% du PIB), dont plus du tiers sont désormais destinés au développement du secteur industriel. En outre, l’endettement extérieur est modéré, inférieur à 50% du PIB ,et contracté presqu’aux 2/3 par le gouvernement et quelques grandes entreprises publiques sur des maturités longues. Par ailleurs, le pays bénéficie de bonnes relations avec les bailleurs de fonds. Des négociations seraient notamment en cours avec le FMI en vue de l’obtention d’une nouvelle ligne de crédit modulable d’ici mars. Ce type de financement présente le double avantage d’être souple et sans conditions.
Enfin, les réserves de change sont confortables. Elles couvrent encore 5 mois d’importations de biens et services et plus de deux fois la dette extérieure de court terme. Les réserves de change ont baissé de plus de USD 4 mds en 2022 essentiellement à cause de l’appréciation du dollar US contre l’euro, et donc le MAD. Cet effet de change défavorable devrait être moins important en 2023. Par ailleurs, le MAD continue de rester à l’intérieur des bandes de fluctuation et demeure aligné aux fondamentaux de l’économie. Une intervention de la banque centrale sur le marché des changes similaire à celle de 2020 ne semble donc pas d’actualité, même si les autorités ont déclaré qu’elles n’hésiteraient pas à le faire.
Finances publiques : un cap plus difficile à maintenir
L’impact de la crise sur les finances publiques, bien que significatif, a été plutôt bien géré jusqu’à présent. Malgré un dérapage de presque 2 points de PIB des subventions énergétiques et alimentaires, le gouvernement devrait en effet réussir à respecter sa cible de réduction du déficit budgétaire, à 5,3% du PIB en 2022, sans ajuster son programme d’investissement public (les dépenses en capital ont augmenté de 24% sur les onze premiers mois de l’année). Pour autant, la dette du gouvernement central, estimée à 70% du PIB fin 2022, demeure 10 points supérieure à son niveau de fin 2019. Sa structure est favorable (75% de la dette est détenu par des investisseurs locaux en monnaie locale). Malgré des rendements en hausse et un raccourcissement de la maturité des émissions des bons du Trésor en 2022, les conditions de financement restent favorables dans l’ensemble, ce qui permet de maintenir les charges d’intérêt à moins de 10% des ressources budgétaires. Par ailleurs, les autorités ont décidé de ne pas solliciter les marchés financiers internationaux en 2022 pour couvrir la tombée de dette euro-obligataire de USD 1,5 md. Un retour sur les marchés obligataires internationaux est possible cette année.
Néanmoins, le niveau élevé de la dette appelle à poursuivre l’effort de consolidation budgétaire. La capacité des autorités à y arriver soulève quelques doutes. La loi de finance 2023 table bien sur un déficit budgétaire à 4,5% du PIB (4,9% hors recettes de privatisations) avant d’être ramené progressivement à 3,5% en 2025. Mais la stratégie des autorités repose à la fois sur une maîtrise de l’évolution de la dépense publique et un effort soutenu d’investissement public autour de 6% du PIB, ce qui sera difficile à réaliser à court terme. Le gouvernement compte notamment sur une baisse de 1,2% du PIB des charges de subventions en 2023, mais celles-ci dépendront surtout de l’évolution des cours mondiaux du gaz et des produits céréaliers.
En outre, la bonne tenue des finances publiques en 2022 s’explique en grande partie par une performance très solide des ressources budgétaires (+18%) difficile à reproduire en 2023 compte tenu du ralentissement économique en cours et de la contraction attendue des transferts de la compagnie publique des phosphates, l’OCP, à l’État après une année exceptionnelle (0,5% du PIB en 2022). D’ailleurs, l’hypothèse de croissance (4%) très optimiste retenue dans le budget 2023 laisse augurer un léger dérapage par rapport à la cible annoncée. Contrairement à 2022, des réallocations de dépenses ne pourraient ainsi pas être évitées. Ceci fragiliserait un peu plus une dynamique de croissance déjà mal orientée.
Croissance du PIB : un rebond en trompe-l'œil
La croissance est tombée à 1,3% en g.a. sur les neufs premiers mois de l’année 2022. Ce coup d’arrêt résulte essentiellement de la contraction de plus de 15% de la valeur ajoutée du secteur primaire. Un retour à la normale de la production céréalière est censé soutenir le rebond de la croissance à 3% en 2023. Mais des conditions climatiques de nouveau défavorables en ce début d’année fragilisent déjà cette perspective. Hors agriculture, l’économie fait aussi face à de puissants vents contraires.
Après un rebond à 4,3% en g.a. au T2, la croissance du PIB hors secteur agricole a de nouveau décéléré à 3,6% au T3 malgré la très bonne performance du secteur du tourisme.
Plusieurs éléments laissent penser que la conjoncture va continuer de se dégrader, à commencer par le niveau historiquement bas de la confiance des ménages, dû à la situation dégradée sur le marché de l’emploi (le taux de chômage est toujours au dessus de son niveau pré-pandémie à 11,4% au T3 2022) et à la forte poussée inflationniste. L’inflation a commencé à montrer des signes de stabilisation mais elle reste supérieure à 8%, tirée essentiellement par la hausse de plus de 14% des prix alimentaires (graphique 2).
De plus, les sources d’inflation ont tendance à s’internaliser. Hors alimentation, l’inflation atteint désormais 4,5% contre 2,3% début 2022. Un nouveau resserrement monétaire est donc attendu. Malgré deux hausses de taux en septembre et en décembre de 50 points de base, le taux directeur de la banque centrale reste bas à 2,5%. L’attitude prudente des autorités monétaires traduit un dilemme croissance-inflation qui pourrait se poser avec encore plus d’acuité cette année en cas de nouveau renchérissement des cours des matières premières importées. Dans tous les cas, l’environnement monétaire sera plus restrictif en 2023. Compte tenu du contexte extérieur également moins porteur, la croissance du PIB hors secteur agricole n’est plus attendue qu’à 2,5%, soit la plus mauvaise performance depuis 2009 hors crise du Covid-19.
Stéphane Alby