L’abandon soudain et mal préparé de la politique zéro Covid début décembre 2022 a plongé la Chine dans de nouvelles turbulences. La forte vague épidémique a gêné la production du secteur manufacturier et retardé, une nouvelle fois, le redressement de la consommation privée et de l’activité dans les services. Toutefois, en supposant un reflux de l’épidémie à partir de février 2023, la demande intérieure devrait enfin rebondir, aidée par des mesures supplémentaires de soutien monétaire et budgétaire. En revanche, les exportations devraient rester pénalisées par la faiblesse de la demande mondiale. Alors que l’excédent courant devrait se réduire en 2023, l’évolution des flux de capitaux est plus incertaine.
Un changement brutal de la politique Covid-19
Le redressement de l’activité qui a suivi la période de confinement du printemps 2022 a été fragile, déséquilibré, et s’est interrompu au dernier trimestre de l’année. Les exportations de marchandises et la croissance industrielle, principaux moteurs de la croissance chinoise depuis 2020, ont fortement ralenti ces derniers mois. Les exportations (en valeur) se sont contractées de -6,6% en glissement annuel (g.a.) au T4 2022, après une hausse de +10,1% au T3 ; et la croissance de la production industrielle (en volume) a ralenti à +2,8% en g.a. au T4 2022, après avoir ré-accéléré à +4,8% au T3.
Le secteur manufacturier (l’industrie électronique en particulier) a d’abord ajusté sa production en réponse à la rapide détérioration de la performance des exportations. De plus, l’effet des incitations fiscales à l’achat de voitures s’est réduit, ce qui a conduit au ralentissement de la production automobile. Enfin, les usines ont connu d’importantes perturbations dues à l’épidémie de Covid-19. Jusqu’à début décembre, ces perturbations ont résulté des restrictions à la mobilité imposées dans diverses régions dans le cadre de la politique zéro Covid. Depuis le 7 décembre dernier, l’abandon très soudain et mal préparé de cette stricte politique a plongé le pays dans de nouvelles turbulences.
La plupart des restrictions sanitaires ont été subitement levées, et ces changements ont provoqué une flambée du nombre de cas de Covid-19 – notamment à cause des taux de vaccination trop bas de la population et des personnes âgées en particulier. Les conséquences négatives sur l’activité ont été importantes, avec des effets sur la production liés à l’absentéisme de la main d’œuvre et des effets sur la demande liés au nombre de malades et aux craintes des Chinois face au risque d’infection.
L’activité dans les services et la consommation des ménages devraient donc, une nouvelle fois, tarder à se redresser. Elles sont restées déprimées tout au long de 2022 sous l’effet de freins puissants, dont certains pourraient avoir du mal à se dissiper à très court terme : contraintes liées à l’épidémie, grave crise du secteur immobilier, conditions dégradées sur le marché du travail, ralentissement de la progression des revenus disponibles, et importante crise de confiance des entreprises et des ménages.
L’indice de confiance des consommateurs, publié par le Bureau statistique chinois, s’est ainsi effondré de 120 début 2022 à 87 au printemps, atteignant des plus bas historiques, et n’a pas rebondi depuis.
Au T4 2022, la production de services a diminué de -0,9% en g.a. et les volumes de ventes au détail de -4% (après une croissance de 1% environ au T3 2022).
Accélération modérée de la croissance en 2023
Après une période chaotique, qui pourrait durer jusqu’après le Nouvel An chinois de fin janvier, l’activité tirée par la demande intérieure devrait rebondir et le reflux de l’épidémie s’accompagner d’un effet de rattrapage (ce scénario suppose que la couverture vaccinale s’étende rapidement et que les conséquences de l’épidémie sur le système médical ne soient pas hors de contrôle, forçant certaines régions à réintroduire des restrictions). Les ménages pourraient notamment utiliser une partie du surcroît d’épargne accumulé pendant la pandémie. On estime que le taux d’épargne des ménages est passé de 35% du revenu disponible en 2019 à 38% en 2020, pour ensuite fléchir à environ 36% en 2021, et il a probablement ré-augmenté légèrement en 2022.
Pour encourager la reprise, les autorités envisagent de renforcer encore les politiques de soutien budgétaire et monétaire. Leurs déclarations faites à l’issue de la Conférence sur le travail économique mi-décembre annoncent des aides en faveur des consommateurs et de nouvelles mesures dans le secteur immobilier. L’objectif des autorités est d’accorder davantage de financements de court terme aux promoteurs les plus sains afin d’atténuer les risques de crédit dans le secteur financier et de les aider à achever les chantiers de construction en cours, ainsi que de relancer la demande de logements des ménages (les volumes de ventes immobilières ont encore chuté de 32% en g.a. en décembre). Avec ces mesures de soutien, et en supposant une évolution favorable de la situation sanitaire, le secteur immobilier devrait au mieux se stabiliser au cours de l’année 2023.
Les difficultés du secteur exportateur devraient quant à elles persister à court terme du fait de l’affaiblissement de la demande mondiale. Le ralentissement des exportations, couplé à une reprise des importations, devrait limiter la ré-accélération de la croissance chinoise attendue en 2023. Par ailleurs, l’excédent commercial et l’excédent courant, qui se sont accrus en 2022, devraient se réduire. Les dynamiques des flux de capitaux sont beaucoup plus incertaines à court terme, ce qui complique les prévisions d’évolution du taux de change du yuan.
Yuan sous pression
Le yuan s’est rapidement déprécié en 2022, après plus de 18 mois d’appréciation. Il a perdu 11% de sa valeur contre le dollar sur les onze premiers mois de l’année, puis a regagné 3% en décembre. Comme l’ensemble des devises, l’affaiblissement du yuan a d’abord été lié au renforcement général du dollar qui a accompagné le resserrement monétaire américain depuis le mois de mars. La dépréciation du yuan en termes effectifs nominaux a, de fait, été beaucoup plus modérée : l’indice CFETS (calculé par le China Foreign Exchange Trade System sur la base d’un panier de 24 monnaies) a baissé de 5% sur les onze premiers mois de 2022 avant de se renforcer légèrement en décembre. Toutefois, l’affaiblissement du yuan a également résulté de facteurs internes et de l’évolution de la balance des paiements.
L’excédent courant a continué d’augmenter en 2022, atteignant USD 310 mds sur les trois premiers trimestres (soit +2,4% du PIB, contre +1,8% en 2021), mais les autres composantes de la balance des paiements se sont détériorées. Ainsi, la somme des soldes du compte financier, du compte de capital et des erreurs et omissions a atteint -1,9% du PIB sur les trois premiers trimestres de 2022, contre -0,7% en 2021.
Alors que les taux d’intérêt américains ont augmenté rapidement en 2022, les autorités chinoises ont au contraire assoupli (modérément) leur politique monétaire afin de stimuler la demande intérieure, en l’absence de fortes pressions inflationnistes. Le différentiel entre les taux d’intérêt américains et chinois s’est alors inversé puis fortement élargi, ce qui a considérablement modifié les conditions de financement internationales et les déterminants des flux de capitaux.
Dans ce contexte, la Chine a enregistré d’importantes sorties de capitaux, notamment du fait d’opérations d’arbitrage de taux. Selon les données de la balance des paiements, les sorties nettes d’investissements de portefeuille ont atteint un niveau record de USD 261 mds sur les trois premiers trimestres de 2022 (-2% du PIB). Elles ont résulté d’une hausse des sorties nettes des résidents (dont les flux de portefeuille sont structurellement négatifs) et d’importantes ventes nettes de titres chinois (principalement obligataires) par les non-résidents (dont les flux de portefeuille ont été négatifs sur les trois premiers trimestres de 2022 pour la première fois depuis 2015, représentant -0,8% du PIB). Par ailleurs, les flux nets d’investissements directs (ID) sont restés positifs mais ont enregistré une baisse notable. En revanche, les sorties nettes liées aux flux de dette et aux autres investissements se sont réduites (en partie grâce à la baisse de l’encours des crédits chinois à l’étranger). Le risque d’une fuite massive de capitaux est, de fait, contenu par l’existence de contrôles, renforcés depuis 2015, visant notamment à limiter les sorties de capitaux des résidents.
Les institutions les plus fragiles et les plus dépendantes aux crédits extérieurs (notamment les promoteurs immobiliers) ont rencontré des difficultés en raison de la dégradation des conditions de financement internationales. Mais les conséquences sur la capacité globale de la Chine à couvrir ses besoins de financement extérieur sont très limitées. En effet, malgré l’ouverture (contrôlée) aux investisseurs étrangers, la Chine reste peu dépendante aux financements extérieurs. Sa balance de base (solde courant et ID) est structurellement positive, sa dette extérieure est faible (15% du PIB) et la participation des investisseurs étrangers sur ses marchés financiers reste modeste même si elle a augmenté jusqu’en 2021 (ils représentaient 3% du stock total d’obligations locales à fin 2021 – mais 11% du stocks d’obligations du gouvernement – et moins de 5% de la capitalisation boursière).
En outre, la Chine est dotée d’une position de liquidité extérieure très solide. Ses réserves de change (USD 3128 mds à fin décembre 2022) suffisent à couvrir la dette extérieure et à se protéger des épisodes de sorties de capitaux. Les réserves n’ont que légèrement diminué ces derniers mois, d’autant que les interventions directes de la banque centrale sur le marché des changes pour contenir la dépréciation du yuan ont été limitées. La banque centrale a préféré user d’autres instruments, visant par exemple à contrôler certains flux de capitaux des institutions financières, ainsi que de mesures prudentielles (le coefficient de réserves obligatoires sur les dépôts en devises a été abaissé à 6% contre 9% fin 2021, et le ratio de réserve de risque de change pour les ventes à terme a été rehaussé à 20% fin septembre).
À court terme, l’évolution des flux de capitaux, et donc du taux de change, est incertaine. L’écart de taux entre les États-Unis et la Chine devrait diminuer quand la Réserve fédérale américaine interrompra son cycle de resserrement monétaire (ce qui est attendu d’ici la fin du T1 2023) et les perspectives de croissance en Chine devraient s’améliorer. Toutefois, les investisseurs devraient rester prudents, leur confiance ayant été affaiblie ces deux dernières années par la politique sanitaire de la Chine, ainsi que par la crise du secteur immobilier, la montée du risque réglementaire et les tensions géopolitiques.
Christine Peltier