Eco Conjoncture

Investissement, gains de productivité et croissance potentielle

28/10/2020
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Cet article est le deuxième consacré à la question de l’investissement au Brésil. Dans un précédent numéro de Conjoncture (août 2020) intitulé « L’investissement à l’heure de l’ajustement budgétaire », nous avons examiné certains des obstacles auxquels se heurte l’investissement au Brésil.

Dans le présent article, nous examinons le pays à travers le prisme de l’offre avec trois déterminants de la croissance à moyen-long terme : l’investissement en capital physique, la démographie et la productivité. Nous montrons, en particulier, pourquoi, au vu de la transition démographique à l’œuvre dans le pays, il est important de lever les obstacles pesant sur l’investissement afin de traiter de manière décisive les enjeux de productivité. Nous passons ensuite en revue divers aspects de l’ambitieux programme de réformes structurelles du gouvernement, en particulier les politiques de l’offre visant à renforcer les incitations à l’investissement. Enfin, nous étudierons certains risques baissiers liés à la mise en œuvre du programme de réformes, antérieurs au Covid-19 ou apparus avec l’épidémie.

Effets de la faible prolongée de l'investissement sur la croissance potentielle

Déterminants de la croissance potentielle : évaluation de l'expérience brésilienne

La démarche de décomposer les moteurs de la croissance potentielle et de les évaluer dans le contexte brésilien permet de comprendre pourquoi la hausse de l’investissement sera d’une importance capitale si le pays souhaite atteindre et maintenir des niveaux de croissance plus élevés à moyen terme.

La production potentielle représente une estimation du niveau de PIB le plus élevé d’un pays, soutenable à long terme. Elle sous-entend un usage optimal des facteurs de production (travail, capital) ne générant pas de tensions excessives au sein de l’économie (en d’autres termes, une utilisation des facteurs qui serait compatible avec une inflation stable)1. Cet indicateur est en général utilisé pour estimer les perspectives de croissance à moyen-long terme d’une économie. La production effective (observée) fluctue habituellement au-dessus ou au-dessous de la production potentielle, donnant naissance à un écart de production (output gap) positif ou négatif selon la sur- ou la sous-utilisation des capacités productives d’un pays.

Comme le montre le schéma 1, la production potentielle d’un pays peut s’exprimer comme une fonction de son stock de capital physique, de l’emploi potentiel et de la productivité (potentielle) globale des facteurs (PGF)2. En d’autres termes, la production potentielle d’une économie dépendra : 1/ de la quantité disponible de machines, équipements et autres infrastructures (usines, réseaux d’électricité, etc.), 2/ de la taille de sa population active, mais aussi 3/ de la manière dont les facteurs de production (capital et travail) sont regroupés et organisés en vue de produire des biens et des services. Dans ce cadre analytique, la qualité du capital physique (qualité des routes par exemple), de la population active (fonction de l’accumulation en capital humain), ainsi que les taux d’utilisation des capacités productives sont tous pris en compte dans la PGF.

Où se situe le Brésil par rapport à ces trois grands déterminants de la croissance potentielle ? En nous appuyant à la fois sur des considérations théoriques et sur l’expérience du Brésil, nous mettons ci-après en évidence les raisons pour lesquelles le pays affiche une croissance potentielle en constant retrait depuis un peu plus d’une décennie (graphique1). Cette approche permet aussi de mesurer combien il est important, aujourd’hui plus que jamais, de supprimer les obstacles auxquels se heurte l’investissement privé et de mettre en œuvre des politiques publiques de nature à stimuler la productivité.

Investissement et accumulation du stock de capital : réflexions théoriques

Dans quelles proportions la production varie-t-elle si l’on ajoute une unité supplémentaire de capital (intrant), à PGF et quantité de travail constantes? La quantité supplémentaire pouvant être produite par l’économie, à raison d’une unité supplémentaire de capital (ou produit marginal du capital), est fonction d’un coefficient alpha (a), d’une valeur comprise entre 0 et 1, que l’on désigne par l’élasticité de la production par rapport au facteur capital (schéma 1). Elle représente l’influence de ce facteur sur la production. Par exemple, si a = 0,4, pour chaque augmentation de 1 % du capital, la production croît de 0,4 %, toute chose égale par ailleurs3.

Ce cadre d’analyse permet de voir dans quelle mesure de nouveaux investissements jouent un rôle crucial dans l’accroissement de la production en augmentant le stock de capital productif d’une économie.

COMMENT L’INVESTISSEMENT, LES FACTEURS DÉMOGRAPHIQUES ET LA PRODUCTIVITÉ AFFECTENT LA CROISSANCE POTENTIELLE

Or, le capital se déprécie avec le temps de sorte que, pour avoir un impact positif sur la production, les nouveaux investissements doivent être d’un montant suffisamment élevé pour couvrir la dépréciation du stock de capital existant tout en permettant son expansion.

L’expansion des investissements en capital, notamment dans les infrastructures, engendre en outre des avantages cumulés dans la mesure où les pays qui parviennent à développer leurs infrastructures ont tendance à attirer plus d’investissements, en particulier, des investissements directs étrangers (IDE)4.

Investissement et accumulation du stock de capital : l’expérience brésilienne. Avec un taux d’investissement égal à 20 % du PIB en moyenne sur la période 1970-2016, l’investissement en capital physique a joué un rôle important dans la dynamique de croissance au Brésil.5 Cependant, l’impact de la récession de 2015-2016 sur le secteur privé et l’ajustement budgétaire qui a suivi ont lourdement pesé sur le taux d’investissement dans le pays. Le ratio investissement sur PIB a reculé de 20,9 %, en 2013, à 14,7 %, en 2017. Après avoir touché un point bas en 2017, le taux d’investissement tarde, depuis, à rebondir. De surcroît, les révisions du PIB et de la balance des paiements, en 2019, ont révélé que le taux d’investissement et le taux d’épargne (graphique 2) étaient inférieurs aux chiffres précédemment indiqués, à hauteur de 0,5 point de pourcentage (pp) du PIB (15,5 %) et de 2 pp du PIB (12,1 %), respectivement. (cf. Conjoncture – août 2020).

Le taux d’investissement structurellement faible du Brésil a eu des effets défavorables sur l’accumulation du stock de capital. Dans son étude économique sur le Brésil de 2018, l’OCDE fait observer que l’investissement au cours des dernières années « n’a guère dépassé la dépréciation du stock de capital existant ; autrement dit, la croissance du stock de capital productif a marqué le pas, sinon reculé »6. Cette tendance semble particulièrement préoccupante, en particulier dans le domaine des infrastructures où le taux d’investissement était à un certain moment « insuffisant pour compenser le taux de dépréciation estimée à environ 3 % du PIB par an » selon une analyse de la Banque mondiale7. D’après cette même étude, « l’investissement total en infrastructures est inférieur à 2,5 % du PIB par an, au moins depuis 2000 » et la situation n’a fait qu’empirer depuis la récession avec 1/ l’ajustement budgétaire (les investissements en infrastructures du secteur public représentent, en général, un peu plus de 50 % du montant total des investissements) et 2/ l’effacement progressif du rôle de la banque de développement, BNDES, comme principal acteur du financement des infrastructures8. Comme l’on pouvait s’y attendre, la contraction de l’investissement public en l’absence d’investissement privé a eu des effets préjudiciables sur la qualité des infrastructures.

Productivité globale des facteurs (PGF) : réflexions théoriques

L’accroissement du stock de capital fixe, au moyen de nouveaux investissements, en augmentant le montant du capital (K) par travailleur (L), processus dit de renforcement de l’intensité capitalistique, peut également contribuer à accroître la production à travers l’augmentation de la productivité du travail (graphique 9). Par exemple, un groupement fixe d’agriculteurs, qui s’équipe de systèmes d’irrigation et de semoirs, obtiendra une production plus élevée par unité de temps travaillé. Le problème ici est que ces gains de productivité ne sont pas infinis ; plus on augmente le capital, alors que l’offre de main-d’œuvre reste fixe, plus la production marginale du ratio capital/travail diminue. Par conséquent, l’intensité capitalistique n’est pas une condition suffisante pour garantir l’augmentation à long terme de la production. À cet égard, l’élément crucial est le progrès technique, habituellement soutenu par les investissements en recherche-développement.

En présence de progrès technique, les nouveaux investissements sont réalisés dans des machines-outils et équipements, qui intègrent de nouvelles technologies, ce qui permet de soutenir la productivité du capital (les machines gagnant en efficacité), une situation qui permet, à son tour, de stimuler la productivité de la main-d’œuvre, via le renforcement de l’intensité capitalistique. Résultat : l’investissement en capital physique, en présence d’un progrès technique, favorise la croissance de la PGF.

Or, cela suppose que les nouvelles technologies soient accessibles au plan local, ce qui n’est pas toujours le cas. Un tel accès peut être, néanmoins, facilité par la libéralisation des échanges. Lorsque les investissements en capital présentent un fort contenu en importations, ils favorisent le transfert et l’adaptation des nouvelles technologies dans les processus de production nationaux. Ces transferts de connaissances peuvent modifier la structure et l’organisation de la production en contribuant à une meilleure agrégation des facteurs de production d’un pays, de manière à accroître la PGF au-delà des seuls effets du progrès technique. Autrement dit, même si le stock de capital reste constant, de nouveaux modes d’organisation de la production peuvent conduire à des gains d’efficacité dans la manière dont un pays utilise son stock de capital existant. Il existe, bien sûr, d’autres moyens d’accroître la productivité (pas notre sujet ici) comme l’augmentation des investissements en capital humain (pour améliorer la qualité de la main-d’œuvre), mais aussi une plus grande efficience des investissements dans l’éducation9.

L’accroissement de la productivité offre d’importants avantages en matière de développement économique. Les gains de productivité, en abaissant les coûts de production, peuvent générer une baisse des prix et une hausse des salaires contribuant ainsi à accroître le niveau de vie10. En fait, comme le souligne la Banque mondiale, « la croissance de la productivité est la principale source d’amélioration du niveau de vie, qui constitue, à son tour, le principal moteur de réduction de la pauvreté »11.

CONTRIBUTIONS À LA CROISSANCE DU PIB POTENTIEL (%)
INVESTISSEMENT ET TAUX D’ÉPARGNE (% DU PIB)
PRODUCTIVITÉ GLOBALE DES FACTEURS (INDICE BASE 100=1954)
LE TAUX MOYEN DE CROISSANCE DE LA PGF DEPUIS 1980 EST PROCHE DE 0
GRANDS PAYS ÉMERGENTS : PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL EN MILLIERS DE USD - PPA / PERSONNE EMPLOYÉE
BRÉSIL : STAGNATION DE LA PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL

Productivité globale des facteurs (PGF) : l’expérience brésilienne. Contrairement à d’autres grands marchés émergents (ex. : Inde et Chine), la croissance moyenne de la PGF a été quasiment nulle au Brésil au cours des trente dernières années (graphiques 3 et 4)12. La contribution de la PGF à la croissance du PIB a également été très limitée au fil des ans (graphique 7) agissant même, au cours de la dernière décennie, comme un frein à la croissance (contribution négative) et reflétant, entre autres choses, une productivité du travail stagnante ou en baisse (graphiques 5 et 6).

Ainsi, une grande partie des progrès économiques et sociaux que le Brésil a réalisés au fil des ans (en matière de réduction des inégalités et de la pauvreté), l’ont été en l’absence de gains de productivité majeurs13. Une étude réalisée par BCG14, en 2013, montre que sur la période 2001-2011, 74 % de l’augmentation du PIB brésilien a reposé sur l’accroissement du nombre de personnes actives, tandis que les gains de productivité du travail n’ont représenté que 26 %. L’étude souligne également que « le faible niveau d’investissement, conjugué à la croissance de la population en situation d’emploi a conduit à une stagnation du stock de capital par personne employée ». Les faibles performances du Brésil en termes de croissance de la productivité peuvent être attribuées à de nombreuses causes sous-jacentes, dont plusieurs contribuent également à expliquer les niveaux persistants de sous-investissement (cf. Conjoncture août 2020). La généralisation des distorsions de marché et autres faux pas en matière de politiques publiques ont contribué à saper la concurrence, à maintenir le taux de survie des entreprises à faible productivité et conduit à une allocation sous-optimale des ressources au sein de l’économie.15 Des barrières commerciales élevées (niveau élevé des tarifs douaniers et autres barrières non tarifaires) et un faible taux d’ouverture commerciale (graphique 11) ont également été identifiés comme des obstacles majeurs à l’amélioration de la productivité, du fait notamment de leurs effets sur l’accès aux technologies et aux autres intrants étrangers16. Les coûts élevés d’exploitation et d’activités commerciales ont également entretenu un cercle vicieux entre faible investissement et faible productivité.

Croissance de la population active : réflexions théoriques

Dans le schéma 1, l’emploi potentiel (L) représente la fraction de la population active qui aurait un travail si l’économie fonctionnait à son niveau potentiel. En d’autres termes, il correspond au nombre d’actifs ayant un emploi, compatible avec une économie ni en surchauffe ni en sous-régime. Il peut s’exprimer sous forme du taux d’emploi potentiel (1-NAIRU) multiplié par la taille potentielle de la population active.17

Enfin, l’évolution de l’emploi potentiel dépend de la dynamique sous-jacente de la population active. À leur tour, la taille et la croissance de la population active sont fonction 1/ de facteurs démographiques, notamment la croissance de la population totale (graphique 13), mais aussi 2/ de l’évolution du taux de participation à la population active (graphique 18). La croissance de la population totale reflète la phase de la transition démographique 18 dans laquelle le pays se situe.

De manière générale, la phase de la transition dépend de l’effet conjugué de la hausse (ou baisse) des taux de fécondité et de mortalité. Le vieillissement de la population d’un pays commence avec la baisse concomitante des taux de fécondité et de mortalité. Avec le temps, la croissance de la population en âge de travailler ralentit avant d’atteindre un point de bascule au-delà duquel elle commence à diminuer. À ce stade, la part des plus âgés dans la population en âge de travailler augmente. Mais une population en âge de travailler vieillissante affecte mécaniquement le profil de la population active, car plus les personnes vieillissent et plus leur propension à participer au marché du travail diminue. Comme la population active dépend à la fois de la taille de la population en âge de travailler et du taux d’activité, si ce dernier diminue, il en va de même de la population active. Une telle évolution entraîne à son tour une baisse de l’emploi potentiel et, partant, de la production potentielle.

Croissance de la population active : l’expérience brésilienne. Jusqu’aux années 1960, la croissance de la population brésilienne atteignait près de 3 % (graphique 13). Cette croissance démographique relativement élevée a contribué à la croissance de la production du simple fait de l’augmentation du nombre de travailleurs actifs (« le bonus démographique »).

Cependant, ce « bonus » est progressivement en train de disparaître. Entre 1972 et 1982, la croissance économique a été imputable pour moitié à la démographie du pays19. Autrement dit, pour une croissance moyenne du PIB réel de 6 % par an, la contribution liée à l’accumulation de la main-d’œuvre était de 3 points de pourcentage (pp). Cette contribution a diminué avec le temps. Entre 2002 et 2012, elle est ainsi passée à 1,5 pp pour un taux de croissance moyen de 3,6 %.

Cette diminution de la contribution du facteur travail à la croissance reflète le ralentissement de la croissance démographique et son impact sur le nombre potentiel de travailleurs actifs au sein de la population. Depuis 2000, le taux de croissance de la population a baissé de 1,4 % à 0,8 % en 2018. En cinquante ans, le taux de fécondité a reculé, passant de six enfants en moyenne par femme à moins de deux, d’après les données des Nations-Unies (graphique 14). Cette baisse du taux de fécondité est la plus forte enregistrée en Amérique latine sur cette période. Dans le même temps, le vieillissement de la population brésilienne s’est accéléré (graphiques 15 et 16). Comme le souligne O. Canuto « Alors qu’il a fallu près de 150 ans à la France pour que la part des plus de 60 ans passe de 10 % à 20 % de la population et 65 ans en Grande-Bretagne, le Brésil le fera en 25 ans à peine — entre 2010 et 2035.20» L’augmentation actuelle du nombre de Brésiliens de plus de 60 ans est estimée à environ 4 % par an. Selon les données de l’IBGE, les tendances démographiques actuelles indiquent que le rapport des [15-64] ans aux 65 ans et plus (c’est-à-dire le taux de dépendance des personnes âgées) augmentera pour atteindre entre 25 et 30% en 2040 contre 12,5% en 2015.

CONTRIBUTIONS À LA CROISSANCE OBSERVÉE DU PIB (%)
SOUS-PERFORMANCE DE LA CROISSANCE BRÉSILENNE PAR RAPPORT À LA CROISSANCE MONDIALE
PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL VS. INTENSITÉ CAPITALISTIQUE - 2017 (ÉCH. LOG.)
TAUX DE VARIATION DE L’ACCUMULATION DU STOCK DE CAPITAL
PIB PAR TÊTE VS. OUVERTURE COMMERCIALE
CROISSANCE DU PIB PAR TÊTE
CROISSANCE DE LA POPULATION
BAISSE DES TAUX DE FECONDITE
ESPÉRANCE DE VIE (EN SUPPOSANT UNE FÉCONDITÉ MOYENNE)
LA POPULATION VIEILLIT RAPIDEMENT (TAUX DE DÉPENDANCE DES PERSONNES ÂGÉES)
RATIO DE DÉPENDANCE TOTALE (ENFANTS + PERSONNES ÂGÉES)
TAUX DE PARTICIPATION À LA POPULATION ACTIVE (TOTAL ET PAR TRANCHE D’ÂGE)
ESTIMATION DE LA CROISSANCE POTENTIELLE SELON DIVERSES HYPOTHÈSES

Cela signifie que le fardeau de la prise en charge des personnes âgées pour la population en âge de travailler sera multiplié par 2 au minimum au cours des 20 prochaines années. D’ici 2060, l’IBGE prévoit que les Brésiliens âgés de 65 ans et plus représenteront environ ¼ de la population brésilienne contre 9,2% en 2018.

Nombre de ces évolutions démographiques ont aussi eu lieu plus rapidement que prévu. Par exemple, l’IBGE s’attendait initialement à ce que la population en âge de travailler (15-64 ans) atteigne sa proportion la plus élevée en 2023 avant de diminuer progressivement à mesure que la part de dépendants (jeunes et personnes âgées) croît dans la population (accroissement du ratio de dépendance). Le processus de compression progressif de la population active aura au final commencé cinq ans plus tôt que prévu, en 2018. Selon les prévisions actuelles, la proportion des actifs dans la population devrait reculer, passant désormais de son pic de 69,46 % en 2018 à 67,5 % en 2030, 65,8 % en 2040, 62,7 % en 2050 et un peu plus de 60 % en 206021.

En tenant compte du vieillissement de la population, l’IBGE estime que la population active croîtra de 0,9 % au cours de la prochaine décennie, mais que ce taux convergera vers zéro à l’horizon 2035. Conclusion : compte tenu de la phase de transition démographique dans laquelle il se situe, le Brésil ne pourra plus compter de manière disproportionnée sur l’expansion de sa population active pour alimenter sa croissance économique.

Quelle est l'ampleur des dégâts ?

En l’état, sous l’effet conjugué d’une stagnation de la croissance de la PGF, d’un faible taux d’investissement et d’une plus faible croissance de la population en âge de travailler, les estimations du taux de croissance potentiel se sont maintenues à des niveaux relativement bas fluctuant dans une fourchette de 1,5 % à 2,5 % avant la pandémie de Covid-19 (contre environ 3,5 à 4,5 % avant la crise financière de 2008).

Que faudrait-il donc faire pour multiplier par deux le taux de croissance à moyen terme du Brésil ? Selon les calculs de la banque Bradesco22, pour obtenir une croissance potentielle du PIB de l’ordre de 3 %, la croissance de la population active devrait être supérieure à celle de la population totale et le taux d’investissement, devrait augmenter à 21 % du PIB avec une PGF de 1 % (cf. tableau 1).

Comme la population active devrait reculer à 0,9 % par an au cours de la prochaine décennie, le scénario de croissance de 3 % peut sembler improbable sauf sous le coup d’une hausse significative de l’investissement et de la PGF (par exemple, un taux d’investissement à 23 % et une PGF à 1 % par an au moins – cf. tableau 1)23. Selon le FMI, pour porter durablement le potentiel de croissance du Brésil à 4,4 %, il faudrait doper la croissance de la PGF à 2,5 %, un taux atteint pour la dernière fois il y a plus de 50 ans24.

Quels enseignements tirer dès à présent ?

Ces simulations aboutissent à la conclusion que si le Brésil veut relever son potentiel de croissance, il doit, entre autres25 :

  • Renforcer son intensité capitalistique (en augmentant le ratio capital/travail), ce qui dépend en fin de compte de son aptitude à accroître l’investissement privé (compte tenu des contraintes qui pèsent sur l’investissement public).
  • Intégrer de nouvelles technologies dans l’appareil de production (ce qui passe encore par un investissement accru, mais aussi et surtout par une plus grande ouverture commerciale)
  • Progresser en matière de rendement de l’éducation (investir dans le capital humain pour améliorer la qualité de la main d’œuvre).

Ces avancées dépendent en fin de compte de l’adoption d’un vaste programme de réformes structurelles, permettant notamment d’encourager l’investissement privé.

Un ambitieux programme de réformes structurelles

L’accroissement de l’investissement est l’un des leviers pour améliorer la productivité au Brésil. Les faiblesses persistantes de l’environnement des affaires ont néanmoins freiné les progrès en matière de compétitivité du secteur privé et fait obstacle à l’expansion de l’investissement privé. Il en va de même de la faiblesse du taux d’épargne, qui a pâti de la fragilité de la situation budgétaire dans le secteur public (voir article Conjoncture, août 2020).

Dans cette partie, nous examinons le programme du gouvernement visant à réduire les barrières à l’investissement et à supprimer des obstacles de longue date à la croissance. L’ambitieux programme de réforme du gouvernement repose sur deux piliers : transformer le rôle de l’État et améliorer le climat des affaires.

Transformer le rôle de l'État

Le programme économique (avant la pandémie de Covid-19) a d’abord et surtout été centré sur la réorientation du policy mix et l’abandon de l’ancien modèle de « détente budgétaire et [de] rigueur monétaire » qui constitue, selon le ministre de l’Économie Paulo Guedes, le principal facteur historique à l’origine d’une inflation élevée, de taux d’intérêt à deux chiffres et d’années d’instabilité budgétaire avec une hausse des dépenses à près de 50 % du PIB, contre 18 % quarante ans auparavant26.

La volonté de renverser le policy mix a contraint les autorités à repenser le rôle de l’État brésilien dans la société. C’est ainsi que le plan Mais Brazil27 a vu le jour. Ce programme, qui expose les grands principes de transformation du rôle de l’État, est organisé autour d’un Pacte fédérateur conçu comme un nouveau cadre institutionnel devant guider la politique budgétaire.28 Le pacte est censé 1/ donner des orientations en matière d’ajustement budgétaire à tous les échelons de l’État et renforcer les autorités locales (voir encadré 2), mais aussi 2/ accélérer le désengagement de l’État d’un grand nombre d’entreprises (voir encadré 1).

Créer un meilleur climat des affaires : déploiement de politiques de l'offre pour générer des gains de productivité

L’autre grand chantier de réforme porte sur l’environnement des affaires. Dans le schéma 2, nous avons tenté de relier différents aspects du programme de réformes du gouvernement. Cela permet de visualiser les canaux à travers lesquels la suppression des nombreuses barrières à l’investissement et l’introduction d’une plus grande concurrence peuvent avoir un impact sur la productivité, la compétitivité et in fine la croissance.

Le gouvernement entend aider le Brésil à mieux se classer dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale et dans celui sur la compétitivité du Forum économique mondial. « Le ministre Paulo Guedes et son équipe veulent faire en sorte que le Brésil rejoigne les pays du top 50 en termes d’environnement des affaires d’ici à la fin de ce mandat présidentiel »29 alors qu’il se classe actuellement à la 124e place au classement de la facilité à faire des affaires.

Pour renforcer le rôle du secteur privé comme moteur de la croissance, le gouvernement doit relever deux défis : 1/ rendre les investissements plus rentables (notamment en réduisant les coûts pour les entreprises / investisseurs et 2/ accroître l’épargne intérieure pour financer l’investissement, en partie, en réduisant les dépenses publiques.

Pour améliorer les incitations à l’investissement, le gouvernement privilégie les politiques de l’offre en vue de réduire 1/ les coûts unitaires de production et 2/ les risques (notamment les risques juridiques et réglementaires). Sur ce dernier point, le cadre juridique des concessions, par exemple, a été repensé afin d’assurer une plus grande protection aux investisseurs dans les contrats de licence. Des propositions en vue d’un remaniement de la législation sur les concessions et les partenariats public-privé (PPP), ainsi qu’une nouvelle loi sur les appels d’offres sont également à l’étude30.

PRIVATISATIONS

Concernant la réduction des coûts, le programme s’attaque en grande partie à la réduction du « Custo Brazil » — soit les coûts supplémentaires engagés par les entreprises pour faire des affaires au Brésil, à savoir : 1/ des coûts de mise en conformité comparativement plus élevés (en raison du poids important de la réglementation et de l’administration) 2/ coût élevé de la main-d’œuvre (dû en partie à une augmentation du salaire moyen et du salaire minimum bien supérieure à la productivité du travail, en raison notamment de pratiques d’indexation très répandues), 3/ coûts élevés des biens intermédiaires et des biens d’équipement importés (en raison d’importantes barrières commerciales), 4/ coût élevé du capital (voir article Conjoncture, août 2020), et 5/ forts coûts logistiques et de transport (dus au déficit d’infrastructures dont souffre le pays). Attirer des investissements en infrastructures et développer le financement de ces dernières31 figurent parmi les priorités du programme du gouvernement. Un grand nombre de projets sont actuellement à l’étude dans le pays (voir encadré 3).

LE PLAN « MAIS BRAZIL » ET LE PACTE FÉDÉRATEUR : TRANSFORMER LE RÔLE DE L’ÉTAT BRÉSILIEN
PRISE DE HAUTEUR : LIENS ENTRE DIFFÉRENTES COMPOSANTES DU PROGRAMME DE RÉFORMES

L’insuffisance de l’épargne constitue aussi « un obstacle majeur à l’investissement »32. La réduction des dépenses publiques – au cœur de la stratégie du gouvernement dans sa volonté de réduire la taille de l’État – pourrait à cet égard contribuer à 1/ diminuer l’effet d’éviction (crowding out) lié au financement des déficits publics (voir article Conjoncture, août 2020), 2/ accroître l’épargne publique (l’ajustement budgétaire envisagé devrait aider le solde primaire à converger vers une situation d’excédent) et 3/ attirer l’épargne extérieure pour financer des investissements en capital fixe (la diminution des risques budgétaires peut contribuer à attirer des flux de capitaux plus stables et à plus long terme pour compenser l’insuffisance de l’épargne domestique).

Le programme de réformes va-t-il aboutir ?

Une occasion unique

Au lendemain de la plus grande enquête de corruption de l’histoire du Brésil (Lava Jato), il ne fait aucun doute qu’il existe un appétit important de réforme au sein de la société. Les scandales de corruption successifs ont en effet galvanisé la colère et le ressentiment de la population vis-à-vis des élites, accru la défiance à l’égard des institutions et ébranlé la confiance des agents économiques quant aux perspectives économiques du pays. S’en sont suivis une crise politique et une crise économique (forte récession) participant à rendre de nombreux Brésiliens plus réceptifs à l’idée qu’une transformation radicale de l’économie et de la politique économique était nécessaire pour accroître la prospérité du pays. Les résultats de l’enquête Latin Barometer ont montré qu’en 2016, déjà, près de 70 % des Brésiliens interrogés étaient favorables au libre jeu des mécanismes du marché33. Les pressions dans ce sens se renforcent aujourd’hui plus que jamais en direction des membres du Congrès, en particulier, par le biais des réseaux sociaux. Le Brésil est à un moment crucial de son histoire et les responsables économiques actuels ont bien l’intention de mettre à profit cette opportunité. Cependant, l’adhésion populaire n’est que l’un des paramètres mobilisés dans le processus de réforme.

L'économie politique des réformes structurelles : les risques baissiers du programme de réformes brésilien

Les réformes structurelles sont, par nature, difficiles à mettre en œuvre d’un point de vue politique parce qu’elles ont tendance à susciter l’opposition des groupes qui profitent du statu quo. Le plus souvent, elles provoquent de vives réactions politiques chez ceux qui, au sein de la société, « bénéficient des distorsions du marché et des barrières à la concurrence »34.

Nonobstant l’issue du lobbying, inhérent à tout processus de réforme, de nombreuses contraintes ou obstacles sont apparus (ou se sont accumulés) avant la pandémie, avec pour effet de susciter des interrogations sur les chances d’aboutir du programme de réformes :

  • Le rythme des réformes était déjà lent avant l’apparition de la Covid-19. La réforme des retraites a certainement été une grande victoire pour le gouvernement, mais la dynamique s’est essoufflée peu de temps après. Peut-être peut-on y voir une occasion perdue, car les gouvernements ont tendance à bénéficier d’un plus grand soutien politique pour mettre en œuvre les réformes pendant l’« état de grâce » qui suit leur élection35. Nombreux sont ceux qui ont déjà exprimé leur crainte qu’un report trop tardif des réformes dans le courant de cette année n’entraîne un risque « d’enlisement en amont du scrutin municipal d’octobre »36, période pendant laquelle il faut s’attendre à un ralentissement de l’activité au sein du Congrès. À l’évidence, le Covid-19 a, depuis, éclipsé ce sujet de préoccupation.
  • Les relations délicates qu’entretient le président Bolsonaro avec un Congrès très divisé et son ambivalence à l’égard de la formation d’un gouvernement de coalition37 ont, semble-t-il, été préjudiciables à la construction de consensus au sein du corps législatif, compte tenu, surtout, du nombre élevé de voix nécessaire au Congrès pour modifier les politiques publiques existantes (voir encadré 4). Beaucoup ont souligné une éventuelle contradiction, celle « d’un gouvernement qui refuse délibérément de construire une large majorité au Congrès alors qu’il a précisément besoin de celle-ci pour adopter des réformes économiques cruciales »38.
  • Même avant la pandémie de Covid-19, de nombreux doutes persistaient quant à la volonté réelle de réformisme au sein du Congrès. Certes, ce dernier s’est montré par moment étonnamment coopératif, mais son « réformisme » n’a pas vraiment été mis à l’épreuve, en dehors de la réforme des retraites, dont il était question depuis deux décennies et qui était au cœur du débat public depuis des années. Il se pourrait que le contenu des nouvelles réformes ne bénéficie pas du même degré de familiarité et du même degré de soutien au Congrès, surtout si l’influent président de la chambre basse, Rodrigo Maia, n’est plus là pour mobiliser les troupes39.

UN RÉSERVOIR CONSIDÉRABLE DE PROJETS D’INVESTISSEMENT EN INFRASTRUCTURES
  • Le Congrès a, au mieux, manifesté un enthousiasme mitigé pour la privatisation des actifs d’État. Le soutien populaire à ce type de réforme ne doit pas être tenu pour acquis. La vague de privatisations précédentes, dans les années 1990, avait en effet montré que : « la participation de l’État au capital des entreprises brésiliennes avait considérablement diminué dans les années 1990, avec une série de privatisations qui ont permis des transferts massifs d’investissements publics au profit du secteur privé, donnant naissance à d’énormes conglomérats privés, souvent contrôlés ou détenus par des investisseurs étrangers. Ce changement a été acté dans le Plan national de privatisation, lancé en 1990 et poursuivi tout au long de la décennie, qui a conduit à la privatisation de CSN en 1993, d’EMBRAER en 1994 et de Vale do Rio Doce Company en 1997. Ces privatisations ont déclenché des débats au sein de la société et dans les milieux politiques, et des accusations ont été lancées portant sur la manipulation des prix et la vente de sociétés en dessous de leur valeur ou sur le détournement de fonds publics. D’autres ont soulevé la question de la nature des privatisations et de la persistance de liens institutionnels et financiers entre l’État et les [anciennes] entreprises publiques40 ».

L’épidémie de Covid-19 a amené le gouvernement à mettre de côté certains grands axes de son programme de réformes (notamment, la réforme de la fiscalité et celle de la fonction publique). Il a consacré beaucoup d’énergie à élaborer et mettre en œuvre des mesures pour limiter l’impact de la crise sanitaire sur l’économie. Mais la crise de la Covid-19 a également entraîné un renforcement des tensions politiques et sociales, suscitant de nouvelles interrogations sur le devenir des réformes au Brésil :

  • La crise a accru les tensions entre les pouvoirs exécutif et législatif quant à la gestion de l’épidémie. Le président s’est mis à dos les gouverneurs des États qui ont appelé le Congrès à prendre en main la gestion de la crise. Jair Bolsonaro conserve un noyau dur de partisans, mais sa popularité s’est effritée depuis le début de la crise. Son taux d’approbation a toutefois retrouvé des couleurs avec le déploiement de l’aide d’urgence en faveur des populations les plus vulnérables.
  • Le pays a connu une succession de crises politiques dans un court laps de temps. Premièrement, la démission surprise du ministre de la Justice, Sergio Moro, une figure centrale de l’enquête sur l’affaire Lava Jato et l’un des responsables politiques les plus respectés au Brésil. S. Moro a démissionné après avoir accusé le président d’ingérence politique dans une enquête menée par la police fédérale. Deuxièmement, en l’espace de moins d’un mois, deux ministres de la Santé ont renoncé à leurs fonctions à la suite de désaccords avec le chef de l’État, notamment concernant les consignes de distanciation sociale.

Troisièmement, l’annonce du lancement d’un programme de travaux publics (le « Plan Pro-Brazil »), par le chef de cabinet de J. Bolsonaro, a semé le trouble, beaucoup se demandant qui était en charge de la politique économique et voyant dans la démarche une entorse à l’objectif de réduction du rôle de l’État au sein de l’économie, affirmé par le ministre P. Guedes.

LE COÛT ÉCONOMIQUE DE LA CONSTITUTION BRÉSILIENNE
  • L’impact budgétaire de la crise et la prolongation dans le temps de mesures de soutien suscite des inquiétudes quant à la poursuite du processus d’assainissement budgétaire l’année prochaine.

Ces événements ont, pour beaucoup, contribué à accentuer les tensions politiques et à alimenter les doutes concernant l’avancée du processus de réforme. Ces inquiétudes courent également le risque de décourager de potentiels investisseurs à participer à de futurs appels d’offres à un moment où le Brésil a particulièrement besoin d’attirer des capitaux étrangers pour se réinventer. Alors que le gouvernement continue d’être mobilisé pour répondre aux effets sur l’économie provoqués par l’épidémie de Covid-19, le temps passe et la fenêtre qui s’ouvrait pour faire adopter d’importants textes de loi pourrait progressivement se refermer. Dans ces conditions, l’aspiration à vouloir mener des réformes sur plusieurs fronts va se révéler de plus en plus difficile à réaliser.

Le gouvernement devra ainsi fixer un ordre de priorités. Cela est d’autant plus vrai que le déploiement de réformes en période de faible activité économique est difficile à mettre en œuvre et peut être politiquement coûteux, surtout si les réformes sont proposées relativement tard dans le calendrier politique.41 Ainsi, une étude menée par le FMI sur les priorités en matière de réformes structurelles au Brésil a tenté d’identifier celles qui seraient les plus rentables en termes d’impact sur la productivité et dont le coût politique serait le plus faible (c.-à-d. celles bénéficiant du soutien le plus large de la population brésilienne)42. Il en ressort qu’il faudrait privilégier, en premier lieu, les réformes du secteur bancaire (en particulier, celles relatives à l’amélioration de l’octroi du crédit) ainsi que les réformes juridiques dans la mesure où elles ont d’importants effets positifs sur la productivité tout en suscitant, dans le même temps, une large adhésion de la population.

Dans un monde post-covid, les politiques de l'offre seront-elles difficiles à faire accepter ?

Le Brésil a été épargné par les vagues de manifestations populaires et de troubles sociaux qu’ont connues d’autres pays d’Amérique latine (Chili, Colombie, Équateur, Bolivie, etc.) à l’automne 2019 et au début de 2020. Tous ces mouvements avaient en commun les mêmes revendications et les mêmes moteurs : protection sociale, justice sociale, politiques de redistribution, inégalités, coût de la vie, croissance inclusive, etc.

Les conséquences sociales du Covid-19 devraient renforcer davantage ce type de préoccupations dans la région. D’après un rapport de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes), la pauvreté, l’extrême pauvreté et les inégalités vont augmenter dans les pays d’Amérique latine et dans les Caraïbes à la suite de la pandémie43. La crise, souligne le rapport, devrait affecter de manière disproportionnée la part de la population ayant un emploi précaire, soit un grand nombre de personnes puisque le secteur informel représente environ la moitié de l’emploi. Ayant plus difficilement accès aux programmes d’urgence, les travailleurs informels sont aussi plus vulnérables.

Selon les estimations de la CEPAL, les taux de pauvreté et d’extrême pauvreté de la population brésilienne s’établissaient, respectivement, à 19,4 % et 5,4 % en 2019. Après avoir réalisé plusieurs scénarios sur l’impact possible de la Covid-19 sur le PIB, l’emploi et le revenu du travail, la Commission estime que, même dans un scénario prudent selon lequel la variation du revenu moyen des ménages est inférieure à celle du PIB, la pauvreté et l’extrême pauvreté vont augmenter de 2,6 points de pourcentage (pp) et de 1,5 pp, respectivement. Dans un scénario dit « haut » (supposant une variation du revenu moyen des ménages supérieure à la variation du PIB), l’augmentation serait de 6 pp et de 2,5 pp, respectivement.

Dans ces conditions, il semble raisonnable, sinon probable, d’anticiper un accroissement du mécontentement et des revendications sociales. Même si ce climat social ne constitue pas une menace fondamentale pour le programme de réformes, le gouvernement aura certainement plus de mal à geler les salaires ou à supprimer des emplois et des avantages sociaux dans la fonction publique. Il devrait continuer de subir des pressions visant à ralentir le rythme de l’ajustement budgétaire en étant appelé à soutenir la situation financière des pauvres. L’expérience chilienne a montré qu’il pourrait être difficile de suivre la voie de l’austérité. Dans le contexte actuel, cela pourrait coûter cher à l’exécutif de ne pas tenir compte des effets redistributifs négatifs des politiques publiques proposées dans le cadre des réformes.

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Au cours des dernières décennies, la croissance et de développement économique du Brésil ont principalement reposé sur l’accumulation du travail et du capital. La croissance a ainsi été le résultat de l’augmentation des quantités des facteurs de production (c.-à-d. une croissance économique extensive) plutôt que de celle de leur efficience (c.-à-d. une croissance économique intensive ou une croissance tirée par la productivité).

Cependant, ces dernières années, l’accumulation du capital s’est heurtée à la récession de 2015-2016, à l’ajustement budgétaire et, plus récemment, à la pandémie de Covid-19. De plus, à en juger par les tendances démographiques, le Brésil pourra de moins en moins compter sur l’expansion de sa population active pour contribuer à la croissance. À la place, ses travailleurs devront devenir plus productifs.

Pour stimuler l’investissement privé et doper ainsi la productivité, le programme de réformes structurelles du gouvernement vise à améliorer les incitations à l’investissement en réduisant les coûts et les risques associés au fait de faire des affaires dans le pays. À ce titre, les autorités ont, par ailleurs, jeté les bases d’une transformation substantielle du rôle de l’État en vue de promouvoir le développement du secteur privé, de rééquilibrer les comptes publics et de donner un plus grand pouvoir de décision aux États fédérés. La question est, cependant, de savoir dans quels délais les réformes pourront-elles être approuvées ? En bouleversant les priorités du gouvernement, la crise sanitaire n’a, en effet, fait qu’exacerber certains des obstacles préexistants concernant l’approbation et la mise en œuvre de certaines politiques publiques.

Face à ces difficultés, la crise du Covid-19 devrait être considérée comme une opportunité pour accélérer les réformes et introduire dans l’économie brésilienne des changements structurels profonds. Une chose est sûre : en l’absence d’une progression soutenue des gains de productivité, la croissance potentielle du Brésil risque de rester durablement faible avec des effets indésirables sur le niveau de vie et la réduction de la pauvreté.

1 Il ne s’agit donc pas du niveau maximum absolu de production pour une économie donnée, qui mettrait à rude épreuve ses capacités productives, exercerait des pressions sur les salaires (la demande de main-d’œuvre excédant l’offre) et générerait de l’inflation. La production potentielle correspond plutôt à un taux de chômage non accélérateur d’inflation, dit NAIRU (non-accelerating inflation rate of unemployment). C’est ainsi que l’on désigne souvent par « plein emploi » le taux d’emploi d’une économie qui fonctionnerait à son niveau potentiel.

2 Nous utilisons ici la fonction de production Cobb-Douglas à titre de cadre analytique de la croissance potentielle.

3 La restriction imposée à l’élasticité découle de l’hypothèse habituelle d’une fonction Cobb-Douglas à rendements d’échelle constants. Cela signifie dans l’exemple mentionné que l’élasticité de la production par rapport au facteur travail (1- a) doit nécessairement être de 0,6 ; autrement dit, lorsque l’emploi augmente de 1 % (soit une hausse de 1 % du nombre de travailleurs dans l’économie) la production croît de 0,6 %, toute chose égale par ailleurs. Il en découle également que lorsque le stock de capital et le travail augmentent de 1 %, la production croît également de 1 %. Pour obtenir la contribution de chaque facteur à la croissance de la production, il faut multiplier le taux de croissance du facteur par son élasticité.

4 Par exemple, un réseau efficace de routes et de voies ferrées, en réduisant les coûts de transport et de logistique, peut contribuer à accroître le retour sur investissement attendu d’un projet impliquant des déplacements fréquents de marchandises au sein d’un pays.

5 Spilimbergo A., Srinivasan K., & Walutowy M. F. (Eds.) (2018), Brazil: Boom, bust, and the road to recovery, International Monetary Fund.

6 OCDE (2018), OCDE Étude économique : Brésil 2018.

7 OCDE (2018) et Banque mondiale (2016), Brazil Systematic Country Diagnostic: Retaking the Path to Inclusion, Growth and Sustainability, Groupe Banque mondiale.

8 D’après des données de la Banque centrale brésilienne, la BNDES représentait, en 2015, 53 % de l’encours des prêts aux infrastructures. La part des autres banques publiques s’élevait à 28 %, tandis que le financement restant provenait de bailleurs privés (nationaux et étrangers). Voir OCDE (2018) pour plus de détails.

9 Exemple type de la faible efficience de l’investissement : le Brésil consacre environ 5 % de son PIB à l’éducation, en ligne avec la moyenne de l’OCDE mais avec des résultats beaucoup moins élevés en termes de performances aux tests standardisés.

10 Il n’est pas rare, dans les milieux du développement, de réécrire la fonction de production par tête. La décomposition du PIB vu sous l’angle des revenus permet ensuite de modéliser le revenu par travailleur (à titre d’approximation du niveau de vie). Dans ces conditions, la croissance du revenu par travailleur est exprimée comme une fonction, à la fois, de la productivité globale des facteurs (PGF) et de la croissance du ratio capital/travail (ou intensité capitalistique)

11 Banque mondiale (2020a), Lasting Scars of the Covid-19 Pandemic, chapitre 3, édition de juin du Global Economic Prospects. Voir aussi Banque mondiale (2020b), Slow Growth, Policy Challenges. Edition de janvier du Global Economic Prospects.

12 Biljanovska N., & Sandri M. D. (2018), Structural reform priorities for Brazil, IMF Working paper. WP/18/224, Fonds monétaire international.

13 Banque mondiale (2018), Brazil: Towards a fair adjustment and inclusive growth, Public Policy Notes.

14 Ukon M., Bezerra J., Cheng S., Aguiar M., Xavier A., & Corre J. L. (2013), Brazil: Confronting the productivity challenge, Boston Consulting Group (BCG).

15 Qian R., Araújo J. T., & Nucifora A. (2018), Brazil’s Productivity Dynamics, World Bank document. Les auteurs offrent également une décomposition par secteur (i.e. agriculture, industrie et services) de la productivité et sa dynamique dans le temps. Voir aussi Banque mondiale (2018).

16 Voir Qian et al (2018), OCDE (2018), Moreira M. M. (2004), Brazil’s Trade Liberalization and Growth: Has it Failed? (Vol. 24). Bid-intal and Lisboa M. B., Menezes Filho, N. A., & Schor A. (2010), The effects of trade liberalization on productivity growth in Brazil: competition or technology? Revista Brasileira de Economia, 64(3), 277-289.

17 Ceci équivaut à prendre la population en âge de travailler et à la multiplier par le taux tendanciel de participation à la population active, où 1/ la population en âge de travailler est en général définie comme l’ensemble des personnes de 15 à 65 ans (mais la définition varie selon les pays) ; elle comprend la population active ayant un emploi et les chômeurs, ainsi que la population inactive (étudiants, retraités, travailleurs découragés, personnes vivant en établissement). À noter que les inactifs font partie de la population en âge de travailler, mais non de la population active, et 2/ le taux de participation à la population active est égal au rapport entre la population active et la population en âge de travailler.

18 Il existe quatre ou cinq phases selon le modèle de transition démographique utilisé.

19 Jasper Fernando (2018), What now, Brazil? The demographic bonus is over – five years early, Gazeta do Povo

20 Canuto O., & Dos Santos T. R., (2018), Economic effects of the Brazilian constitution. Novos estudos CEBRAP, 37(3), 417-426.

21 Fernando (2018).

22 Pereira R.R., de Angelis T.C, Zerbinatti A., D’Atri F. (2020), Required scenarios to increase potential GDP growth, Bradesco Depec Highlight.

23 Selon la banque Bradesco, même dans un scénario de croissance du PIB à 3 %, à partir de 2021, et de celle de la formation brute de capital fixe à 6 %, le taux d’investissement ne s’élèverait à 20 % du PIB qu’au cours de la deuxième moitié de la décennie.

24 Spilimbergo et al. (2018).

25 Banque mondiale (2020b) pour une liste plus exhaustive des politiques susceptibles d’accroître la productivité du travail.

26 Guedes Paulo (2019). Discours au Peterson Institute: Minister Guedes Discusses Brazil’s Economic Agenda. 26th November 2019.

27 Plano Mais Brazil – Transformaçao do Estado (présentation Powerpoint en portugais,ministère de l’Économie)

28 Guedes (2019).

29 Gamarski R., Andrade V., Biller D. (2019), Elusive economic growth points to depth of Brazil’s economic problems, Bloomberg, March 28 2019.

30 De nouveaux cadres réglementaires sont également attendus, entre autres, dans les secteurs des chemins de fer, de l’énergie, de l’assainissement de base, de l’électricité, de l’achat du foncier par des étrangers, des faillites, ainsi que des marchés des changes et des marchés financiers. En 2019, après trois ans de blocages, le Congrès a approuvé un nouveau cadre juridique pour le secteur des télécommunications. Les propositions dans le secteur de l’énergie comprennent une nouvelle loi sur le gaz, la révocation du droit de préemption de Petrobras dans le régime de partage actuel (qui oblige les entreprises à partager les bénéfices avec l’État brésilien pendant la durée du projet). La nécessité de repenser le modèle existant est devenue plus pressante après le flop des enchères pétrolières de novembre 2019. Celles-ci ont rapporté environ BRL 70 mds contre environ BRL 106 mds initialement escomptés, dont 90 % ont été versés par Petrobras.

31 Forum économique mondial (2019), Improving infrastructure Financing in Brazil, Insight Report, en collaboration avec la Banque inter-américaine de développement.

32 Arnold J. (2011), Raising investment in Brazil, OECD Economics Department Working Papers No 900.

33 Référencé dans Biljanovska et al. (2018).

34 Biljanovska et al. (2018). Voir aussi OCDE (2019). Economic policy reforms 2019: going for growth.

35 Furceri D., Ge J., Ostry J. D., Papageorgiou C., & Ciminelli G. (2019), The Political Costs of Reforms; Fear or Reality? (No. 2019/008), Fond monétaire international

36 Schipani A. & Stott M., (2019), Brazil’s Congress takes up new economic reform package. Financial Times (5th November 2019). À noter que les élections ont depuis été ajournées en novembre.

37 Le président avait, dans un premier temps, rejeté l’idée de former une majorité stable en raison de la réprobation attachée aux « anciennes méthodes » selon lesquelles les postes au sein du gouvernement, les avantages et autres faveurs étaient répartis entre les formations politiques en échange d’un soutien au Congrès. Ces dernières années, les coalitions présidentielles ont de plus en plus été synonymes de corruption au Brésil.

38 Volpon T. (2019), What’s ahead for Brazil and its pension reform? Americas Quarterly (juillet 2019.)

39 Rodrigo Maia est considéré par beaucoup comme la cheville ouvrière de l’adoption de la réforme des retraites. Il devra céder sa place à la fin de 2020 début 2021. Stott M., Schipani A., Harris B. (2019), Brazil reforms: has Jair Bolsonaro missed his moment. Financial Times (3rd December 2019).

40 Tautz C. S. F., de Andrade Ramos F., Pinto J. R. L., Serra P. A., & Serra R. V. (2014) ; The “State-of-the-Art” of State-Owned Enterprises in Brazil; International Budget Partnership; Case study, full report.

41 Furceri et al. (2019).

42 Biljanovska et al. (2018).

43 CEPAL, United Nations (2020). The social challenge in times of COVID-19. Special report Covid-19. No3.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE