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Afrique du Sud : une situation budgétaire fragile

21/04/2022

Fin 2021, l’économie sud-africaine n’avait pas retrouvé son niveau d’activité d’avant-Covid. La hausse des prix des matières premières que le pays exporte représente une bouffée d’air à court terme, en attestent les dernières prévisions budgétaires plus optimistes que celles publiées fin 2021. Pour autant, les vulnérabilités structurelles, exacerbées pendant la crise, demeurent. Même si l’économie affiche peu de liens commerciaux avec l’Ukraine et la Russie, elle subit, comme les autres économies émergentes, une poussée inflationniste qui va peser sur la demande. L’augmentation de la masse salariale du secteur public et le soutien financier aux entreprises d’État freinent la baisse du déficit budgétaire. Quand bien même le solde primaire était ramené à l’équilibre à l’horizon 2023-2024, le ratio d’endettement continuerait de progresser. Cela pourrait, par effet d’éviction, pénaliser la croissance alors que l’économie était déjà en proie à la stagnation avant les deux chocs récessifs.


Fin 2021, contrairement à la plupart des autres pays émergents, l’économie sud-africaine n’avait pas retrouvé son niveau d’activité d’avant Covid-19. C’est donc dans un contexte de reprise inachevée et fragile que le pays doit faire face au choc du conflit en Ukraine. Ce dernier accroît l’incertitude bien que les liens économiques directs avec les deux pays belligérants soient limités. L’Afrique du Sud bénéficiera certes d’une légère hausse de ses revenus d’exportation, mais l’impact économique sera néanmoins négatif. La hausse des prix des matières premières, les ruptures dans les chaines de valeurs et l’incertitude accrue sont susceptibles d’infléchir les perspectives économiques du pays.

IMPORTANT DÉFICIT BUDGÉTAIRE
PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES DE L'AFRIQUE DU SUD

La fragilité de la situation budgétaire exacerbée à la pandémie

Les finances publiques de l’Afrique du Sud se sont très largement dégradées au cours des dernières années sur fond de croissance anémique, de baisse de la productivité et d’augmentation continue des dépenses publiques. Ces éléments ont creusé le déficit, passé de -4,1%% du PIB sur l’exercice 2014/15 à -6,1% en 2019/20. Les espoirs de redressement budgétaire en 2018, avec l’arrivée du gouvernement Ramaphosa, se sont rapidement dissipés. La situation n’a cessé de se dégrader avec notamment une progression continue du service de la dette (+12,5% par an) et des salaires du secteur public (+6,5% par an entre 2014/15 et 2019/20).

Le dérapage budgétaire s’est encore accéléré au cours des trois années passées. En 2019, le plan de soutien à Eskom, la société publique de fourniture d’électricité (près de ZAR 60 mds soit 1% du PIB), creuse davantage le déficit. En 2020, confrontées à une récession économique sans précédent, les autorités ont maintenu et accentué la politique expansionniste à travers un vaste plan de relance. Estimées à ZAR 500 milliards (USD 27 mds ou 10% du PIB), les mesures d’urgence ont augmenté considérablement les dépenses (+9% en moyenne annuel sur 2018/19 et 2019/20 par rapport à l’exercice fiscal précédent). Dans le même temps, les revenus ont marqué un recul moyen de -4%, alimentant les inquiétudes sur le dérapage budgétaire et la dynamique de la dette.

Le déficit a atteint -9,9% du PIB en 2020/21 dont la dette publique représente près de 71%. Le soutien accru des créanciers officiels via des lignes de créances à taux d’intérêt faible et le recours accru à l’émission de bons du Trésor sur le marché domestique ont permis de financer le déficit à un coût encore raisonnable. En 2021, dans un contexte de reprise, le déficit a pu se réduire légèrement mais le ratio de dette publique a lui continué d’augmenter.

Des prévisions budgétaire optimiste à modérer

Pour l’année fiscale à venir, le gouvernement a publié fin février des prévisions budgétaires plus favorables que celles de fin 2021. Néanmoins, l’optimisme est alimenté principalement par des facteurs cycliques et les fragilités structurelles demeurent.

Le déficit pour l’année budgétaire 2021/2022 a été révisé à la baisse, grâce à une croissance plus rapide que prévu des recettes fiscales, tirée par le cycle haussier des prix du secteur minier.

Pour l’année budgétaire 2022/23, les prix élevés des principales exportations (aluminium, or et diamants) devraient continuer d’accroître les retombées fiscales. En revanche, et de manière inédite, les taxes sur le carburant ne devraient pas être augmentées, le gouvernement veillant à contenir les prix à la pompe.

Du côté des dépenses, le projet de maîtrise des dépenses courantes est maintenu avec une hausse de 4% par rapport à 2021. Cette augmentation est en ligne avec la hausse des programmes sociaux, et notamment l’extension de l’allocation sociale exceptionnelle mise en place pendant la pandémie. La subvention de 350 ZAR a été prolongée jusqu'à mars 2023, pour un coût total estimé à ZAR 44 mds, soit 0,7 % du PIB. La stratégie de consolidation des dépenses repose principalement sur la maîtrise des salaires dans la fonction publique (près de 35% des dépenses courantes totales) et l’absence de soutiens supplémentaires aux entreprises publiques. Le coût du service de la dette reste le poste de dépenses qui augmente le plus (+12% par an en moyenne sur 2022/23 et 2023/24), soit un rythme bien supérieur à la croissance nominale anticipée. Ainsi, le budget se base sur des projections optimistes de croissance du PIB en termes réels de 1,9% sur 2022/23 et 1,7% sur 2023/24. Or, le budget ayant été élaboré avant le début du conflit en Ukraine, on estime que la croissance réalisée sera plus faible (respectivement +1,5% et +1% en 2022/23 et 2023/24 selon nos prévisions) principalement à cause d’une baisse de la demande intérieure.

Le conflit en Ukraine risque en effet d’accroître l’inflation, ce qui pénaliserait la demande intérieure. L’Afrique du Sud a noué peu de liens directs avec l’Ukraine et la Russie (0,8% des importations totales en 2020) mais son statut d’importateur net d’hydrocarbures et de céréales l’expose à l’augmentation générale des prix et aux ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. Déjà constatées sous l’effet de la reprise mondiale, via la hausse du prix de l’énergie, les tensions sur les prix commencent à se propager à d’autres postes tels que l’alimentation. En conséquence, nous avons révisé drastiquement notre prévision d’inflation. Elle devrait atteindre +6,5% sur l’année civile 2022 et 4,5% en 2023.

Malgré l’accélération de l’inflation, le ratio d’endettement atteindrait plus de 72% du PIB selon nos estimations. Un tel niveau d’endettement rend difficile sa stabilisation même si le déficit budgétaire hors intérêts est modéré et que les prévisions tablent sur un retour à l’équilibre en 2023/2024 ; l’écart significatif entre taux d’intérêt réel et croissance du PIB nourrit un effet boule de neige (cf. Graphique 2). Ainsi, le service de la dette représente près de 15% des dépenses totales (plus de 4% du PIB). De plus, le coût d’emprunt pour l’État pourrait augmenter dans un contexte de resserrement monétaire.

TRAJECTOIRE PÉRILLEUSE DE LA DETTE

Pour l’instant, la structure de la dette (une maturité moyenne de 12 ans dont seulement 10% libellé en devise étrangère et une part des non- résidents sur la dette en monnaie locale réduite de 37% à 28% depuis 2019) amortit l’impact de la hausse des taux et la dépréciation du change, et limite le risque de refinancement. Néanmoins, l’environnement international ne peut qu’accroître l’aversion au risque et contraindre le gouvernement de se refinancer à court terme.

Les défis

Outre les répercussions diverses du conflit en Ukraine, trois sources de pressions peuvent contrecarrer les plans d’assainissement budgétaire.

Premièrement, l'insatisfaction croissante de la population face à la hausse des prix dans un contexte social déjà tendu. Compte tenu des pressions exercées par des inégalités de revenus et un chômage historiquement élevé (plus de 35% fin 2021), il est possible que la subvention exceptionnelle versée aux ménages devienne permanente et que d’autres subventions soient mises en place. Pour l’instant, seule une baisse de la taxe sur le carburant (-40%) a été décidée. Son effet sur le budget devrait être nul car cela repose sur la vente de réserves de pétroles stratégiques.

Deuxièmement, le contexte pourrait amener le gouvernement à revoir à la baisse son ambition de maîtriser la masse salariale du secteur public. Les syndicats ont soumis au gouvernement une proposition de hausse nominale annuelle du salaire de près de 8% (correspondant au taux d’inflation augmenté de 2 points de pourcentage) contre un peu plus de 2,6% prévu dans le budget pour 2022/23. Bien que le gouvernement dispose d'une certaine flexibilité pour accorder une augmentation nominale légèrement supérieure, la hausse souhaitée par les syndicats nécessiterait des mesures supplémentaires pour contenir les dépenses et/ou des réductions d’effectifs. Les négociations en cours seront décisives.

Enfin, la situation financière dégradée et les mauvaises performances des entreprises publiques pourraient nécessiter de nouveaux renflouements de la part de l'État. Le passif des entreprises publiques pèse sur le budget, les garanties accordées représentant plus de 9% du PIB. À titre d’illustration, la potentielle reprise de la dette d’Eskom représente ZAR 329 mds (USD 25,8 mds). Les décisions concernant sa restructuration ne cessent d’être retardées et l’augmentation tarifaire de 9,6% en 2022/23 (bien en deçà des 20,5% demandés) continuera de peser sur les difficultés financières de l’entreprise.

En sortie de crise, les perspectives budgétaires de l’Afrique du Sud demeurent donc extrêmement fragiles. À court terme, la hausse temporaire des revenus pourrait être contrecarrée par une croissance plus faible qu’anticipé et des ajustements budgétaires qui creuseront le déficit. À moyen terme, l’effet d’éviction des déséquilibres budgétaires sur les dépenses d’investissement pourrait donc persister et continuer de peser sur la croissance. Dans ce contexte, les perspectives économiques de l’Afrique du Sud semblent structurellement orientées à la baisse.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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