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Eco Emerging // 2 trimestre 2022
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ÉDITORIAL
LES ÉMERGENTS PLIENT MAIS NE ROMPENT PAS
Alors même que la reprise post-pandémique reste fragile, les pays émergents sont maintenant confrontés à une autre
crise majeure : le conflit en Ukraine et ses effets globalement négatifs sur le commerce extérieur, les flux de capitaux
et, surtout, l’inflation. L’effet indirect de la hausse des prix des matières premières sur l’inflation et le pouvoir d’achat
des populations pourrait être particulièrement sévère, et toucher en premier lieu les pays à faible revenu d’Afrique,
d’Europe centrale et des Balkans. En dépit de cet environnement, nous n’anticipons pas de dégradation généralisée
de la solvabilité publique et externe des pays émergents à court terme. Quelques gouvernements, notamment en
Afrique et au Moyen-Orient, pourraient toutefois rapidement faire face à des difficultés de paiement.
Concernant les importateurs de matières premières, les PECB et la
RISQUES INFLATIONNISTES
Turquie devraient être plus touchés que les pays asiatiques, car leurs
parts d’importations de matières premières agricoles, combustibles et
Avant la confrontation militaire en Ukraine, nous étions d’un optimisme
métaux depuis la Russie et l’Ukraine sont beaucoup plus importantes.
prudent pour les marchés émergents. L’activité avait retrouvé son
Par conséquent, les producteurs seront à la fois confrontés à des
niveau du T4 2019 dans une majorité de pays. En janvier-février,
contraintes d’approvisionnement et à la hausse des prix des matières
l’économie mondiale était sur la voie du redressement, après des
premières. Les ménages seront aussi comparativement plus touchés,
retards temporaires liés au variant Omicron, et les perturbations dans
car le poids de l’énergie dans l’IPC y est plus élevé que dans les pays
les chaînes d’approvisionnement s’atténuaient. Néanmoins, notre
asiatiques. Par conséquent, le resserrement des politiques monétaires
prudence était justifiée par l’accélération générale de l’inflation et la
des PECB va se poursuivre.
nouvelle détérioration de la courbe épidémique en Europe, en Asie et,
plus inquiétant encore, dans certaines régions industrielles de Chine.
RISQUE SOUVERAIN : PEU DE PAYS CONCERNÉS
Après la crise de la Covid-19 de 2020-2021, les marchés émergents
sont maintenant confrontés à une deuxième crise majeure, alors même
Malgré ces perspectives plus sombres, nous maintenons une approche
que la reprise post-pandémique reste fragile, en particulier pour les
prudente et sélective de notre évaluation des risques souverains.
pays à faible revenu (PFR). Le conflit en Ukraine constitue un choc
Premièrement, la plupart des pays émergents font face au nouveau
d’offre qui affectera les pays émergents à travers différents canaux
choc avec une liquidité externe généralement saine, et même
(
commerce extérieur, flux de capitaux, inflation).
une solvabilité externe souvent intacte par rapport à fin 2019 – à
Jusqu’à présent, l’impact financier global sur les pays émergents a été l’exception notable de l’Argentine, de l’Égypte et de la Turquie. Pour
modéré. Les taux de change sont restés stables ou ont été réévalués les importateurs de matières premières, l’effet de la flambée des prix
pour les exportateurs de matières premières. Les spreads sur les titres sur les comptes extérieurs sera évidemment négatif. Mais compte tenu
de dette en devises n’ont augmenté que pour les emprunteurs non-in- du ralentissement attendu des volumes d’importations, les déficits
vestment grade. Les marchés actions ont été résilients, non seulement courants ne devraient pas dépasser 5% du PIB en 2022, sauf pour
en Asie (à l’exclusion de la Chine) et en Amérique latine, mais aussi l’Égypte, le Maroc, la Roumanie, la Tunisie et le Sénégal. En Égypte, la
dans la région EMEA (hors Russie), pourtant considérée comme la plus dégradation du déficit courant, la forte dépendance aux importations
touchée. Enfin, les banques des pays émergents ont une exposition très de céréales et le souvenir des émeutes du pain de 1977 et des tensions
limitée à la Russie, et ce même dans les pays d’Europe centrale et en sociales de 2008 ont provoqué d’importantes sorties de capitaux, avec
Turquie, qui sont pourtant plus exposés.
notamment la vente de titres par les investisseurs étrangers sur le
marché local de la dette souveraine. Les autorités monétaires ont
été contraintes de dévaluer la livre égyptienne et le gouvernement a
demandé le soutien du FMI.
L’effet direct de la forte contraction attendue des importations en pro-
venance de Russie et d’Ukraine (effet demande) ne devrait pas être très
sévère, sauf évidemment dans les pays de la CEI et, dans une moindre
mesure, les pays d’Europe centrale et des Balkans (PECB) et en Turquie. Deuxièmement, au-delà de l’augmentation généralisée de l’endette-
ment public entre 2019 et 2021 (avec une hausse moyenne et médiane
L’effet indirect de la flambée des prix des matières premières sur
de +10 pp de PIB), les principaux indicateurs utilisés pour évaluer la
l’inflation sera plus préjudiciable. En effet, elle aura de graves
solvabilité des souverains sont restés satisfaisants ou se sont moins
répercussions sur le pouvoir d’achat de la population de l’ensemble des
détériorés que prévu. Les ratios intérêts/revenus budgétaires ont légè-
régions. Le choc sur les prix des matières premières est comparable
rement augmenté (hausse médiane d’environ 1%), et la part de la dette
aux chocs précédents et s’étend à tous les secteurs (énergie, métaux
libellée en devises, ainsi que celle en monnaie locale détenue par des
et alimentation). Il touchera en premier lieu les PFR africains (qu’ils
non-résidents ont diminué. Les pays dont les indicateurs de solvabilité
soient exportateurs de matières premières ou non), car la moitié
et de liquidité sont les plus fragiles et/ou qui se sont le plus détériorés
d’entre eux dépendent des céréales importées pour près de 50% ou plus
depuis 2019 se trouvent presque exclusivement au Moyen-Orient et
de leurs besoins. Pour les pays exportateurs de matières premières,
en Afrique. L’Argentine reste très fragile, avec un ratio d’endettement
notamment en Amérique latine, l’effet négatif de l’inflation sur la
public inchangé et majoritairement en devises, mais le pays a obtenu
consommation des ménages devrait être compensé par les gains
le rééchelonnement de sa dette auprès du FMI et son excédent courant
exceptionnels des termes de l’échange. Cela nécessite néanmoins
devrait se consolider.
une politique proactive de redistribution par les gouvernements.
La banque
d’un monde
qui change