Dégradation des comptes extérieurs
En cours depuis mi-2021, l’érosion de la liquidité en devises s’est accélérée avec le déclenchement de la guerre en Ukraine. Au cours du second semestre 2021, le creusement du déficit des comptes courants et la prudence des investisseurs étrangers (les primes de risque sur les emprunts souverains en devises ont doublé entre septembre et décembre 2021) ont entraîné une détérioration de la balance des paiements. Si les réserves de change de la CBE sont restées pratiquement stables en 2021 à environ USD 36 mds (or exclu), la dette extérieure nette des banques commerciales a bondi, atteignant USD 11,5 mds fin 2021, alors qu’elle était nulle six mois auparavant.
La vulnérabilité de l’économie égyptienne aux conséquences du conflit en Ukraine a entraîné d’importantes sorties de capitaux. Au cours du mois de mars 2022, les réserves de change de la CBE ont baissé de USD 4,8 mds tandis que les réserves tier 2 (destinées à faire face aux sorties de capitaux volatils) se sont réduites de USD 7,4 mds.
Dans ce contexte, la CBE a laissé la livre se déprécier d’environ 15% par rapport au dollar US et des discussions officielles avec le FMI se sont ouvertes. Parallèlement, l’Arabie saoudite a augmenté de USD 5 mds ses dépôts auprès de la CBE et un des fonds souverains émiratis a acquis environ USD 2 mds d’actifs sur le marché actions égyptien (équivalant à environ 5% de la capitalisation totale). Ce soutien important et celui probable du FMI devraient contenir les pressions à la baisse sur les réserves à très court terme.
Néanmoins, nous restons prudents quant aux perspectives à court et moyen terme. En effet, la crise ukrainienne montre une nouvelle fois la fragilité de la balance des paiements égyptienne aux chocs externes, et l’importance d’un soutien extérieur significatif dans une telle situation. Nous prévoyons en effet un creusement du déficit courant en 2022 et 2023. Même si les volumes d’importations ralentissent fortement, le gain sera compensé par la hausse des prix des matières premières. Le pays est importateur net de pétrole depuis 2015 et le déficit des comptes extérieurs d’hydrocarbures devrait atteindre environ USD 1 mds en 2022 et 2023 (contre USD 0,4 md en moyenne les trois années précédentes).
Concernant les importations de produits alimentaires, même si le niveau des stocks de blé et le début de la campagne de récolte de la production nationale (environ un 25% de la consommation) peuvent contenir les importations pendant quelques mois, les difficultés d’acheminement de la production de blé russe et ukrainienne (80% des importations égyptiennes) et les prix élevés sur l’ensemble de la chaine de valeur (engrais, énergie, transport) devraient maintenir la pression à la hausse sur le prix du blé au moins jusqu'à la fin 2022.
Du côté des exportations, les gains de compétitivité escomptés avec la dépréciation de la livre sont très incertains en raison de l’interdiction d’exportations de certaines catégories de biens et du ralentissement attendu du commerce mondial. Au total, le déficit commercial pourrait dépasser pour la première fois USD 50 mds en a.b. 2023 (11% du PIB). Les recettes du canal de Suez devraient continuer de progresser, notamment grâce à la hausse des droits de péage, mais elles ne représentent que 6% environ des recettes courantes totales. Le rebond de l’activité touristique attendu devrait être retardé de plusieurs mois.
Seul point réellement positif, les transferts des expatriés égyptiens (un tiers des recettes courantes) devraient rester soutenus en raison de la conjoncture économique porteuse dans les pays du Golfe et l’attractivité des taux sur les certificats de dépôts en livres proposés par les deux principales banques publiques (18% sur un an). Au cours de l’année budgétaire 2023, le besoin de financement total (déficit courant et amortissement de la dette en devises) approcherait des USD 30 mds. Les financements multilatéraux (FMI) et bilatéraux (notamment pays du Golfe) devraient couvrir une partie de ce besoin de financement. En revanche, les flux d’investissement de portefeuille sont plus incertains et plus coûteux. En effet, les primes de risque sur les obligations souveraines ont augmenté de 150 points depuis un an.
Le déficit budgétaire repart à la hausse
Les efforts d’assainissement budgétaire observés depuis 2015 vont s’interrompre. En raison notamment de la hausse des subventions alimentaires et d’une collecte fiscal ralentie, le déficit budgétaire devrait atteindre 7,9% du PIB cette année et le solde primaire rester positif, équivalant à 0,1% du PIB.
La détérioration des perspectives économiques depuis le début de l’année a incité le gouvernement à revoir son projet de budget pour 2023. Les mesures annoncées concernent une augmentation générale des dépenses sociales, des salaires et des retraites du secteur public, ainsi qu’une réduction des taxes sur les transactions financières qui devrait notamment bénéficier aux investisseurs étrangers. Selon nos estimations, ces mesures pourraient atteindre environ 5% du PIB. Parallèlement, la combinaison de la hausse des taux d’intérêt à court terme de la banque centrale et de la persistance des pressions inflationnistes devrait accroître les taux de financement du gouvernement sur l’ensemble des maturités. Au total, nous anticipons en a.b. 2023 un solde budgétaire primaire négatif (-0,4% du PIB) et une hausse de la charge d’intérêt (51% des revenus en a.b. 2021).