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Égypte : la liquidité extérieure en sursis

21/04/2022
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Les perspectives économiques de l’Égypte se sont brusquement dégradées avec le déclenchement de la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les prix des matières premières. Leur hausse généralisée va entraîner une chute du pouvoir d’achat des ménages et donc gripper le principal moteur de l’activité. L’érosion de la liquidité en devises s’est accélérée depuis un mois avec des sorties massives de capitaux. En outre, le déficit courant devrait se creuser en raison de la difficile compression des importations, la fréquentation touristique pourrait baisser et l’effet de la dépréciation de la livre sur les exportations devrait être limité. Ces difficultés soulignent la persistance de la vulnérabilité de l’économie aux chocs externes et la nécessité de soutiens extérieurs. Celui, déjà en place, des pays du Golfe et le soutien attendu du FMI permettront de gagner du temps, mais les investisseurs étrangers resteront prudents dans un contexte de dégradation des perspectives des comptes publics.

INDICE DES PRIX À LA CONSOMMATION, CONTRIBUTIONS À L’INFLATION
PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES DE L’ÉGYPTE

Malgré le fort rebond de l’activité enregistré durant le premier semestre de l’année budgétaire (a.b.)[1] 2022 (supérieur à 8% en g.a.), la croissance du PIB devrait être en deçà des attentes sur l’ensemble de l’année. Principal moteur de l’activité économique, la consommation des ménages devrait être particulièrement affectée par les conséquences de la guerre en Ukraine. Si certains prix alimentaires (dont le pain, l’aliment de base de la majorité de la population) devraient rester sous contrôle grâce au soutien des subventions budgétaires, la hausse du prix des matières premières sur les marchés mondiaux entraîne l’ensemble des prix à la hausse et va éroder un peu plus le pouvoir d’achat des ménages. L’investissement pourrait ralentir lui aussi avec la hausse des prix de matériaux de construction.

Les conséquences sur le commerce extérieur (en volume) sont plus ambivalentes. Les bénéfices de la hausse de la demande européenne de gaz et de la dépréciation récente de la livre sur les exportations de produits manufacturés seront contraints par les capacités réduites d’exportations supplémentaires de gaz, après le fort rebond de 2021, et la compétitivité limitée des exportations hors hydrocarbures. Par ailleurs, les exportations de certains produits alimentaires et de matériaux industriels sont interdites pendant au moins un semestre pour éviter des ruptures d’approvisionnement.

De plus, la reprise de l’activité touristique est compromise à court terme, les touristes russes et ukrainiens représentant environ 30% de la fréquentation totale. L’ensemble de ces éléments, liés à la crise ukrainienne, devrait surtout affecter le dernier trimestre de l’année budgétaire en cours.

Grâce à un rebond au cours de la première partie de l’année, la croissance devrait atteindre 5,5% au cours de l’ a.b. 2022. Mais l’activité va ralentir au cours du premier semestre de l’année calendaire en cours et nous n’anticipons qu’une très modeste progression durant l’année budgétaire 2023. Notre scénario central est celui d’un maintien du prix des matières énergétiques et agricoles à un niveau élevé au moins jusqu’à fin 2022. La consommation des ménages resterait donc pénalisée par le niveau élevé des prix durant la première moitié de l’a.b. 2023. Par ailleurs, la contrainte que représentent les dépenses non ou peu compressibles (salaires, charges d’intérêt) devrait limiter les possibilités d’un soutien gouvernemental à l’activité économique. Même dans l’hypothèse d’un rebond de l’activité au cours du second semestre, la croissance du PIB ne devrait atteindre que 3,9% au cours de l’a.b. 2023.

Forte poussée inflationniste

L’inflation des prix à la consommation a fortement accéléré depuis le début de l’année. En glissement sur un an, l’inflation a augmenté de 6% en décembre 2021, à 10,5% en mars 2022, et l’inflation sous-jacente (10,1% en mars) enregistre la même accélération. L’impact de la dépréciation de la livre sur le prix des biens importés ne devrait être que partiellement atténué par la fixation d’un taux de change particulier (EGP/USD 16) s’appliquant à certains biens de première nécessité. L’effet de change s’ajoute au niveau élevé des prix des matières premières sur les marchés internationaux, et nous anticipons une accélération jusqu’à atteindre 13% en g.a. au mois d’avril. Le mois du ramadan est traditionnellement associé à une poussée inflationniste. En moyenne, elle devrait être de 8,2% au cours de l’a.b 2022. Dans l’hypothèse d’un maintien des cours des matières premières à un niveau élevé jusqu’à la fin de l’année 2022, l’inflation des prix à la consommation devrait atteindre en moyenne 10,1% en a.b. 2023.

Dans ce contexte, la cible d’inflation des autorités monétaires (7% +/-2% en moyenne au cours du T4 2022) risque d’être largement dépassée. Le relèvement du taux d’intérêt directeur de la banque centrale (CBE), initié en mars, devrait donc se poursuivre au cours de l’année 2022.

Dégradation des comptes extérieurs

ÉGYPTE : AVOIRS EN DEVISES DU SYSTÈME BANCAIRE

En cours depuis mi-2021, l’érosion de la liquidité en devises s’est accélérée avec le déclenchement de la guerre en Ukraine. Au cours du second semestre 2021, le creusement du déficit des comptes courants et la prudence des investisseurs étrangers (les primes de risque sur les emprunts souverains en devises ont doublé entre septembre et décembre 2021) ont entraîné une détérioration de la balance des paiements. Si les réserves de change de la CBE sont restées pratiquement stables en 2021 à environ USD 36 mds (or exclu), la dette extérieure nette des banques commerciales a bondi, atteignant USD 11,5 mds fin 2021, alors qu’elle était nulle six mois auparavant.

La vulnérabilité de l’économie égyptienne aux conséquences du conflit en Ukraine a entraîné d’importantes sorties de capitaux. Au cours du mois de mars 2022, les réserves de change de la CBE ont baissé de USD 4,8 mds tandis que les réserves tier 2 (destinées à faire face aux sorties de capitaux volatils) se sont réduites de USD 7,4 mds.

Dans ce contexte, la CBE a laissé la livre se déprécier d’environ 15% par rapport au dollar US et des discussions officielles avec le FMI se sont ouvertes. Parallèlement, l’Arabie saoudite a augmenté de USD 5 mds ses dépôts auprès de la CBE et un des fonds souverains émiratis a acquis environ USD 2 mds d’actifs sur le marché actions égyptien (équivalant à environ 5% de la capitalisation totale). Ce soutien important et celui probable du FMI devraient contenir les pressions à la baisse sur les réserves à très court terme.

Néanmoins, nous restons prudents quant aux perspectives à court et moyen terme. En effet, la crise ukrainienne montre une nouvelle fois la fragilité de la balance des paiements égyptienne aux chocs externes, et l’importance d’un soutien extérieur significatif dans une telle situation. Nous prévoyons en effet un creusement du déficit courant en 2022 et 2023. Même si les volumes d’importations ralentissent fortement, le gain sera compensé par la hausse des prix des matières premières. Le pays est importateur net de pétrole depuis 2015 et le déficit des comptes extérieurs d’hydrocarbures devrait atteindre environ USD 1 mds en 2022 et 2023 (contre USD 0,4 md en moyenne les trois années précédentes).

Concernant les importations de produits alimentaires, même si le niveau des stocks de blé et le début de la campagne de récolte de la production nationale (environ un 25% de la consommation) peuvent contenir les importations pendant quelques mois, les difficultés d’acheminement de la production de blé russe et ukrainienne (80% des importations égyptiennes) et les prix élevés sur l’ensemble de la chaine de valeur (engrais, énergie, transport) devraient maintenir la pression à la hausse sur le prix du blé au moins jusqu'à la fin 2022.

Du côté des exportations, les gains de compétitivité escomptés avec la dépréciation de la livre sont très incertains en raison de l’interdiction d’exportations de certaines catégories de biens et du ralentissement attendu du commerce mondial. Au total, le déficit commercial pourrait dépasser pour la première fois USD 50 mds en a.b. 2023 (11% du PIB). Les recettes du canal de Suez devraient continuer de progresser, notamment grâce à la hausse des droits de péage, mais elles ne représentent que 6% environ des recettes courantes totales. Le rebond de l’activité touristique attendu devrait être retardé de plusieurs mois.

Seul point réellement positif, les transferts des expatriés égyptiens (un tiers des recettes courantes) devraient rester soutenus en raison de la conjoncture économique porteuse dans les pays du Golfe et l’attractivité des taux sur les certificats de dépôts en livres proposés par les deux principales banques publiques (18% sur un an). Au cours de l’année budgétaire 2023, le besoin de financement total (déficit courant et amortissement de la dette en devises) approcherait des USD 30 mds. Les financements multilatéraux (FMI) et bilatéraux (notamment pays du Golfe) devraient couvrir une partie de ce besoin de financement. En revanche, les flux d’investissement de portefeuille sont plus incertains et plus coûteux. En effet, les primes de risque sur les obligations souveraines ont augmenté de 150 points depuis un an.

Le déficit budgétaire repart à la hausse

Les efforts d’assainissement budgétaire observés depuis 2015 vont s’interrompre. En raison notamment de la hausse des subventions alimentaires et d’une collecte fiscal ralentie, le déficit budgétaire devrait atteindre 7,9% du PIB cette année et le solde primaire rester positif, équivalant à 0,1% du PIB.

La détérioration des perspectives économiques depuis le début de l’année a incité le gouvernement à revoir son projet de budget pour 2023. Les mesures annoncées concernent une augmentation générale des dépenses sociales, des salaires et des retraites du secteur public, ainsi qu’une réduction des taxes sur les transactions financières qui devrait notamment bénéficier aux investisseurs étrangers. Selon nos estimations, ces mesures pourraient atteindre environ 5% du PIB. Parallèlement, la combinaison de la hausse des taux d’intérêt à court terme de la banque centrale et de la persistance des pressions inflationnistes devrait accroître les taux de financement du gouvernement sur l’ensemble des maturités. Au total, nous anticipons en a.b. 2023 un solde budgétaire primaire négatif (-0,4% du PIB) et une hausse de la charge d’intérêt (51% des revenus en a.b. 2021).

[1] L’année budgétaire N s’étend de juillet de l’année N-1 à juin de l’année N.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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