Une reprise soutenue et équilibrée
Avant le choc du conflit entre la Russie et l’Ukraine, la reprise économique s’est poursuivie sur un rythme soutenu. La croissance du PIB réel a légèrement accéléré au S2 2021 (+2% par trimestre) contre 1,7% au S1. Le choc récessif de la Covid-19 a été largement effacé, le niveau d’activité au T4 2021 étant supérieur de 5% à ce qu’il était deux ans auparavant. En termes de rattrapage, l’économie polonaise s’adjuge la tête du peloton des pays d’Europe centrale et orientale.
En 2021, la croissance a reposé essentiellement sur la demande intérieure, la contribution des exportations nettes de biens et services étant devenue fortement négative. Les performances des exportations ne sont pas en cause, ces dernières progressant bien plus fortement que les importations des pays de l’Union européenne (UE), principaux partenaires commerciaux de la Pologne (+12% contre +9%). Les importations ont simplement progressé en ligne avec la demande intérieure (l’élasticité apparente a été de 2).
La reprise a été équilibrée avec une croissance équivalente de la consommation des ménages et de l’investissement total (respectivement +6% et +7%), mais aussi de l’investissement en équipement (hors matériel de transport) et l’investissement en construction (+6% chacun). De plus, la progression de la consommation publique est restée modérée (2%). Autre indice positif, le crédit aux ménages s’est redressé mais ne s’est pas emballé (5,2% sur un an en février 2022, contre 6% fin 2019). La dynamique des prêts à la consommation (+2,1% sur un an en février 2022) est même particulièrement faible au regard de la croissance des salaires (+10% fin 2021) et d’un marché du travail en situation de quasi plein emploi (à seulement 3%, le taux de chômage est revenu à son niveau de la fin 2019, sans baisse de la population active).
Les déficits jumeaux n'inquiètent plus
La vigueur de la croissance a permis de réduire le déficit du budget du gouvernement central de 3,7% du PIB en 2020 à seulement 1% en 2021, la baisse des dépenses y contribuant à hauteur des deux-tiers. Le déficit des administrations publiques (État central, organismes de sécurité sociale, collectivités locales) a augmenté, ces deux dernières années, de 3,5 points de PIB car une partie des mesures du plan de soutien massif (EUR 74,5 mds budgétés soit 14.5% du PIB) a été financé hors budget, notamment via le fonds de développement (PFR). Fin 2021, le ratio de dette du gouvernement central était presque revenu à son niveau d’avant-crise (43,7% du PIB contre 42,4% fin 2019). En revanche, selon les normes européennes (i.e. au sens de Maastricht), la dette des administrations publiques a augmenté, selon l’OCDE, de 11,4 points de PIB pour atteindre 57% fin 2021. L’écart s’explique par la dette des collectivités locales (3,5% du PIB) et, depuis 2020, les émissions de dette du PFR. Pour autant, la hausse du ratio de dette sur PIB reste maîtrisée grâce à l’écart très largement positif entre la croissance nominale et les rendements des obligations souveraines. Il permet de réduire, à budget primaire équilibré, le ratio d’au moins 2 points de pourcentage (pp) par an.
La balance courante est redevenue déficitaire avec l’accélération des importations en volume et l’envolée des prix des matières premières. Au S2 2021, le déficit a atteint 3,2% du PIB. Mais le déficit était encore très largement couvert par les entrées nettes d’IDE (2,6% du PIB au S2 2021) et les financements de l’UE (annuellement, l’équivalent de 2,5% du PIB). Les réserves de la banque centrale se sont consolidées sans augmentation de l’endettement. La dette extérieure a même diminué en 2021 tant en termes absolus qu’en termes relatifs (i.e. en pourcentage du PIB et des exportations).
Seule ombre au tableau, l’inflation a réaccéléré de 650 points de base (pb) tout au long de 2021 passant de 2,3% en décembre 2020 à 8,8% en décembre 2021. L’énergie et l’alimentation y ont contribué à hauteur de 440 pb, l’inflation sous-jacente officielle (dont le champ est légèrement différent de l’inflation hors énergie & alimentation) n’ayant accéléré que de 160 pb. L’accélération plus modérée de l’inflation sous-jacente témoigne d’une interaction prix-salaires encore contenue au regard de la progression à deux chiffres des seconds et du très faible niveau du chômage. La banque centrale a d’ailleurs tardé à relever ses taux directeurs, ne les augmentant qu’au dernier trimestre 2021 (165 pb en cumul sur l’ensemble de l’année).
De fortes capacités de résistance au choc Ukrainien
Fin 2021, le tableau de l’économie polonaise était donc plutôt flatteur, avec une croissance forte et des déséquilibres contenus. En janvier-février 2022, les indicateurs conjoncturels (indice PMI, production industrielle, exportations, ventes au détail) sont restés très bien orientés. Seule la confiance des ménages s’est érodée avec la reprise des cas de contamination, l’accélération de l’inflation et le durcissement beaucoup plus incisif de la politique monétaire (le taux de la banque centrale a été porté à 4,5% soit 275 points de base supplémentaires depuis le 31/12/2021 ).
Le déclenchement du conflit et les menaces russes adressées à l’ensemble de la communauté internationale en cas d’entrave à l’invasion de l’Ukraine ont entamé la confiance des entreprises et ménages polonais. Lee zloty s’est déprécié de 3% contre euro depuis la mi-février. Toutefois, jusqu’à présent, le marché obligataire a bien résisté compte tenu i/ de l’ampleur du resserrement monétaire (depuis la mi-février, le ratio entre la hausse des rendements obligataires et la hausse des taux d’intérêt directeurs a été de 1,1 contre 2 ou plus pour les pays émergents comparables et ayant retardé le plus possible le durcissement monétaire) et ii/ le fait que la Pologne, comme la plupart des pays de l’ancien bloc soviétique, est considérée comme étant vulnérable à ce nouveau choc externe.
L’activité industrielle devrait subir un choc d’offre, sinon par les ruptures ou difficultés d’approvisionnement, du moins par la hausse des prix des consommations intermédiaires. La Pologne dépend, comme les autres pays d’Europe centrale, de la Russie et de l’Ukraine pour ses importations de pétrole, gaz, produits agricoles et engrais. Fin mars, le gouvernement polonais a exhorté ses partenaires européens à imposer un embargo à l’importation sur le pétrole, le gaz et même le charbon, dont la Russie est le premier fournisseur (à hauteur de 75%), une source d’énergie importante pour l’économie polonaise (20% de ses besoins). Pour l’instant, seul l’embargo sur le charbon a été décidé par l’UE.
Les ménages subiront une nouvelle poussée d’inflation car l’alimentation et l’énergie représentent 40% du panier de consommation. Toutefois les ménages ont accumulé des gains de pouvoir d’achat très substantiels au cours des dernières années, y compris en 2020 et 2021. Entre 2015 et 2021, la progression des salaires réels a été de 4% par an en moyenne. De plus, depuis janvier, les ménages bénéficient de mesures fiscales redistributives, avec un relèvement du plafond de non-imposition à l’IRPP et des exemptions pour les retraités et les familles nombreuses, et de la baisse (jusqu’en juillet) de la TVA sur l’énergie et les produits alimentaires. L’inflation s’est d’ailleurs stabilisée à 9% depuis janvier.
Selon le consensus, la guerre en Ukraine entamerait la croissance polonaise de 1 à 1,5 point pour 2022. C’est probablement une hypothèse conservatrice car le soutien budgétaire pour les ménages devrait compenser les pertes de pouvoir d’achat et ces derniers peuvent puiser dans leur épargne accumulée. De plus, le financement de l’accueil des réfugiés (4 millions selon le UNHCR depuis le début du conflit)est compris dans une fourchette de EUR 2,2 mds (estimation officielle) et 5,2 mds (estimation de la banque Pekao) soit entre 0,4% et 1% du PIB. La consommation des ménages pourrait donc ne pas ralentir. De plus, le budget de la défense a été revu à la hausse, même si l’effet de ce surcroît de demande publique sur l’activité se fera davantage ressentir en 2023 qu’en 2022.
Le frein à la croissance devrait venir principalement des exportations (et indirectement de l’investissement). En effet, les ventes à destination de la Russie et de l’Ukraine représentent 3,4% des exportations totales. Mais l’économie polonaise dépend moins des échanges extérieurs que ses voisins (son taux d’ouverture, c’est-à-dire la demi-somme des exportations et importations, rapportée au PIB, était de 52% du PIB en 2019 contre 80% pour la Rép. tchèque, 95% pour la Hongrie et la Slovaquie).
L’impact négatif d’un choc sur les exportations est potentiellement important mais sous réserve d’hypothèses extrêmement conservatrices. En supposant un arrêt total des exportations vers les pays belligérants, il faudrait de surcroît une réduction d’un tiers de la croissance des exportations vers la zone euro et le reste du monde hors Russie et Ukraine pour que l’effet multiplicateur (négatif) atteigne -2 points pourcentage de PIB. De plus, cet impact pourrait être atténué par des gains de parts de marché. En effet, depuis 2015, le pays affiche des performances à l’exportation bien supérieures à celles de ses concurrents proches (y compris la Turquie), tant sur le marché européen que sur les autres zones géographiques. Une des raisons tient à la progression plus modérée des coûts salariaux unitaires grâce à des gains de productivité soutenus (4% en moyenne par an entre 2015 et 2020).