Face à une inflation inquiétante, le nouveau gouverneur de la Banque du Japon (BoJ), Kazuo Ueda, n’aura aucun répit. Si l’augmentation des prix devrait décélérer au premier trimestre 2023 grâce aux subventions gouvernementales sur l’énergie, l’inflation sous-jacente a poursuivi sa hausse cet hiver. La dynamique des prix complique la capacité de la BoJ à maintenir inchangée sa politique de contrôle des taux d’intérêt, même si les rendements obligataires se sont retranchés à la suite de l’épisode de faillites bancaires aux États-Unis. L’économie japonaise a stagné au dernier trimestre 2022, certes soutenue par le commerce extérieur et par la consommation privée, mais freinée par l’investissement public et privé. Nous prévoyons un maintien de la croissance en 2023 (1,2%) sur un rythme similaire à celui de 2022 (1,1%), avant une croissance plus molle en 2024 (0,8%).
L’inflation a baissé en février (3,3% a/a) notamment grâce aux subventions sur l’énergie mises en place par le gouvernement. Néanmoins, l’inflation pourrait se révéler plus persistante que prévu en 2023 et rendre moins tenable la politique monétaire actuelle de la BoJ.
Premièrement, l’inflation sous-jacente (hors aliments frais et énergie) continue sa progression (3,6% a/a en février après 3,3% en janvier). Deuxièmement, l’inflation s’est nettement généralisée au cours du dernier trimestre 2022 et l’indice de diffusion de l’inflation de la BoJ s’établissait à 69,3 points en février, proche du record à 69,5 de décembre. Enfin, l’inflation des services progresse également plus rapidement (1,3% a/a en février contre 0,8% en décembre).
Ces éléments, combinés aux hausses de salaires importantes à venir, devraient maintenir l’inflation proche des 3% en 2023, un retour vers la cible des 2% n’étant pas attendu avant 2024. Le nouveau gouverneur de la BoJ, Kazuo Ueda, se trouve donc sous pression au moment de prendre son poste en avril. Si la politique monétaire devrait rester accommodante, nous prévoyons que le plafond du corridor de contrôle de la courbe des taux japonaise sera réhaussé à 1% (maturité à 10 ans) dans les prochains mois (0,5% aujourd’hui).
Une reprise qui tombe à plat
La réouverture aux touristes de l’économie japonaise a permis le retour de ces derniers, bien que le nombre d’arrivées de visiteurs étrangers en janvier soit resté inférieur de près de moitié (44%) à son niveau de 2019. Cela a néanmoins permis au secteur des services de rebondir et de soutenir pour plus d’un quart la croissance de la consommation au quatrième trimestre 2022. Par ailleurs, le potentiel de rattrapage reste important : les dépenses des non-résidents au Japon s’établissaient à la fin de l’année 2022 à un tiers de leur niveau pré-pandémique, et cela devrait rester un facteur de soutien à l’économie en 2023. De son côté, et malgré un revenu du travail qui recule en termes réels depuis maintenant près de deux ans, la consommation des ménages a dépassé pour la première fois, au quatrième trimestre 2022, son niveau pré-pandémique.
Le marché du travail s’est resserré au dernier trimestre 2022 et devrait rester tendu en 2023. Le taux de chômage est proche de son niveau prépandémique historiquement faible, à 2,6% en février. Les nouvelles offres d’emploi atteignent également leur niveau de février 2020. Les tensions sur le marché du travail, de même que celles persistantes sur les prix à la consommation, pousseraient à la hausse les salaires. Selon le ministère du Travail, les salaires nominaux de base ont progressé de 0,8% a/a en janvier 2023, en baisse par rapport aux chiffres de la fin d’année 2022 (+1,6% a/a en décembre). Cette tendance devrait s’accentuer à la suite des négociations salariales annuelles (Shunto), dont les accords finaux devraient intervenir en avril.
Le premier ministre Fumio Kishida milite en faveur de hausses de salaires de l’ordre de 3%, plus faibles que celles de 5% demandées par le syndicat Rengo (syndicat des ouvriers japonais). Nous prévoyons, pour notre part, un consensus à hauteur de 3,6%. Une telle augmentation salariale compenserait tout juste les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat.
L’impact de l’allégement de la politique chinoise « zéro-covid » sur l’économie japonaise reste pour le moment modéré, mais des effets plus notables devraient se faire sentir d’ici le deuxième trimestre 2023. La production industrielle japonaise, très corrélée aux exportations vers la Chine, et donc à la conjoncture chinoise, s’est redressée de 4,5% a/a en février après s’être contractée en janvier (-6,4% a/a) mais reste inférieure de 7,4% à son niveau du 3e trimestre 2019. La production d’automobiles, grande contributrice aux exportations japonaises, enregistrait, quant à elle, un déficit de 11,2% en février par rapport à son niveau pré-pandémique. Les exportations vers la Chine, qui avaient chuté en décembre et janvier, devraient poursuivre le rebond entamé en février (+20% m/m).
Guillaume Derrien (avec l’aide de Louis Morillon, stagiaire)