L’automne et l’hiver se sont mieux passés qu’initialement craint sur le plan énergétique. Cela a permis d’éviter une croissance négative au 4e trimestre 2022 (+0,1% t/t) et de faire naître un relatif optimisme, que traduit la remontée de l’indicateur du climat des affaires de l’Insee de décembre à février. Si un acquis de croissance plus favorable conduit naturellement à rehausser notre prévision de croissance pour 2023, celle-ci reste toutefois basse et témoigne de détériorations durables d’une partie de la demande, notamment l’investissement des ménages. De plus, si l’inflation devrait refluer, elle reste soutenue par les prix alimentaires avec un impact négatif sur la consommation des ménages.
La conjoncture française peut s’apprécier au regard de trois éléments. Tout d’abord, une surprise positive avec une contraction évitée (de peu) au 4e trimestre 2022, le risque que des pénuries d’énergie affectent la croissance ne s’étant pas matérialisé. Ceci pourrait laisser penser, à tort, que les fondamentaux de l’économie française sont plus solides qu’ils ne le sont réellement.
Le deuxième élément a trait aux autres chocs dont les effets continuent de se diffuser à l’économie et qui affaiblissent ses fondamentaux. L’inflation ne devrait certes plus augmenter, mais les hausses de prix s’accumulent : notre anticipation d’une inflation à 5,7% a/a en moyenne en 2023 fait suite à un chiffre de 5,9% en 2022, ce qui ne manque pas d’affecter la consommation des ménages (-1,2% t/t au 4e trimestre).
En outre, la hausse des taux d’intérêt produit déjà des effets sur l’investissement des ménages, dont la contraction a été importante au 2e semestre 2022 et devrait se poursuivre.
Enfin, un troisième élément concerne la levée progressive des freins à la croissance, qui pourrait permettre d’éviter la récession. Il s’agit notamment de l’atténuation des pénuries de semi-conducteurs et de la réouverture de l’économie chinoise, qui devrait soutenir à terme l’aéronautique, le tourisme et le luxe.
2022 : des soutiens à la croissance encore nombreux
L’année 2022 a vu nombre d’éléments de rattrapage post-Covid soutenir la croissance, qui devraient être moins actifs en 2023. La production de services a rebondi pour combler l’écart avec sa tendance pré-Covid, soutenue par le retour à la normale de l’activité dans le tourisme et l’hébergement-restauration. Le marché du travail a également comblé son retard. L’emploi a ainsi retrouvé le niveau qui aurait résulté de la tendance pré-Covid, permettant au taux de chômage d’approcher de nouveau le seuil des 7% atteint pour la dernière fois en 2008. Les entreprises ont pu reconstituer leurs stocks, ce qui s’est traduit par une contribution de 0,6 point de pourcentage (pp) des variations de stocks à la croissance en 2022. Les entreprises ont également augmenté leur investissement (contribution de 0,5 pp à la croissance), bénéficiant d’un début de desserrement des contraintes d’offre, notamment dans l’automobile, au 2nd semestre.
Les chiffres de la croissance ne traduisent pas tout à fait ce dynamisme de l’économie, la hausse des importations d’énergie ayant permis d’éviter des pénuries malgré une production d’électricité qui a diminué de 20% a/a au 2nd semestre. Des stocks de gaz plus élevés et les importations additionnelles d’électricité ont participé pour près de la moitié à la contribution négative de 0,8 pp du commerce extérieur à la croissance en 2022 : au lieu de 2,6%, cette dernière aurait donc atteint 3% sans cette évolution atypique en matière d’énergie[1].
2023 : perte de dynamisme franche, sans récession
S’il est fréquent d’entendre que « quand le bâtiment va, tout va », l’inverse est également souvent vrai. Or, un retournement a bien lieu. Selon l’Insee, alors que 12% des ménages déclaraient en janvier 2022 (un record) envisager l’achat d’un logement dans les 2 ans, ils n’étaient plus que 8% en février 2023. C’est un niveau encore supérieur au plus bas (5%) atteint pour la dernière fois en novembre 2014. Néanmoins, la baisse est franche et elle se traduit par une contraction de l’investissement des ménages de 1,2%, entre le 1er et le 2nd semestre 2022, et l’anticipation d’une baisse de 2,5% en 2023. La hausse des taux d’intérêt, qui devrait se poursuivre, joue un rôle dans cette évolution. Il convient de noter toutefois que d’autres secteurs du bâtiment continuent de bénéficier de dynamiques plus positives, comme la construction neuve hors logement et, singulièrement, l’entretien et la rénovation des bâtiments.
La contraction que connait le logement neuf ne résume cependant pas à elle seule la conjoncture française. Les contraintes d’offre restent prédominantes dans l’économie. Si la baisse de la demande devrait à terme réduire ces tensions, elle reste relative à ce jour. Certes, les carnets de commande dans l’industrie manufacturière se sont réduits, de 7,3 mois en février 2022 à 6 mois un an plus tard selon nos estimations (un étiage proche de leur niveau moyen entre 1990 et aujourd’hui). Mais la réduction des contraintes d’approvisionnement et le retour de débouchés (Chine) devraient bénéficier au secteur des matériels de transport, le dernier dont l’activité reste nettement inférieure à l’avant-Covid.
De plus, l’augmentation des salaires, plus forte en 2023 qu’en 2022, devrait soutenir la croissance. En complément, le soutien au pouvoir d’achat du bouclier tarifaire sur l’énergie devrait permettre de stabiliser la consommation des ménages autour du niveau atteint au 4e trimestre 2022, et donc d’éviter une baisse additionnelle. Cet élément stabilisateur est de nature à éviter in fine une récession.
Achevé de rédiger le 31 mars 2023
Stéphane Colliac