D'après l'estimation GDPNow de la Réserve fédérale d'Atlanta, la croissance américaine resterait élevée au T1 2023 (3,2% en rythme trimestriel annualisé). Les nouvelles sur le front du marché du travail restent bonnes également. Tout irait pour le mieux si l'inflation ne perdurait pas également sur un rythme élevé, plaidant pour de nouvelles hausses de taux de la Fed, dont les effets ont récemment mis en difficulté certains modèles bancaires. Avant cela, nous nous attendions à ce que le resserrement des conditions d'accès au crédit entraîne l'économie en récession. Un durcissement supplémentaire pèserait plus nettement encore sur l'activité et, in fine, sur l'inflation. Au point que la Fed atteigne plus vite son taux terminal ? Nos nouvelles prévisions en date du 30 mars prennent actent de cette possibilité et situent désormais le point d'arrivée des fed funds à 5,25% (fourchette haute) en mai (au lieu de 5,75% en juillet précédemment).
Après le creux du S1 2022, la croissance s’est installée sur un rythme élevé au S2 (3% environ en rythme trimestriel annualisé au T3 comme au T4 2022), défiant ainsi le signal récessif de l’indicateur composite avancé du Conference Board (en baisse de 7% en glissement annualisé sur 6 mois en février 2023), et plus spécifiquement l’inversion importante de la courbe des taux (depuis juillet 2022 pour l’écart entre le taux à 10 ans et à 2 ans).
Il y a toutefois matière à relativiser la solidité de la croissance américaine au T4 2022. Un peu plus de la moitié s’explique, en effet, par la contribution positive des variations de stocks (après deux trimestres de contribution très négative). La consommation des ménages a perdu de l’allant et les exportations se sont repliées (les importations ayant baissé encore plus, la contribution du commerce extérieur est néanmoins positive).
Le point le plus négatif, et le maillon faible le mieux identifié, est le marché immobilier. L’investissement résidentiel baisse pour le septième trimestre d’affilée. C’est l’un des effets les plus visibles du resserrement monétaire en cours mais pas seulement. En effet, le repli remonte à la mi-2021 alors que la première hausse de taux de la Fed date de mars 2022. Lors de la crise des subprime, la chute de l’investissement résidentiel avait été plus importante encore (près de -60% entre le T4 2005 et le T2 2009), mais l’ampleur du recul sur les trois derniers trimestres n’en est pas moins spectaculaire (-5% t/t au T2, -8% au T3 et -7% au T4). Si on regarde le verre à moitié plein, la progression de l’investissement productif est restée soutenue au T4 (+0,8% t/t).
Sans apparaître comme un autre maillon faible, les ménages sont plus affectés par le choc inflationniste que les entreprises. Les premiers ont perdu en pouvoir d’achat tandis que les secondes ont globalement préservé leur taux de marge en 2022. En termes de taux d’endettement, le point notable est la réduction de celui des ménages qui atteint désormais le taux d’endettement des entreprises, à hauteur de 75% du PIB environ. En matière de confiance, l’analyse est rendue difficile par le grand écart, du côté des ménages, entre l’indicateur du Conference Board (au-dessus de son niveau 100 de référence) et l’enquête de l’Université du Michigan (très déprimée, même si elle s’est redressée depuis son creux historique de la mi-2022). Du côté des entreprises, un décalage existe également entre le secteur manufacturier, où le signal est négatif (indice ISM du climat des affaires environ 2 points sous le seuil des 50 de décembre 2022 à février 2023), et les services où le signal est très positif (indice ISM à 55 sur janvier et février).
La situation du marché du travail demeure rassurante, même si les créations d’emplois perdent progressivement en momentum et si le taux de chômage ne baisse plus depuis mars 2022 (sachant qu’à environ 3,5%, il est à un niveau historiquement bas).
Si l’endettement de la sphère privée non financière n’est pas, de prime abord, un sujet de préoccupation, le niveau très élevé du ratio de dette publique sur PIB retient plus l’attention (115%). En outre, le débat sur le relèvement du plafond de la dette pourrait susciter quelques épisodes de stress mais une résolution sera trouvée, quitte à ce que ce soit à la dernière minute. Des premiers craquements, faisant craindre une crise plus large, sont apparus dans la sphère bancaire régionale avec les difficultés rencontrées par la Silicon Valley Bank (SVB). Au moment où nous écrivons, le risque semble contenu, des mesures d’endiguement ayant été rapidement prises. Mais il devrait s’ensuivre un durcissement, plus net que celui déjà engagé, des conditions d’accès au crédit, ce qui pèsera sur la croissance. Le risque baissier vient aussi de ce que l’inflation reste élevée et la désinflation lente, plaidant pour une poursuite des hausses de taux. La situation n’est pas hors de contrôle car l’inflation ne se généralise plus (tendance baissière du poids combiné des composantes dont l’inflation est supérieure à 2% en variation mensuelle annualisée). Mais elle a gagné en persistance, notamment au travers de la composante « logement »[1].
Avant le choc SVB, nous pensions que l’économie américaine se dirigeait vers une récession mais les signes de résistance nous avaient amenés à la décaler d’un trimestre. Le durcissement supplémentaire anticipé des conditions d’accès au crédit à la suite de l’épisode SVB accentue quelque peu la récession attendue, qui resterait toutefois courte (du T3 2023 au T1 2024) et d’ampleur limitée (baisse cumulée du PIB de -0,9%). En moyenne annuelle, la croissance s’élèverait à 1,4% en 2023. Plus optimistes pour cette année que le consensus de mars (à hauteur de 0,5 point environ), nous le sommes en revanche nettement moins pour 2024. Compte tenu de l’acquis de croissance négatif et des effets de la politique monétaire restrictive qui continueraient de se faire sentir, la croissance basculerait, légèrement, en territoire négatif cette année-là (contre un consensus à 0,9%).
Hélène Baudchon