Si le pic de l’inflation en zone euro a probablement été atteint en octobre dernier, le processus de désinflation s’annonce lent, et un retour à la cible de 2% n’est pas attendu avant 2025. Les dernières projections macroéconomiques de la Banque centrale européenne (BCE) abondent dans ce sens. La seconde vague d’inflation est très soutenue – l’IPCH hors énergie progresse de 7,9% a/a en mars – alors même que de nouvelles hausses de prix dans l’alimentation sont à craindre au cours des prochains mois. Malgré cela, l’activité économique au sein de l’Union monétaire résiste mieux qu’attendu face au double choc, inflationniste et sur les taux d’intérêt. Le scénario d’une récession en 2023 est actuellement écarté, mais la croissance reste sur un fil. Le taux de chômage se maintient à un plus bas historique, alimentant des pénuries de main d’œuvre et des hausses plus rapides de salaires.
En zone euro, les salaires négociés (conventions collectives) ont accéléré au cours de l’année dernière, pour s’établir à 2,9% en glissement annuel au quatrième trimestre 2022. Le coût du travail, qui intègre d’autres charges que les salaires bruts (cotisations sociales employeur, frais de formation et de recrutement, primes), a enregistré une hausse plus rapide, à hauteur de 5,7% en g.a. au dernier trimestre 2022.
Les tensions sur le marché du travail s’exercent certes à des degrés différents selon les pays, mais les pénuries de recrutement à l’échelle de la zone euro restent importantes, dans un contexte où le taux de chômage se maintient à un niveau historiquement bas depuis la création de l’Union monétaire, à 6,7% en février.
L’enquête trimestrielle de la Commission européenne souligne bien que les freins à l’activité des entreprises sont essentiellement liés aux problèmes de recrutement et d’équipements. Cependant, et comme indiqué dans cette même enquête, le durcissement des conditions financières et le ralentissement de la demande constituent des obstacles de plus en plus importants qui devraient s’accentuer au cours de l’année.
À l’issue de sa réunion du 16 mars, la BCE a relevé de 50 points de base le taux de dépôt, à 3,0% (le taux de refinancement est relevé d’autant, à 3,5%). Nous prévoyons toutefois de nouvelles hausses et un taux de dépôt terminal à 3,5% (taux de refinancement à 4,0%) qui serait atteint en juin. Dans ses dernières projections macroéconomiques (mars 2023), la BCE a rabaissé sa prévision d’inflation pour les trois prochaines années (2023-2025), mentionnant la chute plus importante que prévu des prix de l’énergie. En revanche, elle a rehaussé sa prévision d’inflation hors énergie pour 2023, de 5,3% à 5,8%. Ce changement notable traduit, en filigrane, le manque de visibilité sur l’évolution à court terme des prix dans l’alimentation. Les gouvernements nationaux, dans leur ensemble, peinent toujours à les juguler, même si un panel de mesures est progressivement mis en place (« trimestre anti-inflation » en France, suppression de la TVA en Espagne).
La croissance de l’activité reste sur un fil, et une contraction au T1 2023 n’est pas à exclure. Toutefois, les données d’enquête se sont renforcées au cours du premier trimestre 2023, suggérant que si contraction il y avait, elle sera limitée. L’indice PMI composite, en zone de contraction depuis juillet 2022, est repassé au-dessus de ce seuil en début d’année (54,1 en mars), porté par les services (55,6), tandis que l’activité du secteur manufacturier reste détériorée (47,1). La réouverture de l’économie chinoise ainsi que le désengorgement des chaînes de production mondiale n’ont pas encore offert un réel sursaut d’activité aux industriels européens. Ces derniers pâtissent d’une consommation domestique qui, sans flancher, reste peu dynamique, freinée par la baisse du pouvoir d’achat des ménages. En volume, la consommation privée en zone euro (comptabilité nationale) s’est même repliée au dernier trimestre 2022 (-0,9% t/t), restant autour de 1% en dessous de son niveau d’avant-Covid.
Pacte budgétaire européen : à la relance
Au-delà des inquiétudes à court terme sur les effets du resserrement monétaire, la Commission européenne entend réactiver, en 2024, les règles du pacte de stabilité et de croissance qui ont été gelées durant la crise sanitaire, et à nouveau suspendues à la suite de la guerre en Ukraine et du choc énergétique. Les deux grands critères de convergence limitent les déficits publics des pays de la zone euro à 3% du PIB et la dette des États membres à 60% du PIB. Ce cadre sera toutefois assoupli pour faire face aux nouvelles réalités économiques, et notamment à l’endettement public en zone euro qui est en hausse de près de 25 points de PIB par rapport à son niveau antérieur à la crise financière de 2008. De plus, les États membres auront des besoins considérables en investissement pour réaliser la transition verte et numérique, besoins désormais accrus par la nécessité de renforcer le secteur énergétique et la défense. Les ministres des Finances de l’Eurogroupe se sont entendus le 14 mars dernier sur les grandes lignes de ce nouveau pacte européen qui devront encore être affinées et approuvées par les chefs d’État. Un accord pourrait intervenir dans le courant du printemps.
Achevé de rédiger le 31 mars 2023
Guillaume Derrien