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La croissance s’est affaiblie, mais l’emploi résiste

03/04/2023
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L’Allemagne est le pays d’Europe de l’Ouest où la croissance du PIB a été la plus négative au 4e trimestre 2022 (-0,4% t/t). De plus, les indicateurs conjoncturels, bien qu’ils s’améliorent, sont restés relativement dégradés au début de l’année 2023. Une nouvelle contraction du PIB au 1er trimestre 2023 reste donc notre scenario central. Toutefois, des signaux plus favorables (pic d’inflation dépassé, réouverture de la Chine, réduction des tensions sur les approvisionnements dans l’automobile) pourraient engendrer un retour de la croissance à partir du 2e trimestre. Cela transparait déjà dans la confiance des ménages, même si la faiblesse de la croissance en zone euro, depuis le 4e trimestre 2022, pourrait limiter l’intensité de cette reprise.

L’Allemagne a enregistré une baisse de son PIB au 4e trimestre 2022 (-0,4% t/t), en ligne avec les enquêtes de conjoncture. Cela n’avait pas été le cas au 3e trimestre, où la croissance du PIB avait été positive malgré des enquêtes dégradées (climat des affaires, confiance des ménages) : un chiffre favorable qui a donc engendré un contrecoup.

CROISSANCE ET INFLATION

Après trois trimestres de progression continue (malgré une détérioration de la confiance des ménages), la consommation privée s’est repliée au 4e (-1% t/t), sous le poids de la nette accélération de l’inflation (jusqu’à 11,6% a/a en octobre 2022).

L’investissement en machines et équipements a aussi joué à la baisse (-3,6% t/t), après un très bon chiffre au 3e trimestre (+5,4% t/t). En glissement annuel (a/a), cet investissement a cependant continué de progresser au 4e trimestre de 4,5%. Une diminution plus structurelle semble concerner l’investissement dans la construction (-2,9% t/t au 4e trimestre et -6,8% par rapport au T1 2022), qui apparait affecté par la remontée des taux d’intérêt.

La proportion d’entreprises qui indiquent, dans l’enquête de la Commission européenne sur le climat des affaires, que des tensions sur la demande limitent leur production a augmenté : 16% des entreprises de l’industrie manufacturière au 1er trimestre 2023 (contre 11% il y a un an), ce qui souligne l’affaiblissement de la conjoncture allemande. Toutefois, les tensions sur la main d’œuvre limitent la production pour une proportion d‘entreprises inchangée dans l’industrie (29%, comme il y a un an) et pour une part accrue dans les services (30% contre 26% il y a un an). Ces tensions continuent d’alimenter des créations d’emplois importantes (457 000 en 2022, dont 112 000 au 4e trimestre), maintenant le marché du travail sous tension et soutenant en parallèle le revenu des ménages. Cette bonne dynamique a perduré au mois de janvier (64 000 créations d’emplois).

Les difficultés d’approvisionnement limitent toujours la production pour 47% des entreprises interrogées, contre 76% il y a un an. Le relâchement partiel de ces freins a permis aux entreprises allemandes de reconstituer leurs stocks : le solde d’opinion correspondant à l’évaluation de leur stocks de produits finis a atteint 7,9 points dans l’industrie en février (enquête de la Commission européenne) contre -13,8 un an auparavant, et 7,5 en moyenne historique. La contribution positive des variations de stocks au 4e trimestre 2022 (0,4 point) a donc limité l’impact négatif de la contraction de la demande sur la croissance.

Et si la reprise allemande venait…d’Allemagne ?

Par le passé, notamment en 2010, le redémarrage de la croissance a été largement tiré par les exportations. La situation sera-t-elle différente cette fois-ci ?

Certes, l’Allemagne présente la double caractéristique d’avoir connu, dans l’enquête de S&P sur les perspectives d’activité (Business outlook), la plus nette amélioration au niveau mondial entre octobre 2022 et février 2023 (de près de 25 points), mais d’afficher encore un niveau parmi les plus dégradés (seule la France présente des perspectives inférieures). Deux éléments, auxquels l’Allemagne est fortement exposée, expliquent l’amélioration : le secteur de l’automobile (moindres difficultés d’approvisionnement) et la Chine (réouverture de l’économie avec la fin de la stratégie zéro-Covid). Ces facteurs de soutien pour la conjoncture allemande restent néanmoins modérés : les nouvelles immatriculations progressent de 14% a/a sur les trois derniers mois à fin février 2023 mais restent inférieures de 9% par rapport à l’avant-Covid.

Des éléments plus négatifs, comme la conjoncture en zone euro, pourraient a contrario freiner cette reprise. Il en ressort que la croissance anticipée du 2e au 4e trimestre ne devrait pas effacer l’acquis de croissance négatif à la sortie du 1er trimestre, pour une prévision de croissance annuelle de -0,2%.

Toutefois, une croissance supérieure reste envisageable, portée par la consommation des ménages : un paradoxe car ce poste de la demande n’a, à aucun moment, retrouvé son niveau pré-Covid, et son poids dans le PIB allemand a structurellement diminué par rapport au début des années 2000, de près de 5 points, plus qu’aucun autre poste de demande. Pour autant, la désinflation qui a débuté après le pic d’octobre 2022 (11,6% a/a) et la situation moins dégradée qu’anticipé (absence de tension sur l’offre d’énergie cet hiver) ont engendré un rebond de la confiance des ménages, plus prononcé pour le moment dans sa composante anticipations. Or, c’est un élément caractéristique d’une situation de reprise économique[1]. Une telle reprise pourrait se fonder sur une dynamique plus favorable du pouvoir d’achat, avec une inflation moindre, tandis que les revenus seraient soutenus par un marché du travail toujours tendu, ainsi que par la redistribution de profits élevés au bénéfice des salariés.


Achevé de rédiger le 31 mars 2023

Stéphane Colliac

[1] L’Allemagne est le pays d’Europe de l’Ouest où la croissance du PIB a été la plus négative au 4e trimestre 2022 (-0,4% t/t). De plus, les indicateurs conjoncturels, bien qu’ils s’améliorent, sont restés relativement dégradés au début de l’année 2023. Une nouvelle contraction du PIB au 1er trimestre 2023 reste donc notre scenario central. Toutefois, des signaux plus favorables (pic d’inflation dépassé, réouverture de la Chine, réduction des tensions sur les approvisionnements dans l’automobile) pourraient engendrer un retour de la croissance à partir du 2e trimestre. Cela transparait déjà dans la confiance des ménages, même si la faiblesse de la croissance en zone euro, depuis le 4e trimestre 2022, pourrait limiter l’intensité de cette reprise.

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