L’économie espagnole a mieux résisté que prévu en 2022 (+5,5%), mais une décélération de l’activité est attendue cette année. La production industrielle est en baisse, freinée par le secteur de l'énergie et des biens intermédiaires. L'investissement et la consommation privée se sont repliés sensiblement au T4 2022 et subiront en 2023 la pression de la remontée des taux d’intérêt et de l’inflation élevée. Hors énergie, la hausse des prix à la consommation accélère encore, à 8,2% en février. La résorption du déficit public, plus importante qu’anticipé en 2022, facilite la poursuite du soutien budgétaire en 2023. Toutefois, si les mesures pour contrer la hausse des coûts de l’énergie ont été efficaces, l’effet de celles ciblant d’autres postes de la consommation est plus mitigé : la suppression, en janvier dernier, de la TVA sur les produits de première nécessité ne freine toujours pas la hausse des prix alimentaires.
En Espagne, les enquêtes auprès des entreprises semblent écarter le risque d’une récession à court terme. Le PMI composite a nettement rebondi en février (+4,1 points à 55,7), tiré par les services (+4,0 points à 56,7), tandis que l‘indice manufacturier (+4,6 points à 52,1) est repassé au-dessus du seuil de contraction pour la première fois depuis juin 2022.
Compte tenu de sa corrélation étroite avec l'inflation, celle-ci baissant, la confiance des ménages est, elle, remontée au cours des derniers mois. Elle reste toutefois bien inférieure à son niveau atteint avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, en février 2022. De plus, les intentions d’achat des consommateurs sont au plus bas depuis décembre 2020, preuve des difficultés financières auxquelles ils sont confrontés.
L'érosion du pouvoir d'achat des ménages les plus vulnérables sera néanmoins limitée par la décision du gouvernement de relever le salaire minimum de 8% en janvier 2023, ce qui compensera l’inflation qui s’est établi pour ce mois à 5,9%. Il s'agit de la cinquième revalorisation du salaire minimum depuis l'arrivée au pouvoir de la coalition de gauche en 2018. À 1080 euros, le salaire minimum représente désormais 60% du revenu médian national, ce qui correspond à l'objectif annoncé par le gouvernement lors de son investiture.
L’inflation a reflué depuis son pic à 10,8% en glissement annuel en juillet dernier, grâce aux mesures de gel des prix de l'énergie maintenues, pour la plupart, en 2023. Néanmoins, la hausse actuelle des prix, plus généralisée et persistante, maintiendrait l’inflation au-dessus de 3% d’ici à la fin de l’année. En février, les prix alimentaires ont enregistré une hausse record de 16,6% en glissement annuel, entraînant dans leur sillage les prix dans l’hôtellerie-restauration (+7,9%), tandis que ceux des biens d’équipements ménagers se sont stabilisés sur un rythme de croissance élevé (+7,6%). En conséquence, l'inflation sous-jacente (hors énergie et produits frais) a augmenté pour atteindre 7,0% en glissement annuel en février.
Par ailleurs, les coûts de financement en Espagne poursuivront leur hausse cette année, alimentant la décélération de la masse monétaire et des crédits. En glissement annuel, les flux de crédits à l’habitat sont déjà repassés dans le négatif en décembre dernier et la contraction devrait s’amplifier, avec des effets toutefois à relativiser sur les prix immobiliers. Ces derniers dépendent aussi beaucoup de l’équilibre entre l’offre et la demande, qui reste un facteur de soutien de prix, l’offre étant contrainte. Si le rythme de la hausse des prix immobiliers a légèrement ralenti au cours des derniers mois, il restait dynamique en février, à +6,4% en glissement annuel.
Malgré les actions du gouvernement pour juguler le choc énergétique, le déficit public s'est réduit plus rapidement qu’anticipé en 2022 et le déficit primaire s’est réduit de moitié, passant de EUR 60,8 mds en 2021 (5,0% du PIB) à EUR31 mds (2,3%), selon les chiffres préliminaires du ministère des finances espagnol (CIGAE). Les créations d’emplois, toujours très dynamiques cet hiver, contribuent, avec l’inflation des prix à la consommation et, dans une moindre mesure, des salaires, à gonfler les recettes fiscales de l’État, en hausse de 10% en 2022. Les dépenses publiques ont progressé sensiblement, à hauteur de 3% sur l’année, mais moins que les revenus.
En effet, la bonne nouvelle pour l’économie espagnole, ce sont les créations nettes d’emplois qui se poursuivent. Le nombre de travailleurs affiliés au système de sécurité sociale a progressé de 0,7% en cumulé sur la période janvier-février, continuant sur la lancée de 2022 (+4,7%). Bien que le taux de chômage soit remonté légèrement au quatrième trimestre 2022, à 12,9%, le marché du travail résiste. Le déploiement du plan de relance et de résilience national soutiendra par ailleurs les embauches à moyen terme. La Banque d’Espagne estime à cet égard que les créations d’emplois seront concentrées au sein des secteurs du digital (information et communication, services professionnel et technique) ainsi que dans la construction, où les nouvelles infrastructures liées à la transition verte nécessiteront un surplus de main d’œuvre.[1] Si le plan de relance devrait permettre aussi de redonner, à terme, un surcroît d’élan à l’investissement, ses effets jusqu’à aujourd’hui semblent limités, à en juger par le niveau actuel de la formation brute de capital fixe.[2]
Guillaume Derrien