L'analyse du cycle économique se concentre généralement sur le volet de la demande, et vise à déterminer si la croissance sera faible ou forte. Pour cela, elle intègre différentes variables telles que le revenu des ménages, le marché du travail, la confiance, les bénéfices des entreprises, les taux d'intérêt, etc.
Cette approche est logique. Après tout, la production évolue en fonction de la demande. Ce n'est qu'à un stade avancé du cycle économique que l'offre peut être au centre de l'analyse cyclique, lorsque des goulets d'étranglement apparaissent sur le marché du travail ou celui des produits, et entraînent un risque de hausse des salaires et de l'inflation.
Le cycle économique actuel est atypique, et cela influence la démarche analytique. La situation sanitaire (attendue) est bien sûr essentielle – par son influence sur les dépenses, la mobilité, la production – pour évaluer les perspectives conjoncturelles. Néanmoins, une fois ce facteur pris en compte, l'accent est mis sur l'offre et sa capacité à répondre au niveau de la demande, plutôt que sur la demande elle-même.
La vigueur de la demande à court terme ne fait aucun doute dans la plupart des économies avancées[1], alors que depuis de nombreux mois déjà, les ruptures d’approvisionnement pèsent sur la demande et freinent la croissance mondiale.
Une telle situation soulève de nombreuses questions. Les perspectives de croissance dépendent dans une large mesure du relâchement ou non des contraintes d'offre. En outre, il est difficile d’évaluer l'état réel de la demande. Aux États-Unis, les dernières minutes du FOMC en sont l’illustration : « La demande de logements est restée forte… Les pénuries de matériaux semblent avoir gêné la finition des constructions… » L’investissement des entreprises américaines souffre également des contraintes d'offre : « La croissance de l'investissement fixe des entreprises semble augmenter de nouveau à un rythme lent au quatrième trimestre, les goulets d'étranglement de l'offre continuant de peser sur leurs dépenses d'équipement, et la disponibilité limitée de matériaux freine toujours les dépenses dans les constructions non résidentielles. »
L'estimation de l’évolution possible de l'inflation est également plus complexe[2] et le degré d'incertitude des prévisions d'inflation est plus élevé qu'auparavant. C'est ce qu'a reconnu Isabel Schnabel, membre du Directoire de la BCE, dans une récente interview : « Nous sommes conscients de l'incertitude entourant nos projections d'inflation. Les risques sont orientés à la hausse. »[3] Elle a également souligné le rôle des données d'enquête : « La plupart des économistes ne s’attendaient pas une hausse de l’inflation d’une telle ampleur. Nous comptons de plus en plus sur des enquêtes auprès des entreprises et des ménages pour mieux comprendre ce qui se passe. Certaines entreprises disent s'attendre à ce que les goulets d'étranglement durent jusqu'en 2023. »
D’après les dernières données des indices des directeurs des achats (PMI), le pire est peut-être derrière nous en matière de ruptures d’approvisionnement (cf. graphiques 1 et 2). Ainsi, dans la zone euro comme aux États-Unis, la part des entreprises, confrontées à une hausse des prix des intrants et qui envisagent d'augmenter leurs prix à la production, a commencé à diminuer. De plus, les délais de livraison raccourcissent. Cela donne à penser que les pressions sur les prix diminuent, tout en restant à des niveaux très élevés.
L’indice des tensions sur la chaîne d’approvisionnement mondiale de la Réserve fédérale de New York permet une évaluation plus complète. Il est basé sur des indicateurs portant sur les coûts de transport transfrontaliers, et sur les indices PMI[4] pour le secteur manufacturier. Les premiers indicateurs proviennent de l'indice Baltic Dry sur le coût de l'expédition des matières premières, de l'indice Harpex qui suit les taux d'expédition des conteneurs, et des indices des prix du fret aérien à l'étranger et à l'arrivée pour le transport aérien entre les États-Unis, d'une part, et l'Asie et l'Europe, d'autre part. Concernant les enquêtes PMI, trois séries sont utilisées : le délai de livraison, les carnets de commandes et les stocks achetés, ce qui permet de mesurer l'ampleur de l'accumulation des stocks[5]. De plus, les données PMI sont corrigées pour tenir compte de l'influence des fluctuations de la demande[6].
Selon les économistes de la Fed de New York, l'indice « semble suggérer que les tensions sur la chaîne d'approvisionnement mondiale, bien qu'historiquement élevées, ont atteint un sommet et pourraient commencer à se réduire légèrement ». La visibilité est toutefois très faible. Dans un récent article du Financial Times[7], des sources dans l'industrie affirment que la congestion des ports pourrait durer encore un certain temps. De plus, le variant Omicron pourrait causer d'autres perturbations si les taux d'infection élevés provoquaient une pénurie de personnel. Étant donné l'importance des ruptures d’approvisionnement dans les perspectives de croissance et d'inflation, l'incertitude des prévisions devrait rester très élevée.