Retour temporaire à un déficit courant
Le Vietnam a bénéficié d’une forte amélioration de ses comptes externes au cours des quelques années précédant la pandémie de Covid-19, avec d’importantes entrées d’IDE, un renforcement durable de la base d’exportations et des excédents courants, une hausse des réserves de change, et une stabilisation des ratios d’endettement extérieur à un niveau modéré.
En 2020, ces dynamiques n’ont pas été remises en question (graphique 2). Le secteur exportateur a été en mesure de répondre à l’évolution de la demande mondiale au lendemain du choc sanitaire, et il a augmenté ses parts de marché (le Vietnam représentait 1,6% du total des exportations mondiales en 2020 contre 1,4% en 2019). L’excédent courant s’est renforcé pour dépasser 4% du PIB en 2020, grâce à la hausse de l’excédent commercial et en dépit de la détérioration du déficit de la balance des services liée à l’arrêt de l’activité touristique. Les entrées d’IDE n’ont que légèrement fléchi ; les réserves de change ont continué d’augmenter ; et le ratio de dette externe sur PIB est resté proche de 36%.
En revanche, en 2021, la balance courante s’est fortement dégradée, affichant un déficit estimé proche de 1% du PIB sur l’ensemble de l’année. Ce déficit courant n’est toutefois pas considéré comme une source majeure de vulnérabilité.
Premièrement parce qu’il est temporaire. Si le déficit de la balance des services a continué de se creuser en 2021, le déficit courant a surtout résulté de la détérioration – importante mais transitoire – du solde commercial, devenu déficitaire aux T2 et T3 2021. Alors que la hausse des importations est restée forte, les exportations ont été ralenties par les mesures de confinement, les difficultés d’approvisionnement de biens intermédiaires et les perturbations dans les transports de marchandises. Avec le redémarrage du moteur exportateur à partir d’octobre, les soldes commercial et courant étaient de nouveau excédentaires au T4. Ces améliorations devraient se poursuivre à très court terme, même si elles restent freinées par les pénuries qui persistent dans les industries de la région.
Deuxièmement, les IDE résistent. En 2021, les entrées nettes enregistrées dans la balance des paiements ont continué de diminuer légèrement, restant proches de 4% du PIB (estimation). Ainsi, le Vietnam a conservé une « balance de base » (compte courant + IDE) positive lui permettant de ne pas accroître son recours à l’endettement extérieur. Il a également continué d’accumuler des réserves de change, qui dépassent dorénavant USD100 milliards et couvrent quatre mois d’importations. Ces dynamiques ont également contribué à une légère appréciation du dong contre le dollar. Le Vietnam reste bien positionné pour continuer d’attirer les investisseurs étrangers et d’étendre sa base d’exportations à court et moyen terme. Ses excédents courants, sa liquidité et sa solvabilité extérieures devraient donc se consolider.
Soutien budgétaire nécessaire
Les autorités devraient renforcer les mesures de soutien budgétaire à très court terme. Le redressement de l’activité tournée vers le marché intérieur reste en effet difficile et des aides vont être proposées aux ménages et aux entreprises les plus fragiles. Le gouvernement dispose d’une certaine marge de manœuvre pour assouplir sa politique budgétaire : le Vietnam a abordé la crise sanitaire après plusieurs années de consolidation des finances publiques, et les plans de relance depuis 2020 ont été limités. Le déficit budgétaire atteindrait 4,7% du PIB en 2021, contre 3,9% en 2020 et 3,3% en 2019 (sur la base des données du FMI). La dette du gouvernement est restée modérée, estimée à 49% du PIB fin 2021, contre 43,6% en 2019. En 2022, en supposant une hausse du déficit budgétaire à 5% du PIB dans un contexte de fort rebond de l’activité, le ratio de dette publique/PIB devrait à peine augmenter. En outre, le gouvernement a couvert ses besoins de financement sans difficulté depuis deux ans, principalement sur le marché obligataire local (la dette libellée en dongs représente maintenant 60% de sa dette totale). Le taux sur les bons du Trésor à 10 ans (maturité résiduelle) est ainsi descendu progressivement à 1,9% en moyenne au T4 2021 contre 2,2% au T4 2020 et 3,6% au T4 2019.
En revanche, la marge de manœuvre monétaire devrait se réduire en 2022. D’abord parce que les pressions inflationnistes vont augmenter. L’inflation des prix à la consommation, qui avait ralenti en 2020, a ré-accéléré en 2021, passant de 0,3% en g.a. au T1 à 2,7% en moyenne sur la période avril-août. Elle a fléchi au T4 (à 1,9%) mais devrait remonter à court terme, tirée par le redressement de la demande intérieure et la hausse des coûts logistiques et de transports. Avant d’atteindre la cible de 4% fixée par la banque centrale, la plus forte inflation pourrait conduire à des hausses de taux directeurs d’ici la fin 2022 (le taux directeur a été maintenu à 4% depuis octobre 2020, contre 6% à fin 2019).
Ensuite, l’endettement excessif de l’économie vietnamienne devrait inciter la banque centrale à davantage de prudence. Les conditions monétaires sont restées très accommodantes depuis le début de la crise sanitaire (baisse des taux d’intérêt, injections de liquidités, allègement des règles macro-prudentielles, réaménagements de prêts). La croissance du crédit bancaire a ré-accéléré à partir de la mi-2020 jusqu’à la mi-2021 (passant de 10% en g.a. environ à 15%), pour ensuite fléchir, puis se stabiliser à un rythme toujours élevé proche de 14% en g.a. au T4. En conséquence, les crédits à l’économie représentaient 139% du PIB en 2021, contre 121% en 2019 (sur la base du PIB nominal annuel révisé de +25% par les autorités statistiques). Les autorités doivent agir pour ralentir la hausse de l’endettement. En même temps, les difficultés de certaines entreprises depuis le choc sanitaire et la fragilité de certaines banques (toujours insuffisamment capitalisées) ne permettent pas un resserrement trop rapide des conditions monétaires, qui pourrait conduire à une hausse dangereuse des risques de crédit.