Les risques de la Nouvelle politique économique
Cette instabilité financière est assumée par les autorités dont la stratégie est de soutenir la croissance par les exportations grâce un taux de change faible, et stimuler l’investissement grâce à un assouplissement volontariste de la politique monétaire pour soutenir le crédit domestique (le principal taux d’intérêt directeur de la TCMB a été ramené de 19% en septembre à 14% actuellement, soit un taux réel largement négatif).
En stimulant la compétitivité, le rétablissement durable du compte courant permettrait ensuite de stabiliser le taux de change et de réduire indirectement l’inflation. Dans l’intervalle, les États du Golfe pourraient soutenir les réserves de changes en cas de pressions trop fortes.
Cette stratégie est risquée à plusieurs titres. Avec l’accélération de l’inflation, la confiance des ménages est historiquement au plus bas malgré les mesures prises pour compenser les pertes de pouvoir d’achat (comme l’augmentation exceptionnelle de 50% du salaire minimum au 1er janvier qui sera très probablement doublée d’un second relèvement au deuxième semestre).
L’impact des évolutions du taux de change sur le compte courant est certes significatif : entre +0,5 et +1 point de PIB d’amélioration du solde courant sous-jacent (i.e. hors énergie et or) pour une dépréciation réelle de 10%. Mais le gain est rogné par le renchérissement direct des importations nettes d’énergie (5% du PIB en 2021) et des importations nettes d’or qui servent de protection contre l’inflation. Surtout, des doses de plus en plus fortes de dépréciation nominale seront nécessaires pour maintenir les gains de compétitivité-change en termes réels.
Impact bilanciel de la dépréciation
Par ailleurs, la dépréciation du change a potentiellement des effets bilanciels pour les banques et les entreprises
Le risque direct de change pour les banques est limité. Ces dernières ont comme obligation d’équilibrer leur position bilancielle débitrice par une position créditrice hors bilan, principalement sous la forme de swaps de devises. De plus, les contreparties de ces swaps ont changé. Depuis fin 2019, les non-résidents se sont retirés et la banque centrale a pris le relais. De ce fait, la position en hors-bilan est a priori plus stable. Par ailleurs, les dépôts bancaires en devises des résidents et des non-résidents (USD 261 mds début janvier) sont couverts à hauteur de 37% par les devises mises en réserve et le montant des swaps de change avec la TCMB (USD 96 mds au total).
En revanche, la position de change des entreprises, qui est largement débitrice (à hauteur de USD 166 mds en octobre 2021), soulève plus d’inquiétudes. Le ratio d’endettement des entreprises exportatrices, que l’on peut approximer en rapportant la dette externe (y compris les prêts à l’importation) aux recettes d’exportations de biens et services, a tendanciellement augmenté au cours de la décennie passée et atteint 93%. Seul élément rassurant, du moins à court terme, la position de change à moins d’un an est créditrice (USD 63 mds) grâce, notamment, au taux de dollarisation élevé des dépôts (66%). Le taux de renouvellement des prêts à long terme était encore supérieur à 100% jusqu’en novembre. Enfin, la dette domestique en devises est stable (autour de 20% du PIB depuis 2015).
L’exposition de l’État au risque de change est également très élevée, la dette libellée en devises représentant les deux tiers de la dette totale. Heureusement, l’endettement de l’État est encore modéré, à 40% du PIB.
En résumé, la stratégie des autorités turques repose principalement sur les gains de parts de marché à l’exportation comme moteur principal de la croissance (de fait, en 2021, les exportations de marchandises ont progressé de 30% en dollars, soit environ le double de la performance moyenne des principaux pays d’Europe centrale). Mais il incombe aux entreprises d’investir et aux ménages de maintenir leur consommation, aidés en cela par des taux d’intérêt réels fortement négatifs et des mesures d’indexation de l’épargne et des salaires. Le président Erdogan fait aussi appel au patriotisme économique. En termes économiques, cette stratégie fait le pari d’un ajustement incertain par les flux (principalement les exportations) quand l’analyse des stocks (réserves de change, dette en devises des entreprises et de l’État, dépôts bancaires majoritairement en dollars) met en évidence des sources de risque importantes. La crainte est que l’ajustement soit finalement subi, sous la forme d’une récession temporaire, voire d’un véritable contrôle des changes, plutôt que choisi.