Conditions peu favorables
Enfin, la mise en place de la politique économique et sociale du nouveau gouvernement s’avère déjà délicate. La composition du nouveau Congrès (élu fin novembre, au moment du premier tour de l’élection présidentielle) n’est pas franchement favorable au gouvernement de G. Boric : aucune majorité ne s’est dégagée au Sénat, et la coalition de gauche ne disposera que d’un avantage de deux sièges (sur 155) à la Chambre des députés.
Une telle situation permet certes de prévenir un changement radical de la politique économique, comme le craignaient pourtant certains analystes (le cours de Bourse a perdu plus de 6% le lendemain de l’élection). Mais elle risque de compromettre toute possibilité de réforme structurelle d’ampleur, puisque de nombreuses discussions et très certainement des compromis seront nécessaires au gouvernement pour les faire appliquer. Il est très probable que le climat politique et social reste tendu tout au long du mandat et que les changements soient bien moins radicaux qu’escompté.
Parallèlement la croissance devrait très nettement ralentir. Le PIB devrait avoir progressé de près de 11% en 2021, grâce (outre les effets de base) au soutien massif des autorités (comme en 2020) et la hausse du prix du cuivre. Mais l’autorisation accordée (à trois reprises) aux bénéficiaires de puiser dans leur épargne retraite a stimulé la consommation de façon artificielle. le PIB ne devrait progresser « que » de 2,5% cette année, avec le retrait progressif des mesures exceptionnelles de soutien à la croissance et un environnement international incertain.
C’est dans ce contexte difficile que le gouvernement prendra ses fonctions au mois de mars prochain. Les détails de son programme ne sont pas encore connus, mais le nouveau président souhaite trouver un « juste équilibre » entre le besoin de réformes en faveur de plus de justice sociale et le rétablissement de « conditions favorables » à plus d’investissement et de croissance, tout en restant « fiscalement responsable ».
Autrement dit, G. Boric semble vouloir répondre aux fortes attentes de la population et, pour cela, lancer plusieurs réformes de grande ampleur. Mais il lui faut conserver la confiance des investisseurs, des agences de notation et du FMI, confiance mise à mal par la crise politique, les retraits d’épargne retraite et leurs conséquences économiques et fiscales à moyen et long terme.
Pour rappel, le Chili est un des rares pays disposant d’une ligne de crédit modulable auprès du FMI, ce qui lui fournit une garantie précieuse permettant de renforcer la confiance des marchés en période d’accentuation des risques. Le Chili dispose de cette ligne de crédit depuis mai 2020.
Objectifs trop ambitieux ?
Les nombreuses ambitions du nouveau gouvernement paraissent difficilement réalisables (et compatibles) au regard des contraintes budgétaires. Dès la fin de la campagne, G. Boric a annoncé qu’il souhaitait augmenter fortement les dépenses publiques, avec le double objectif de nettement améliorer le filet de protection sociale et d’entamer une « transition verte » (volontairement « agressive »), tout en mettant en place un processus de consolidation budgétaire.
Le président s’est également engagé à mener une politique « fiscalement responsable », qui permettrait dans un premier temps de ramener le déficit public de 7,6% du PIB en 2021 à moins de 4% du PIB en 2022. Il entend donc respecter l’objectif fixé par la loi de budget 2022 (à 3,9% du PIB) proposé par le gouvernement sortant.
D’après les annonces, la réduction du déficit devrait ensuite se poursuivre tout au long du mandat, pour revenir à un niveau comparable à celui d’avant la crise (entre 2015 et 2019, le déficit public était en moyenne inférieur à 2,5% du PIB). L’objectif est de stabiliser le ratio de dette, encore modéré (35% du PIB fin 2021) mais en hausse continue depuis plus de dix ans, afin de le contenir en deçà de 45% d’ici la fin du mandat.
Poursuivre la consolidation budgétaire, tout en augmentant significativement (et de manière pérenne) les dépenses, nécessitera donc une hausse substantielle et permanente des revenus. Les hypothèses de travail du gouvernement reposent sur une augmentation des revenus de 5 points de pourcentage (pp) du PIB d’ici la fin du mandat, (les revenus représentaient 21,5% du PIB en moyenne entre 2015 et 2019) via des hausses d’impôt sur les entreprises, la mise en place d’un impôt sur la fortune et de nouvelles « taxes vertes », des royalties sur les compagnies minières privées, et une réduction significative de l’évasion fiscale et des exemptions. Or, il paraît peu probable que le gouvernement parvienne à faire adopter les mesures ou réformes nécessaires pour y parvenir (concernant aussi bien les dépenses que les revenus).
G. Boris a, en outre, récemment précisé que chaque augmentation de dépense pérenne devrait être précédée par une augmentation de revenus. Michelle Bachelet avait elle-même proposé en 2014 une réforme fiscale projetant une augmentation des revenus de 3 pp au cours de son mandat. En 2018, les revenus avaient finalement augmenté de 1,4pp (par rapport à 2014).
Concernant le système de retraites, l’une des réformes les plus attendues, le nouveau gouvernement pourrait (d’après les propositions faites lors de la campagne) chercher à réformer totalement mais progressivement le système existant. Trois grandes étapes sont envisagées. Premièrement améliorer et renforcer le « pilier de solidarité » en créant un minimum retraite universel (d’un montant supérieur de plus de 30% au minimum retraite existant, qui n’est pas universel actuellement). L’augmentation des dépenses correspondante (estimée à un montant équivalant à 2,5% du PIB) devrait être compensée par le supplément de revenus généré par la réforme fiscale.
Deuxièmement, les contributions des employeurs augmenteront progressivement (de 10% du montant du salaire actuellement à 16% à la fin du mandat). Enfin, un nouveau fonds de retraite public devrait être créé pour se substituer progressivement aux fonds de pension privés existants.