Essoufflement de la reprise
Malgré l’accélération de la campagne de vaccination[1], la normalisation de l’activité dans les services et la baisse du chômage, l’activité économique au T3 a enregistré un second trimestre consécutif de baisse qui a plongé l’économie brésilienne en récession technique (-0,1% t/t en données cvs au T3 après -0,4% t/t au T2). Le repli du PIB réel au T3 est surtout lié à la chute de la production agricole (-8% t/t) en raison de problèmes climatiques touchant particulièrement les filières du café, du coton, des oranges et du sucre, mais aussi à la suspension des abattages de bétail (cas de vache folle recensés). La hausse de l’activité dans les services et la construction n’a pas suffi à compenser la baisse de la production dans les secteurs minier et manufacturier.
En fin d’année, les freins persistants à la production dans l’industrie (pénuries d’intrants, coûts élevés[2]), combinés à la faiblesse des indicateurs (chute de l’indicateur avancé du PIB de la banque centrale en octobre, baisse des indicateurs de confiance, ralentissement de l’activité dans les services et le secteur manufacturier), font craindre au mieux une stagnation du PIB au T4. Le durcissement de la politique monétaire (hausse de 725 points de base du taux SELIC entre mars et décembre 2021), en réponse à l’accélération de l’inflation (10,7% en novembre, soit plus de 8 points en un an), a conduit à un ralentissement du crédit.[3] La Bourse, qui s’était retournée en juin, a poursuivi sa décrue, perdant 11,9% de sa valeur en 2021.
Bonne résistance des comptes externes
En 2021, la faiblesse de la demande interne a tranché avec la bonne tenue des comptes externes grâce à l’amélioration des termes de l’échange et à la faiblesse du taux de change effectif réel. Le compte courant s’est stabilisé à un niveau modéré (1,9% du PIB sur 12 mois en novembre) grâce à un excédent record de la balance commerciale (USD 61 mds), tiré par les exportations du minerai de fer, du soja et du pétrole[4]. Dans le même temps, les flux d’investissements de portefeuille des non-résidents sont repassés en territoire positif pour la première fois depuis début 2018 (USD 32,1 mds cumulés sur 12 mois en novembre), attirés par la remontée des taux d’intérêt et la hausse des émissions sur le marché local de la dette. En outre, la vulnérabilité extérieure ne s’est pas dégradée : les besoins de financements externes (compte courant et amortissement de la dette) sont demeurés en grande partie couverts par les flux nets d’IDE, ce qui a permis de limiter la hausse de la dette externe[5]. Les réserves officielles de change se sont consolidées (USD 362 mds). Seule ombre au tableau : la très forte volatilité du real[6]. Celle-ci a obligé la BCB à intervenir à hauteur de USD 12 mds sur le marché spot et à élargir son portefeuille de swaps de devises (swap cambial) de près de USD 25 mds pour lisser l’évolution du real et répondre à la demande croissante de couverture de change. La promulgation d’une nouvelle loi (qui entrera en vigueur en décembre 2022), autorisant l’ouverture de comptes en devises au Brésil et en real à l’étranger, devrait permettre, à terme, d’accroître la liquidité sur le marché spot et de simplifier les mouvements de capitaux avec l’étranger.
La crédibilité de la règle budgétaire remise en cause
En dépit de l’amélioration du solde primaire [7] et de la baisse des risques de liquidité, les marchés financiers s’inquiètent des nombreux risques qui pèsent sur les finances publiques[8], surtout concernant le maintien de la règle du plafond des dépenses[9]. Celle-ci a été plusieurs fois contournée en 2021 : i/ extension en mars de soutiens d’urgence à hauteur de 1,4% du PIB (non soumis au plafond des dépenses) ; ii/ changement de la règle de calcul du plafond budgétaire[10] en novembre ; iii/ suspension des paiements d’une partie des precatorios[11] dans le but d’autoriser une hausse des dépenses sociales de BRL 89 mds (0,7% du PIB) dans le budget 2022, au titre du nouveau programme social du gouvernement (Auxilio Brasil). Les marchés s’inquiètent aussi de la hausse du coût de la dette, de la remontée du SELIC, de l’inflation et des taux longs ayant entraîné une hausse de près de 2 points du taux d’intérêt implicite sur la dette publique en 2021. À cela s’ajoute la crainte d’une baisse des recettes fiscales avec le ralentissement économique anticipé en 2022. Les mécanismes institutionnels encadrant la politique budgétaire devraient continuer d’alimenter l’inquiétude des marchés. Le gouvernement actuel ne cache pas, en effet, son envie de flexibiliser davantage le plafond des dépenses s’il est réélu, tandis que Lula souhaiterait, quant à lui, s’en s’affranchir.
Perspectives 2022 : de nombreux freins à la croissance
Les perspectives de croissance sont très faibles pour 2022 (+0,3%) dans un contexte incertain (le pays est sous la menace depuis quelques semaines du variant Omicron[12] et les élections générales se tiendront en octobre). Cette projection reflète les nombreuses contraintes qui pèsent sur la demande intérieure. Ainsi, malgré les aides sociales[13], la consommation privée sera freinée par la baisse du pouvoir d’achat des salaires, l’accroissement de la dette des ménages et les nouvelles hausses de taux prévues en 2022 (+150 pb en février déjà annoncé). Les règles électorales vont aussi contraindre une hausse des dépenses du gouvernement. Le durcissement de la politique monétaire et les incertitudes électorales pèseront sur l’investissement des entreprises. La demande externe sera, dans le même temps, freinée par le ralentissement en Chine, aux États-Unis et en Europe (les principaux partenaires commerciaux du pays). L’éventualité d’une sécheresse (comme en 2021) et de grèves liées à l’inflation représentent des risques baissiers qui ne peuvent pas écarter un scénario récessif.[14]
L’inflation devrait décélérer quelque peu en raison de i/ la normalisation des prix de l’électricité (avec la baisse du risque de rationnement), ii / du resserrement monétaire[15], iii/ de la faiblesse de la demande intérieure. La hausse de 10% du salaire minimum en janvier pourrait toutefois entretenir la hausse des prix dans les services. La composante alimentaire de l’inflation devrait devenir un enjeu électoral de plus en plus prégnant en raison de son poids dans les budgets des ménages (environ 25%).
Malgré le ralentissement prévu, quelques secteurs devraient retrouver des couleurs. La production automobile pourrait augmenter de près de 10% selon l’association des constructeurs automobiles Anfavea (la pénurie mondiale de microprocesseurs ayant réduit la production de près de 300 000 véhicules en 2021). Certains segments des services tels que le tourisme, les soins et l’événementiel devraient connaître un rebond grâce à la progression de la vaccination. Les secteurs de l’énergie et des infrastructures devraient bénéficier de plusieurs appels d’offre prévus par le gouvernement pour l’obtention de concessions dans de nombreux projets (solaire, éolien, thermique, douze ports, sept autoroutes, quatre aéroports et une ligne ferroviaire pour un montant total estimé à BRL 116 mds), à condition que l’engouement des investisseurs étrangers ne soit pas freiné par les échéances électorales.
Avec le démarrage du cycle électoral, d’importants projets de loi actuellement à l’étude au Congrès, tels que la réforme fiscale (destinée à simplifier la fiscalité en fusionnant les taxes fédérales et à réduire la pression fiscale sur les sociétés) et la réforme du secteur public (visant à améliorer l’efficacité des dépenses, contenir la masse salariale et assouplir les règles d’embauche) auront peu de chance d’aboutir. Le risque politique et le resserrement anticipé de la politique monétaire dans certains pays développés devraient entretenir la volatilité sur les marchés.