Au-delà du fort rebond de la croissance en 2021, l’économie argentine reste fragile. La production dans les secteurs primaire et secondaire a retrouvé son niveau d’avant la pandémie. Toutefois, l’économie reste contrainte par une inflation élevée, pourtant largement réprimée, qui pèse sur la consommation des ménages et les services. Depuis décembre dernier, la nouvelle vague de contaminations introduit une incertitude supplémentaire. Les élections de mi-mandat ont affaibli la coalition gouvernementale toujours en négociation avec le FMI. La politique monétaire va se durcir et la normalisation du financement du déficit budgétaire implique un tour de vis, même si la consolidation à marche forcée est peu probable. Mais le temps presse. Malgré l’envolée des prix des matières premières agricoles, la dérive du taux de change de marché par rapport au taux officiel s’est accentuée. De plus, les réserves de la banque centrale sont tout juste stabilisées en raison des sorties de capitaux, notamment des résidents. Surtout, une échéance de remboursement très importante est prévue en mars.
Une coalition affaiblie pour les négociations avec le FMI
La coalition de centre-gauche du président Alberto Fernandez, Frente de Todos (FdT), est sortie perdante des élections législatives partielles de mi-mandat qui se sont tenues en novembre dernier. Sa position s’est affaiblie à la Chambre des députés, de 120 sièges avant les élections à 118 (sur un total de 257). Surtout, FdT a perdu la majorité au Sénat, ne conservant que 34 des 40 sièges précédemment remportés (sur un total de 72). Le gouvernement de A. Fernandez a été sanctionné pour les dissentions au sein même du camp péroniste. On lui reproche sa gestion trop radicale de la pandémie, par ailleurs émaillée de scandales, avec un confinement long dans la capitale et sa région, et son incapacité à juguler l’inflation.
Les négociations avec le FMI traînent en longueur. Elles doivent permettre au pays d’obtenir un rééchelonnement de sa dette vis-à-vis de l’institution multilatérale dans le cadre d’un accord de facilité de financement étendue (EEF). Le revers électoral ne peut que conforter la position du gouvernement de limiter les conditionnalités du FMI. À l’issue des réunions techniques de début décembre 2021, la mission du FMI a indiqué que l’assainissement budgétaire devrait être graduel, durable et permettre des investissements en infrastructure et technologie, et des dépenses sociales ciblées. Il n’y aurait donc pas d’assainissement budgétaire à marche forcée. La déclaration insiste aussi sur le choix d’une stratégie multiple de lutte contre l’inflation. Celle-ci devra combiner réduction du financement monétaire du déficit budgétaire, politique monétaire appropriée avec des taux d’intérêt réels positifs et, dans des termes beaucoup plus vagues, une coordination salaire-prix. C’est en effet l’inflation qui nourrit l’instabilité financière, bride structurellement la croissance et aggrave la pauvreté qui touche plus de 40% de la population.
Reprise fragile et inflation réprimée
La reprise économique s’est consolidée au S2 2021 mais reste fragile. Le PIB réel a rebondi de 4,1% t/t au T3 après -0,9% au T2 mais il s’est de nouveau contracté en octobre (il reste supérieur de 2% à son niveau pré-pandémique). D’un côté, la reprise de l’activité dans la construction est soutenue et explique le fort rattrapage de l’investissement, composante de la demande la plus dynamique (+13% par rapport au niveau de 2019). D’un autre côté, la production industrielle faiblit depuis juillet 2021 même si elle dépasse de 8% son niveau pré pandémique (cf graphique). Mais la plupart des secteurs dans les services, à l’exception de la santé et de l’éducation, n’ont pas retrouvé leur niveau de la fin 2019, a fortiori ni ceux de la fin 2017, qui marque le début de la récession dans ce pays. Au T3, la consommation des ménages était encore 5% inférieure à son niveau du T4 2019 avec des salaires réels en recul, sur la même période, de 6% dans le secteur privé et 9,5% dans le secteur public. La consommation publique a pour partie compensé la faiblesse de la consommation privée, surtout depuis la mi-2021.
La nouvelle vague de Covid-19 introduit une incertitude supplémentaire sur la reprise. Depuis la mi-décembre, le nombre de nouveaux cas a très fortement augmenté avec la circulation du variant Omicron. L’Argentine est de loin la plus touchée en Amérique latine avec un peu plus de 110 milliers de cas par jour à la mi-janvier, soit un taux de 2500 par million d’habitant (contre 680 en moyenne pour les principaux pays latino-américains). Cette reprise épidémique coïncide avec la levée mi-octobre des restrictions aux touristes étrangers pour la période estivale. Pour l’instant, la mortalité reste très faible et le nombre d’hospitalisations en soins intensifs est moindre que lors des vagues précédentes.
Même si l’activité recule de nouveau au T4 2021, le PIB enregistrera un très fort rebond sur l’ensemble de l’année compte tenu des effets d’acquis. Mais, en 2022, la croissance devrait fortement ralentir en raison 1/ de l’accélération attendue de l’inflation et du durcissement de la politique monétaire (la BCRA a déjà relevé son taux directeur de 38% à 40%) ; 2/ du choc transitoire de la dévaluation anticipée du taux de change officiel, condition nécessaire pour l’alignement des différents taux de change dont l’écart a continué de s’élargir[1], et la levée progressive du contrôle des changes ; 3/ d’une normalisation du financement du déficit budgétaire qui devrait impliquer un ralentissement des dépenses courantes.
Le taux d’inflation mensuel s’est réduit d’environ 4% en moyenne d’octobre 2020 à avril 2021, à 3.2% de mai à décembre 2021. Mais ce ralentissement est provisoire. La dépréciation du taux de change officiel a certes été ramenée à 1% par mois depuis juillet contre 3% au S1 2021. Mais l’écart entre le taux de marché et le taux officiel dépasse largement le seuil de 40% au-delà duquel l’effet de diffusion du change sur les prix est amplifié. Par ailleurs, le ralentissement a été obtenu au prix d’un contrôle des prix (et même d’un gel temporaire entre octobre 2021 et début janvier 2022) dont la couverture, déjà large, devrait être étendue[2]. L’inflation ainsi réprimée est estimée à environ 10 points de pourcentage pour un taux d’inflation sur un an de 51% en Décembre.
Le rattrapage des augmentations gelées et la revalorisation des tarifs règlementés font craindre une réaccélération au S2 2022 qui pourrait amener le taux d’inflation jusqu’à 60% mi-2022. À cela peut s’ajouter un impact défavorable de la politique monétaire et de change à venir si les effets négatifs (dévaluation du taux de change officiel, augmentation de son taux de dépréciation cible pour permettre à la banque centrale de reconstituer ses réserves de change) l’emportent sur les effets positifs (durcissement monétaire, réduction de l’écart entre le taux de change de marché et le taux officiel).