POLITIQUE ÉCONOMIQUE SOUS CONTRAINTE
Dans un premier temps, le policy mix a soutenu l’économie ukrainienne. L’aide internationale l’a facilité en finançant directement le budget au lieu d’un décaissement versé à la banque centrale dans un programme d’aide classique. La stabilité du change et l’inflation faible au moment du déclenchement de la pandémie ont permis à la banque centrale de réduire son taux directeur. Le choc de la pandémie a pu être atténué et la récession a été relativement modeste en 2020.
Toutefois, le soutien budgétaire est resté plus modéré que dans d’autres pays émergents, avec un déficit public primaire (hors charge d’intérêts) qui est ressorti à 3,1% du PIB en 2020 et à 1,2% du PIB en 2021 en Ukraine (contre 7,5% et 4,7% respectivement dans la moyenne des pays émergents). Cette différence s’explique par des marges de manœuvre plus étroites. Le pays a en effet connu un défaut de paiement en 2014 et la charge d’intérêts a augmenté jusqu’à atteindre 3,3% du PIB en 2021.
Surtout, le soutien monétaire a été temporaire. L’accélération de l’inflation (de 2,6% en octobre 2020 à 6,1% trois mois plus tard et 10,9% un an plus tard) a conduit la banque centrale à agir dès le début de l’année 2021 (plus de 6 mois avant les autres pays émergents). Au total, le taux directeur a été relevé de 300 points de base à 9% fin 2021. Cette exposition de l’Ukraine au risque inflationniste est structurelle puisqu’elle a été supérieure à 10% un mois sur deux depuis 2014. L’imperfection des canaux de transmission de la politique monétaire réduit le degré de contrôle de la banque centrale sur ces évolutions.
De plus, le soutien international se heurte à des failles persistantes en termes de gouvernance. L’indicateur government effectiveness de la Banque mondiale est parmi les plus bas de la sphère émergente, ce qui implique qu’une réforme du gouvernement ne se traduit pas toujours dans les faits (problématiques de mise en application, de respect de la loi notamment).
La réforme judiciaire que le gouvernement a mise en œuvre est destinée notamment à réduire le risque que les fonds investis ou prêtés (par les banques ou par les bailleurs internationaux) soient mal utilisés. Le niveau élevé des créances douteuses (30,1% du total des prêts fin 2021) témoigne de l’ampleur de ce risque.
Or, les conflits politiques internes, notamment entre la présidence du pays et la Cour constitutionnelle, ont perturbé l’adoption des réformes. Ils sont le symptôme de l’existence de groupes d’intérêts qui retardent les nécessaires changements structurels.
Les nombreuses limites au soutien de la politique économique expliquent pourquoi le rebond de l’activité en 2021 a été décevant.
FILETS DE SÉCURITÉ LIMITÉS E N CAS DE CHOC SUR LA LIQUIDITÉ EXTÉRIEURE
Dans une économie largement dollarisée, telle que l’Ukraine, l’interruption des entrées de devises est un risque à surveiller de près. Une pénurie, qu’elle provienne d’un choc sur les exportations d’acier ou des flux de capitaux, affecte le fonctionnement de l’économie. Leur répétition pèse sur la croissance et le rattrapage du niveau de vie.
À court terme, le risque est également que les réserves de change ne suffisent pas à couvrir les sorties nettes de devises.
Les réserves de change ont augmenté depuis quelques années, avec le passage du solde courant d’un déficit de USD 4,2 mds en 2019 à un excédent de 6,2 mds en 2020, et à un déficit modéré de USD 1,5 md en 2021. Une partie de l’amélioration paraît structurelle avec la hausse des transferts de migrants. Une autre, liée aux exportations nettes de matières premières, est vulnérable à un retournement. L’effet volume devrait à court terme devenir plus favorable (bonnes récoltes de céréales, forte demande en métaux), mais l’effet prix s’est lui largement étiolé avec la hausse du prix des hydrocarbures importés depuis l’été 2021.
L’aide internationale a nettement contribué à la hausse des réserves de change. Toutefois, les prêts octroyés devront être remboursés. Les réserves nettes (c’est-à-dire soustraction faite des remboursements à venir) sont nettement plus réduites que les réserves brutes dans le cas ukrainien. Cela souligne l’importance du maintien du soutien des institutions internationales, tant qu’un financement pérenne (IDE notamment) ne prendra pas le relai.
Pour juger du niveau suffisant de réserves de change, il convient de quantifier les risques potentiels qu’elles doivent couvrir, présentés comme suit[1] : une baisse brutale des exportations (estimée en pourcentage potentiel de baisse), des sorties de capitaux potentielles (en pourcentage de baisse des avoirs bruts des non-résidents) et une conversion subite des dépôts de la population en USD (en pourcentage de la masse monétaire M2). Les deux premiers pourcentages potentiels de baisse sont évalués au regard du choc de 2014 et le pourcentage de conversion à 5% de M2 (convention utilisée pour une devise dont le taux de change est flottant). Leur addition donne une métrique qui correspond aux risques que les réserves de change doivent couvrir (graphique 2). Or, les réserves ukrainiennes restent inférieures à cette métrique, malgré une nette augmentation par rapport à la crise de 2014. La vulnérabilité extérieure reste donc élevée en cas de choc interne ou externe, comme ceux observés en 2008 puis en 2014. Le soutien des institutions financières internationales reste nécessaire au regard de ce risque de liquidité.