Face à la crise sanitaire, la réponse budgétaire a été rapide, conséquente et multiple. Aux mesures d’urgence, visant à amortir le choc récessif et à faciliter la reprise économique, se sont adjoints des plans de relance pour soutenir et renforcer le redémarrage en cours des économies et la croissance de demain. Les montants engagés et la répartition des mesures varient néanmoins d’un pays à l’autre.
D’après notre décompte, toutes mesures confondues, l’Italie a déployé les efforts les plus importants, atteignant au total 71% du PIB. L’Allemagne suit avec 47%, puis l’Espagne avec 31% et la France avec 26%.
En pourcentage de leur PIB, l’Allemagne, la France et l’Italie ont eu davantage recours aux mesures de liquidité et de garanties tandis que l’Espagne s’est plus appuyée sur les mesures budgétaires. Les mesures budgétaires de court terme ont été réparties, en moyenne, de façon plutôt égalitaire entre les entreprises et les ménages. Par ailleurs, afin d’ancrer la relance l’Italie et l’Espagne ont favorisé les mesures de long terme tandis que la France et l’Allemagne ont privilégié les mesures de court terme.
Les mesures de long terme s’organisent autour de quatre axes stratégiques : écologie, compétitivité, cohésion, santé. Dans les quatre pays, la part consacrée à l’écologie est la plus importante. La France affiche la répartition la plus égale entre les trois piliers : écologie, compétitivité, cohésion. L’Allemagne se distingue par le poids important du pilier « compétitivité » et le faible poids du pilier « cohésion ». En Espagne, leurs poids s’équivalent. En Italie, la cohésion l’emporte sur la compétitivité. Enfin, les investissements en faveur du secteur de la santé représentent une part non négligeable des mesures de long terme en Allemagne et en Espagne et relativement peu élevée en France et en Italie.
Face à la crise de la Covid-19, la réponse budgétaire a été remarquablement vigoureuse afin de limiter les effets économiques et sociaux de la crise, et de préparer la reprise. Les mesures d’urgence ont ensuite été complétées par des plans de relance visant à renforcer la croissance sur le plus long terme. Cet article vise à comparer les réponses de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de l’Espagne.
S’agissant des mesures d’urgence, les États ont globalement eu recours aux mêmes types de mesures mais il existe des différences importantes au niveau des montants totaux engagés et de la répartition de ces montants. Concernant les plans de relance, ils sont de taille sensiblement différente, pour partie parce qu’ils portent sur des périodes plus ou moins longues : l’Allemagne et la France ont ainsi annoncé des plans de, respectivement, EUR 130 mds et EUR 100 mds qui s’étendent jusqu’à fin 2021 et 2022 ; l’Italie et l’Espagne ont établi des plans de relance sur une plus longue période (2027 et 2026) pour un montant de, respectivement, EUR 224 mds et EUR 140 mds[1][2].
Ces plans s’articulent néanmoins autour des quatre mêmes axes – l’écologie, la compétitivité, la cohésion, la santé -, en cohérence avec les objectifs du Fonds de Relance et de Résilience Européen, la différence entre pays se situant au niveau du poids accordé à chacun de ces volets.
L’exercice de suivi et de comparaison des mesures est des plus difficiles (compte tenu du nombre et de la diversité des mesures, de leur évolution dans le temps et des subtilités de leur chiffrage) et la comparaison parfaite n’existe pas. Le graphique 1 réalisé par France Stratégie[3], et auquel nous avons ajouté nos propres estimations, illustre bien cette difficulté. Les écarts entre estimations, d’une institution à l’autre, peuvent provenir de la date de mise à jour du suivi[4] ou de l’objectif de l’analyse. Certaines institutions ne retiennent que les mesures mises en place en 2020, excluant les montants annoncés pour les années suivantes, quand d’autres (dont nous faisons partie) englobent la totalité. Certaines analyses (dont la nôtre) dénombrent les mesures annoncées quand d’autres comptabilisent les montants effectivement dépensés.
La variation du solde budgétaire entre 2019 et 2020 est une manière simple et comparable d’obtenir un premier ordre de grandeur de l’ampleur de la réponse budgétaire des pays face à la crise : elle inclut à la fois le fonctionnement des stabilisateurs automatiques, qui sont des amortisseurs endogènes de crise, et les mesures discrétionnaires.
Ainsi, le solde budgétaire de l’Allemagne s’est creusé de 5,7 points de PIB et les déficits budgétaires français, italien et espagnol de, respectivement, 6,9, 7,9 et 8,6 points. Ces chiffres portent aussi la trace de l’ampleur du choc récessif en 2020.
Du pays le plus touché au moins touché, l’Espagne a accusé une chute de son PIB réel de 10,8%, l’Italie de 8,9%, la France de 8,0% et l’Allemagne de 5,1%. Derrière ces écarts de contraction d’activité et entre réponses apportées, transparaissent la sévérité de la pandémie et des confinements mis en place pour la juguler, l’ampleur de la marge de manœuvre budgétaire préexistante, et les caractéristiques sectorielles des économies.
S’agissant de la sévérité des confinements, d’après l’indicateur d’Oxford, l’Italie a été le pays où l’activité a été la plus durement restreinte (indice moyen de 65 entre le 2 janvier 2020 et le 9 juin 2021), suivi de l’Allemagne et de l’Espagne (60) puis de la France (58). Sur les marges de manœuvre budgétaires préexistantes, c’est en Allemagne qu’elle était la plus importante (cf. graphique 2), le pays étant le seul des quatre « grands » européens à enregistrer un excédent budgétaire en 2019. Enfin, du point de vue des spécialisations sectorielles, l’Espagne ressort comme le pays le plus exposé, en grande partie du fait du poids important du tourisme.
Dans cet article, nous avons procédé à différentes classifications des mesures d’urgence et de relance. En premier lieu, nous distinguons, parmi les mesures d’urgence, deux grands sous-ensembles : les mesures budgétaires, d’un côté, et les mesures de liquidité et de garanties, de l’autre. Nous ventilons ensuite les mesures budgétaires selon qu’elles s’inscrivent dans une logique de court terme ou de long terme. Notre troisième grille de lecture départage les mesures budgétaires de court terme entre celles destinées aux ménages et celles destinées aux entreprises. Nous terminons par les mesures de long terme. Les tableaux en fin d’article reprennent, pour chacun des quatre pays sous revue, ces agrégations et les principaux détails.
Mesures budgétaires, mesures de liquidité et de garanties
En premier lieu, nous distinguons les deux sous-ensembles de mesures prises en réaction à la crise sanitaire suivants :
- Les mesures que nous dénommons budgétaires, au sens où elles ont un impact sur le déficit budgétaire des pays. Elles recouvrent les dépenses supplémentaires (ex : chômage partiel) et les pertes de recettes (ex : baisse de TVA, exonérations de charges sociales).
- Les mesures de liquidité et de garanties, parmi lesquelles on trouve notamment les reports de charges fiscales et sociales, les mesures de recapitalisation des entreprises et les prêts garantis par l’État (PGE). Comme l’indique France stratégie[5], ces mesures constituent « un effort budgétaire remboursé dans un futur proche » (les reports d’obligations fiscales) ou « un effort budgétaire différé et conditionné aux sollicitations des potentiels bénéficiaires » (les PGE). L’impact de ces mesures sur le déficit, qui sera fonction de la capacité des agents à honorer leurs obligations, est encore incertain mais il devrait rester limité[6].
Le graphique 3 illustre les différences assez importantes dans l’ampleur des réponses annoncées jusqu’à la date du 9 juin 2021. L’Allemagne se démarque à la hausse, avec un montant global de près de EUR 1640[7] mds, représentant 47% de son PIB. L’Italie a également déployé un effort considérable, totalisant près de EUR 1300 mds (71% du PIB). La France et l’Espagne ont eu comparativement des réponses de moindre ampleur, équivalant à 26% et 31% (EUR 620 mds et EUR 390 mds) de leur PIB respectif.
À l’exception de l’Espagne, l’enveloppe des mesures de liquidité et de garanties[8] a été nettement plus importante que celle destinée aux mesures budgétaires. Les premières représentent, en effet, 66% du total des mesures pour la France, 68% pour l’Italie et 79% pour l’Allemagne, contre 46% pour l’Espagne. Les mesures de recapitalisation et les reports fiscaux ont été faiblement utilisés par l’Espagne et l’Italie (1 et 4% du total des mesures). À l’inverse, en Allemagne et en France, ces mesures représentent 21 et 14% du total des mesures. Pour la plupart, les mesures de liquidité et de garanties s’adressent aux entreprises.
Les mesures budgétaires représentent, quant à elles, 9% du PIB en France et en Allemagne, et respectivement 23% et 17% du PIB en Italie et en Espagne. Elles prennent des formes diverses : aides directes aux entreprises (comme le Fonds de solidarité en France) et aux ménages (comme la prime de 300 euros par enfant en Allemagne), exonérations de charges fiscales et sociales, renforcement des dispositifs de chômage partiel. Ces mesures concernent les ménages, les entreprises ou encore les administrations locales[9]. Les mesures budgétaires incluent également les dépenses additionnelles de santé[10] engagées pour répondre à l’urgence de la crise sanitaire.
Court terme / long terme
Au sein des mesures budgétaires, nous pouvons distinguer celles qui portent sur le court terme, et visent à agir rapidement si ce n’est immédiatement, et celles qui s’inscrivent dans une logique plus structurelle de soutien à l’économie et dont les effets se font sentir à plus long terme. À titre d’exemple, on compte parmi les mesures de santé de court terme les achats de masques et parmi celles de long terme les dépenses d’investissement. Pour la plupart, les mesures de court terme correspondent aux mesures d’urgence et la majorité des mesures dites « de long terme » ont été annoncées au sein des plans de relance dans le cadre de NextGenerationEU. L’Allemagne se distingue de ses partenaires en ayant annoncé dès juin 2020 un plan de relance qui se confond en partie avec les mesures d’urgence. Il convient de souligner que les mesures de court terme ont également un impact sur le long terme dans le sens où les mesures de soutien aux entreprises et aux ménages, en protégeant le tissu productif et les revenus, permettent un redémarrage plus rapide et contribuent à limiter les séquelles de la crise, tout en étant bénéfique pour la croissance future. Les mesures dites de long terme peuvent aussi avoir un impact à court terme sur l’économie dès lors que les dépenses et les investissements correspondants sont rapidement engagés (exemple des travaux de rénovation énergétique).
La France et l’Allemagne ont instauré plus de mesures de court terme que de mesures de long terme tandis que la répartition est inverse pour l’Italie et l’Espagne (cf. graphique 4). Cette différence tient à la période plus longue couverte par les plans italien et espagnol. Elle peut aussi s’expliquer par la volonté (ou la nécessité) de l’Italie et de l’Espagne de réduire leurs écarts de productivité avec la France et l’Allemagne.
Entreprises / ménages
Au sein des mesures de court terme[11], nous distinguons cette fois les mesures qui se tournent vers les entreprises et celles qui bénéficient aux ménages. De la même façon que la classification entre court terme et long terme, cette distinction est parfois ambiguë, certaines mesures relevant, par répercussion, des deux catégories. Les mesures de préservation du pouvoir d’achat des ménages contribuent aussi à soutenir la demande adressée aux entreprises ; à l’inverse, les mesures de soutien aux entreprises permettent de maintenir les emplois et donc soutiennent le pouvoir d’achat des ménages. Le renforcement des dispositifs de chômage partiel est l’exemple-type de la mesure positive aussi bien pour les entreprises que pour les ménages. Nous l’avons comptabilisé dans les mesures favorables aux ménages.
En France, les mesures favorables aux ménages et aux entreprises s’avèrent équilibrées (cf. graphique 5) tandis qu’un léger déséquilibre s’établit en faveur des entreprises en Italie et en faveur des ménages en Espagne. En Allemagne, le déséquilibre est un peu plus marqué et penche en faveur des entreprises. En Italie[12], Espagne et France, le chômage partiel constitue l’essentiel des mesures en faveur des ménages, à hauteur de 80% voire 90%[13]. Ce pourcentage n’est que de 37% en Allemagne, le soutien aux ménages étant également passé par une forte réduction de la TVA. Dans tous les pays, les ménages vulnérables ont fait l’objet d’une attention particulière. Du coté des entreprises, les mesures budgétaires ont pris la forme d’aides directes, de subventions ou d’exonérations de charges. Les entreprises les plus sévèrement touchées par la crise sanitaire (secteur du tourisme, de la restauration, de la culture, etc.) ainsi que les entreprises individuelles, TPE et PME ont reçu des aides supplémentaires.
Mesures de long terme
Ces mesures, qui sont essentiellement rassemblées au sein des plans de relance nationaux dans le cadre de NextGenerationEU, se déploient autour de quatre axes stratégiques (cf. graphique 6).
Le premier axe concerne la transition écologique, notamment au travers des investissements dans la mobilité verte et la rénovation énergétique des bâtiments. Le total cumulé des mesures relatives à l’écologie pour les quatre pays s’élève à près de EUR 130 mds[14]. Ce volet représente la part la plus importante dans le total des mesures de long terme pour chacun des pays considérés : 44% en Italie, 41% en Allemagne, 34% en France et 37% en Espagne (cf. graphiques 6a, 6b, 6c, 6d).
Le deuxième axe vise à augmenter la compétitivité de l’économie, en soutenant notamment des investissements en faveur de la transition numérique. La France et l’Allemagne consacrent à ce poste une part relativement importante de leurs mesures de long terme, à hauteur de, respectivement, 34% et 41%, tandis que cette part est moindre en Italie et en Espagne (21% et 23%).
Le troisième volet regroupe les mesures en faveur de la cohésion sociale, avec un accent particulier mis sur les jeunes, la formation et les femmes. La France, l’Italie et l’Espagne y consacrent environ 25% des mesures de long terme, l’Allemagne se démarquant à la baisse avec une part limitée à 4%.
Enfin, la crise sanitaire a démontré l’importance des investissements dans le secteur de la santé. C’est l’Espagne qui y consacre la part le plus importante (16%[15]), suivie de l’Allemagne (14%), de l’Italie (9%) et de la France (7%).
Pour l’Espagne, l’articulation en pourcentage ne concerne que les EUR 72 mds de dépenses pour lesquelles la clef de répartition a été détaillée. Ne sont donc pas comptabilisés ici les EUR 68 mds restants du plan de relance dont on ne connait pas à ce stade la ventilation.
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En conclusion, il est intéressant de rappeler la part des plans de relance nationaux financée par les fonds européens de la Facilité pour la reprise et la résilience (Recovery and Resilience Facility, RRF), pièce maîtresse du plan global de relance NextGenerationEU. La RRF prévoit de mettre à disposition des États membres, d’ici 2026, EUR 672,5 mds sous forme de subventions (à hauteur de EUR 312,5 mds) et de prêts (EUR 360 mds). Si les subventions vont bénéficier à tous les États membres (avec un versement des premières tranches attendu au second semestre 2021), les pays ayant déclaré vouloir faire appel aux prêts sont pour le moment peu nombreux (l’Italie en fait partie). En ne considérant que les subventions, la RRF permet de financer près de 20% du plan de relance allemand et 30% du plan italien. Ces montants sont plus élevés encore pour la France et l’Espagne, à, respectivement, 39% et près de 50%.