La volonté des autorités monétaires de préserver la stabilité du taux de change (malgré quelques ajustements) continue de peser fortement sur la quantité de dollars disponible dans l’économie. Cette pénurie se répercute sur l’inflation dans la mesure où des pans entiers de l’économie se sont tournés vers le marché parallèle pour les achats de produits importés. Cela affaiblit aussi l’attractivé financière du Nigéria. Les entrées de capitaux se sont encore écroulées en 2021 après le choc de 2020. Elles sont passées de USD 23,7 mds en 2019 à USD 6,7 mds en 2021. La situation ne devrait guère s’améliorer à court terme compte tenu du resserrement de la liquidité mondiale. Les autorités ont déjà émis des euro-obligations en mars 2022, mais la hausse des spreads sur les titres souverains nigérians (EMBI), de 344 points de base (pb) depuis avril, traduit une défiance accrue des investisseurs. Ils atteignent désormais 962 pb, soit l’un des spreads les plus élevés parmi les émetteurs africains.
Alors que les entrées de capitaux étrangers devraient rester déprimées, le Nigéria est également exposé à un risque de sorties de capitaux à court terme, dans un contexte de resserrement de la politique monétaire américaine et de montée de l’aversion au risque des investisseurs internationaux. De fait, le stock total de « hot money » (stock d’investissements de portefeuille et dette à court terme) reste significatif, équivalant à 44% des réserves de changes à fin 2021.
La situation des finances publiques est encore plus préoccupante. Entre le poids élevé des subventions énergétiques et la baisse de la production pétrolière, le gouvernement nigérian n’avait déjà pas profité de la remontée des cours du pétrole en 2021. Ce sera encore le cas en 2022. Le coût supporté par la compagnie nationale d’hydrocarbures dans le cadre de la politique énergétique devrait atteindre presque 2 points de PIB, soit plus de 20% du total des revenus budgétaires du gouvernement. Hors hydrocarbures, les recettes sont structurellement faibles (inférieures à 5% du PIB) et la flexibilité est limitée en raison du niveau extrêmement bas des dépenses en capital (autour de 2% du PIB).
Malgré la hausse prononcée du PIB nominal, les indicateurs des finances publiques vont donc rester dégradés cette année. Le déficit budgétaire est attendu à 5,5% du PIB en 2022 et la dette publique devrait s’accroître légèrement à 31% du PIB. À ce stade, la soutenabilité de la dette n’est pas menacée, d’autant que sa structure est favorable (70% de l’encours est libellé en monnaie locale) et que le Nigéria n’a pas d’importantes tombées de dette euro-obligataire à court terme. Néanmoins, la dynamique de dette inquiète - la dette publique atteignait seulement 13% du PIB en 2014 - et son coût élevé entrave la marge de manœuvre du gouvernement et sa capacité à faire face à de nouveaux chocs. Plus de 30% des recettes du gouvernement sont désormais alloués au paiement des charges d’intérêt, contre moins de 10% en 2014.
Croissance vigoureuse en 2022, incertitudes au-delà
La persistance de tensions sur les comptes externes et les finances publiques n’a pas entamé la vigueur de la reprise pour le moment. Certes, la croissance au T1 2022 a décéléré à 3,1% contre 4% au trimestre précédent mais cela traduit avant tout la chute de 26% du PIB pétrolier. Hors hydrocarbures, la dynamique est restée solide (+6,1%) grâce à la bonne performance du secteur tertiaire (+7,4% ; 54% du PIB). Les indicateurs avancés pour le T2 restent plutôt bien orientés. Sous réserve que la production pétrolière ne diminue plus, la croissance du Nigéria pourrait atteindre 3,4% en 2022, soit un taux inchangé par rapport à 2021, ce qui constituerait une performance assez remarquable compte tenu de la dissipation de l’effet de rattrapage post-covid.
Néanmoins, à ce rythme, il faudra attendre 2025 pour que le PIB réel par habitant retrouve son niveau de 2019. En outre, en l’absence de changements structurels profonds, le Nigéria restera exposé aux fluctuations des cours du pétrole.
Des élections présidentielles vont se tenir en février 2023. Si les deux candidats sont connus, leurs programmes de réformes restent à définir. La refonte du système de subventions énergétiques devrait être un chantier prioritaire, mais elle restera un sujet extrêmement sensible sur le plan social. Le gouverneur de la banque centrale (dont le mandat expire en juin 2024) n’a cessé de répéter son opposition à la flexibilisation du régime de change pour les mêmes raisons.
En revanche, des améliorations devraient venir du démarrage au second semestre 2022 d’une méga-raffinerie, dont la capacité suffira à couvrir les besoins en pétrole du Nigéria. Le regain d’intérêt des investisseurs pour ses vastes réserves de gaz pourrait aussi permettre de revitaliser un secteur à la peine depuis de nombreuses années. Mais il en faudra bien plus pour permettre au Nigéria de retrouver le chemin d’une croissance supérieure à 5% qui prévalait au tournant des années 2010.