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Vers un durcissement budgétaire

06/07/2022
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La croissance économique est restée très dynamique jusqu’au premier trimestre 2022. La bonne tenue des salaires notamment, ainsi que d’importantes mesures gouvernementales en faveur du pouvoir d’achat sur cette période ont soutenu la consommation des ménages. L’inflation a enregistré une forte remontée mais elle est restée plus faible en comparaison des autres pays d’Europe centrale, grâce à un gel des prix sur certains biens alimentaires et énergétiques. La croissance devrait ralentir sensiblement en 2023. En cause : la dégradation de l’environnement international, le resserrement monétaire et un durcissement budgétaire à partir du S2 2022. Le blocage temporaire des fonds européens dans le cadre du Plan de relance constitue un sérieux défi dans un contexte où les déficits budgétaire et courant ont augmenté et la liquidité extérieure s’est érodée.

Bonne tenue de la demande intérieure

Les conséquences macroéconomiques de la guerre en Ukraine ne sont pas encore visibles dans les chiffres de la croissance au T1 2022. L’activité économique a continué de progresser de 2,1% t/t après 2,2% et 1,1% respectivement les trimestres précédents. Elle a surtout été portée par une forte demande intérieure, actuellement à 7% au-dessus de son niveau pré-Covid. La bonne performance de la consommation (les ventes au détail sont supérieures de 9,2% par rapport à janvier 2020) s’explique par de nouvelles mesures de soutien mises en place par le gouvernement, en amont des élections législatives d’avril dernier. Elles ont pris la forme de primes, de baisses d’impôts sur le revenu, ou encore du versement d’un mois de pension supplémentaire. D’autres mesures gouvernementales visant à préserver le pouvoir d’achat des ménages incluent entre autres un gel des prix de l’énergie et de certains biens alimentaires, et celui des taux hypothécaires. De même, le moratoire sur le remboursement de crédits a été étendu jusqu’en décembre 2022. Par ailleurs, la progression du salaire moyen au cours de ces derniers mois a été plus rapide que l’inflation. Cela a soutenu le pouvoir d’achat du revenu des ménages face à la montée de l’inflation (10,8% en g.a en mai). Contre toute attente, l’investissement est aussi resté bien orienté au premier trimestre avec une progression de 4,4% au T1 2022 après respectivement 0,2% t/t et 2,1% t/t au T4 2021 et au T3 2021. Les exportations nettes ont, a contrario, pesé sur l’activité.

PRÉVISIONS

HONGRIE : PRODUCTION INDUSTRIELLE ET VENTES AU DÉTAIL

Pour les prochains trimestres, les indicateurs conjoncturels suggèrent un ralentissement de l’activité. Les ventes au détail hors véhicules semblent avoir atteint un pic en mars. La production industrielle s’est aussi affaiblie depuis mars, sans doute en raison des difficultés d’approvisionnement et de la hausse des coûts des biens intermédiaires et des matières premières. En mai, la baisse des nouvelles commandes et l’allongement des délais de livraison, reflétés par les indices sous-jacents du PMI manufacturier, suggèrent que le fléchissement de l’activité industrielle pourrait se poursuivre à court terme. L’investissement pourrait en pâtir au cours des prochains trimestres. Les incertitudes liées à la guerre en Ukraine affectent le moral des entrepreneurs et devraient conduire à un report des projets. De même, l’introduction récente d’une taxe sur les profits exceptionnels des entreprises dans certains secteurs pourrait impacter négativement les décisions d’investissement.

Du côté de la demande externe, les exportations ont progressé plus lentement ces derniers mois alors que les importations sont restées élevées. L’exposition directe de la Hongrie vis-à-vis de la Russie en termes d’exportations est très faible, à 2,1% du PIB mais l’effet indirect à travers la relation commerciale avec l’UE est très important. En contraste, la Hongrie est fortement dépendante de la Russie pour son approvisionnement en énergie (50 % des importations énergétiques). A l’heure actuelle, l’embargo de l’UE sur les importations de pétrole russe ne s’applique pas à la Hongrie, ni à la Slovaquie et ni à la République tchèque.

Le tassement attendu de l’activité au cours des prochains mois n’aura qu’un impact limité sur la croissance en 2022 en raison de l’importance des effets d’acquis au premier trimestre, qui s’élèvent à 5%. La croissance sera donc encore très forte à 6% cette année. En revanche, elle devrait sensiblement ralentir à 2,9% en 2023 en raison du maintien de l’inflation à des niveaux élevés et du ralentissement de l’activité dans les pays avancés.

Resserrement monétaire pour lutter contre l’inflation

HONGRIE : CONTRIBUTION DES PRINCIPAUX POSTES À L’INFLATION

Les pays d’Europe centrale (PEC) subissent une forte remontée des prix à la consommation depuis fin 2021, accentuée par la guerre en Ukraine. Le taux d’inflation est plus élevé que la moyenne de l’Union européenne et d’autres pays émergents d’Asie et d’Amérique latine. En Hongrie, il est au plus haut depuis 2001 (+10,7% en g.a. en mai) et dépasse largement l’objectif de 3% de la banque centrale.

Toutefois, l’inflation est relativement moins élevée que chez les autres PEC grâce à un gel temporaire sur les prix des produits alimentaires de base et de l’énergie, d’abord jusqu’en juin puis étendu jusqu’au 1er octobre.

Les postes « alimentation » et « transport » ont principalement contribué à cette poussée inflationniste, respectivement à hauteur de 4,3 points et 1,9 point en mai. Mais l’inflation sous-jacente (+9,1% en g.a. en mai) a également sensiblement accéléré, reflet de l’ensemble des coûts de production, y compris les salaires. En 2022, l’inflation pourrait atteindre 11% en moyenne et se maintiendrait à des niveaux élevés en 2023 en raison des pressions salariales élevées.

Le resserrement monétaire qui avait débuté en juin 2021 a d’abord été graduel. Il s’est accentué depuis le début de cette année, portant le taux directeur à 7,75% fin juin, soit un cumul de 715 points de base (pb) depuis le début de ce cycle. Ce durcissement est d’autant plus justifié que le forint (HUF) s’est déprécié de 8,6% vis-à-vis de l’euro depuis fin 2021 et que les réserves de change ont sensiblement baissé. Le ratio de couverture des importations est faible, à 3,7 mois fin 2021, même si le régime de taux de change flexible et l’appartenance à l’UE limitent les risques de liquidité. Le resserrement monétaire va sans doute se poursuivre au cours des prochains mois. Pour autant, la politique monétaire n’est pas vraiment restrictive, car le taux d’intérêt réel calculé par rapport au taux directeur ou au taux obligataire à 5 ou à 10 ans reste encore négatif.

Blocage temporaire de l’accès au fonds européens

La Hongrie est temporairement privée des fonds européens dans le cadre du Plan pour la reprise et la résilience, dont le montant des subventions s’élève à EUR 7,2 milliards sur la période de 2021-2023. La décision de l’UE de bloquer les fonds prive le pays d’une source de financement importante pour l’équilibre budgétaire et celui du compte courant.

Le déficit budgétaire dépassera sans doute l’objectif officiel de 4,9% cette année. Sur les cinq premiers mois de l’année, le déficit a déjà atteint HUF 2879 mds, soit 4,6% du PIB. Par ailleurs, le coût de financement s’est nettement renchéri en raison du resserrement monétaire et d’une sur-réaction des marchés face à la situation géopolitique. Le taux des obligations à 5 ans s’élève désormais à 5,62% en moyenne en juin, soit une hausse de 212 pb par rapport à janvier 2022. Dans ce contexte, les récentes mesures annoncées par le gouvernement devraient contenir la dégradation des comptes publics. Il prévoit notamment une baisse des dépenses (incluant des investissements publics) au deuxième semestre 2022. Une taxe sur profits exceptionnels sur les entreprises serait par ailleurs, appliquée temporairement pour venir en appui aux recettes de l’État. La dette publique rapportée au PIB devrait se réduire grâce à la croissance nominale élevée, mais le ratio resterait supérieur à 70% en 2022.

Le compte courant était structurellement excédentaire jusqu’en 2019. Il est devenu déficitaire en 2020-2021. En 2021, son creusement est principalement attribué à la détérioration très prononcée du solde commercial. La balance des revenus, structurellement déficitaire, s’est également dégradée l’an dernier. Par ailleurs, la balance des services, en excédent, n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant-crise Covid. La chute des revenus en provenance du tourisme explique en partie cette situation. Le poste « voyages » dans la balance des services était de HUF 803 mds fin 2021 contre 1 324 mds fin 2019, soit seulement 61% du niveau d’avant la crise du Covid-19.

Cette année, le déficit courant va se creuser en raison de l’alourdissement de la facture énergétique et de l’affaiblissement des exportations. Le solde commercial s’est d’ores et déjà dégradé pour atteindre un déficit de EUR 1 544 millions en cumul sur les 4 premiers mois de l’année, contre un excédent commercial de EUR 2 920 millions sur la même période en 2021. L’an prochain, nous anticipons un maintien du déficit courant en raison d’un ralentissement plus marqué de l’activité économique au sein des principaux partenaires commerciaux de la Hongrie et des prix de l’énergie qui se maintiendraient à des niveaux élevés.

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