Eco Emerging

Des vulnérabilités persistantes

06/07/2022

Après cinq années de récession, les perspectives économiques de l’Angola s’éclaircissent : le pays devrait renouer avec la croissance, attendue à +3% en 2022. Il bénéficie d’une conjoncture favorable marquée par le cycle haussier du baril de pétrole et une reprise de la production nationale d’hydrocarbures. La hausse induite des recettes budgétaires et des revenus des exportations devrait soutenir le kwanza. Cette dynamique permet d’alléger les pressions sur les besoins de financement extérieur du pays et la soutenabilité de la dette, que l’accord de reprofilage conclu avec la Chine début 2021 avait permis d’améliorer. Néanmoins, l’économie angolaise reste en proie à d’importantes vulnérabilités. Les autorités devront poursuivre les réformes en tirant profit de la conjoncture actuelle afin de réduire la dépendance économique du pays au cycle du pétrole.

Une conjoncture de bon augure

L’impact de la crise liée à l’épidémie de Covid-19 a entraîné un choc significatif sur l’économie angolaise, déjà très fragile. Avec la forte correction à la baisse des prix du pétrole en 2015, le pays avait enregistré une croissance négative entre 2016 et 2019 (-1,4% par an en moyenne). L’effondrement des revenus pétroliers, mais aussi le recul de la production, se sont répercutés à l’ensemble de l’économie. Le secteur pétrolier représente plus de 90% des exportations du pays, 60% des recettes budgétaires et 30% du PIB.

En 2020 et 2021, la dégradation des indicateurs de liquidité et de solvabilité a été contenue grâce au soutien :

i) des créanciers multilatéraux, notamment du FMI via le décaissement du mécanisme élargi de crédit et l’allocation de DTS,

ii) du G20 avec l’Initiative de Suspension du Service de la Dette. Par ailleurs, l’accord de reprofilage de la dette conclu avec la Chine a permis d’alléger significativement les pressions sur la liquidité et de réduire le risque de surendettement. Au total, ces initiatives représentent une économie de près de USD 7 mds sur 2020-2022.

PRÉVISIONS
ANGOLA : DES PERSPECTIVES DE CROISSANCE FAVORABLES

Au cours de l’année 2021, les effets de la crise de la Covid-19 se sont dissipés et les perspectives macroéconomiques et financières de l’Angola se sont améliorées. La reprise de la croissance a reposé sur la consommation privée, grâce à la levée des restrictions, et ce malgré de fortes tensions inflationnistes. Les secteurs hors hydrocarbures ont fortement contribué à la croissance : +14% pour le secteur du commerce, +28,9% pour le transport, +46,5% pour le secteur de la pêche. La contribution négative du secteur pétrolier a quant à elle diminué.

La dynamique devrait se poursuivre au cours des prochains mois avec une croissance attendue à +3% en 2022, son plus haut niveau depuis 2014. En baisse continue depuis fin 2017, la production de pétrole repart à la hausse depuis le second semestre 2021 avec une progression de +8% en g.a en mai 2022. Au T1 2022, l’indice de confiance des entreprises (ICE) était en territoire positif pour la deuxième fois consécutive depuis plus de 6 ans, de +5 points par rapport au T4 2021. Par ailleurs, les efforts entrepris par le gouvernement de João Lourenço commencent à porter leurs fruits. La première introduction en Bourse de la banque BAI début juin 2022 en est l’illustration. Elle a permis de tester l’appétit des investisseurs et d’ouvrir le marché aux privatisations à venir d’entreprises publiques telles que Sonangol ou Endiamia.

L’amélioration des perspectives de l’Angola s’est traduite par une forte appréciation du kwanza qui a gagné près de 19% par rapport au dollar depuis le début de l’année. Cela en fait la devise la plus performante par rapport au billet vert. Depuis 2019, la libéralisation progressive du marché des changes a par ailleurs permis au kwanza de servir de variable d’ajustement et de contenir la dégradation du niveau de réserves de change de la banque centrale.

L’ensemble de ces éléments a soutenu la confiance des investisseurs et fait baisser considérablement la prime de risque sur les obligations souveraines. L’État angolais est d’ailleurs parvenu à émettre USD 1,75 md sur le marché obligataire international en avril 2022. L’obligation, d’une maturité de 10 ans, a été émise à un taux de 8,75%; c’est légèrement au-dessus du taux auquel le gouvernement avait émis en 2019 (8%), date de sa dernière émission pour une maturité équivalente. L’opération a enregistré un taux de souscription de 200%, ce qui illustre l’appétit des investisseurs pour la signature angolaise.

Des élections générales sont prévues le 24 août 2024. Le président João Lourenço pourrait rester au pouvoir et conserver une majorité au Parlement. Néanmoins, les interrogations subsistent quant à la capacité du gouvernement à poursuivre et à accélérer les réformes en cours, qui visent à corriger durablement les vulnérabilités du pays.

Nécessité de poursuivre les réformes

Les fondamentaux budgétaires de l’Angola restent extrêmement fragiles. Le ratio de dette publique rapportée au PIB a baissé en 2021 après avoir atteint plus de 135% du PIB en 2020, et il devrait continuer de baisser en 2022. Néanmoins, cette décrue est étroitement liée à l’appréciation du taux de change car les 4/5e de la dette publique est libellée en devise étrangère.

Le coût de la dette reste par ailleurs préoccupant. Le recours croissant aux crédits commerciaux privés au cours de la décennie passée a eu pour résultat le renchérissement du service total de la dette. Pendant la crise en 2020, il représentait plus de 100% des revenus budgétaires. Bien qu’il se soit réduit, le service de la dette continuera d’absorber près de 50% des revenus budgétaires à moyen terme. Ce ratio est déjà supérieur au seuil prudentiel recommandé par le FMI et la situation est d’autant plus préoccupante que la capacité de l’État à pérenniser ses ressources reste limitée.

ANGOLA : DES VULNÉRABILITÉS PERSISTANTES

Premièrement, l’objectif officiel d’atteindre des capacités de production de pétrole de 1,3 m barrils par jour (b/j) sur les trois prochaines années pourrait ne pas être atteint compte tenu du vieillissement des infrastructures et du manque de nouveaux investissements dans le secteur. D’après l’agence nationale du pétrole angolaise, les dépenses d’exploration et de production ont baissé de 77% au cours des cinq dernières années. Au S1 2022, la production (1,2 m b/j) est 35% inférieure au niveau moyen de 2015. Les possibles répercussions de problèmes techniques dans la mise en œuvre de nouveaux projets pourraient empêcher de maintenir les niveaux de productions actuels. Par ailleurs, 60% de la production est déjà attribuée à la Chine en contrepartie d’anciens accords de financement de projets, sur la base d’un prix du Brent inférieur au prix actuel. La hausse des cours ne bénéficie donc qu’aux 40% de la production destinée au marché libre. En outre, les capacités de raffinage demeurent très limitées et la hausse du Brent renchérit la facture des importations.

Deuxièmement, les réformes entreprises depuis 2018 dans le cadre du programme FMI, pour réduire la vulnérabilité de l’économie angolaise aux variations des prix du pétrole, restent insuffisantes. Réduire la nature procyclique de l’activité requiert d’augmenter l’investissement dans les secteurs hors hydrocarbures, moins volatils. Les réformes visant à promouvoir l’ouverture du pays aux investisseurs privés vont dans ce sens, avec la volonté de bénéficier du relais financier du secteur privé pour promouvoir un modèle de croissance plus soutenable. Le taux d’exécution du programme de privatisation atteint 67% en juin 2022. Néanmoins, le pays souffre toujours d’un manque d’attractivité pour attirer les flux d’investissement étrangers, qui demeurent négatifs en termes nets (-6,4% du PIB en 2021). Ceux-ci restent concentrés dans le secteur des hydrocarbures, et reflètent le rapatriement des recettes des compagnies pétrolières.

Les efforts de réformes nécessitent donc d’être poursuivis. En particulier, il est nécessaire d’améliorer le climat des affaires et d’alléger les lourdeurs administratives pour attirer une base plus large d’investisseurs et promouvoir le développement des secteurs hors hydrocarbures.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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