Eco Emerging

Difficile dosage du policy mix

06/07/2022
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L’activité économique a bien résisté au premier semestre mais le ralentissement de la croissance du PIB devrait s’intensifier au cours de la deuxième moitié de l’année. Le rétablissement du marché du travail se poursuit avec un repli du chômage au prix d’une baisse de la productivité. L’inflation, qui connait une progression à deux chiffres depuis neuf mois, se diffuse à l‘ensemble de l’économie. La politique monétaire est contrainte par l’annonce de nouveaux soutiens budgétaires, et l’affaiblissement de la principale règle budgétaire pourrait peser sur les primes de risques et les anticipations d’inflation. L’engouement qui avait prévalu début 2022 pour les actifs brésiliens montre des signes d’essoufflement.

Résilience de l’activité au premier semestre

L’activité économique au T1 2022 a mieux résisté qu’attendu au variant Omicron et à la baisse de la confiance. Le PIB réel a progressé de +1% t/t et +1,7% en g.a. Du côté de l’offre, la croissance a été tirée par les services. En revanche, l’agriculture et l’élevage ont connu une baisse d’activité due en grande partie au repli de la production de soja et de riz. La production dans l’industrie a quasi-stagné : les bonnes surprises émanant des secteur manufactu

BRÉSIL : CONTRIBUTION À LA CROISSANCE TRIMESTRIELLE

rier et de la construction – pourtant en proie à des problèmes d’approvisionnement et à la remontée des taux d’intérêt – ont été contrecarrées par le repli de la production dans le secteur minier (troisième trimestre consécutif de baisse). Du côté des dépenses, c’est la demande extérieure et la consommation des ménages qui ont soutenu la croissance. En revanche, l’investissement a lourdement chuté.

Les chiffres d’activité disponibles au T2 sont plutôt bien orientés (expansion en avril et mai de l’indice PMI composite, reprise de la production de véhicules en mai, redressement de la confiance des entreprises, progression de la production industrielle en mai, bonne tenue de la balance commerciale). La progression des indicateurs d’activité est en ligne avec l’évolution positive du marché du travail. En effet, d’importantes créations d’emplois dans la construction et les services ont permis au chômage de baisser sous la barre des 10% (un plus bas depuis janvier 2016). La dynamique favorable sur le marché du travail depuis le début de l’année s’accompagne toutefois d’une baisse temporaire de la productivité du travail (la valeur ajoutée a moins augmenté que l’ajout de nouveaux travailleurs à l’économie). Selon Bradesco, la bonne tenue du marché du travail pourrait s’expliquer par le fait que les entreprises profitent des plus grandes facilités d’embauche (conséquence de la réforme du travail de 2016) et de la baisse, depuis la pandémie, des coûts du travail unitaires en termes réels pour allouer plus de travailleurs que d’équipements à la production.

PRÉVISIONS

Une décélération de l’activité économique est à prévoir au S2 (effets retardés de la politique monétaire, ralentissement de l’activité mondiale, dégradation des termes de l’échange malgré le niveau élevé des cours des matières premières agricoles). La remontée des cas de Covid-19, les risques de pénurie de gazole (liés à des problèmes de stocks au niveau mondial) pourraient aussi peser sur l’activité et la confiance des ménages, déjà ébranlées par la baisse du pouvoir d’achat et l’effritement de l’épargne de précaution. Cependant, ces facteurs négatifs seront contrebalancés par la reconstitution des stocks dans l’industrie et les efforts de relance du gouvernement par le biais de transferts de revenus et de réductions d’impôts.

Inflation : le policy mix à l’épreuve

L’inflation, malgré un léger repli, reste élevée (11,7% en g.a en mai) et continue de se généraliser. La détente, observée depuis début juin, du prix de certaines matières premières et les réductions d’impôts annoncées récemment par le gouvernement pourraient agir favorablement sur les composantes les plus volatiles des prix à court terme[1]. Toutefois, le processus de désinflation devrait être lent. Il est contraint par i/ les effets de diffusion à l’ensemble des secteurs (72% des articles du panier de consommation à l’exclusion des biens alimentaires ont vu leur prix augmenter en mai, notamment dans les services), ii/ des pratiques d’indexation généralisée, et iii/ de la hausse des pressions salariales dans le secteur privé.

À environ trois mois de l’échéance électorale, les autorités s’inquiètent de la montée de l’insécurité alimentaire et des tensions sociales. Les augmentations de salaires limitées au sein de la fonction publique[2] ont conduit à des grèves (y compris au sein de la banque centrale qui a interrompu les publications de données et autres rapports il y a plusieurs mois). Des mesures de soutien (non ciblées) ont été déployées depuis le début de l’année. En mars, des assouplissements règlementaires devaient permettre d’injecter BRL 150 mds (1,7% du PIB) dans l’économie pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages (e.g. autorisation de retraits anticipés des comptes FGTS – fonds liés aux indemnités de licenciement, paiement anticipé de certaines prestations de retraites, etc.). Le gouvernement a ensuite annoncé une baisse d’impôts liés à la production (notamment pour limiter la hausse du prix des intrants dans l’agriculture) et proposé des réductions d’impôts sur le carburant, l’électricité et les télécommunications[3] (dont le coût est estimé à BRL 17 mds, environ 0,2% du PIB).

Par ailleurs, les autorités ont proposé, fin juin, des mesures plus ciblées pour un coût d’environ BRL 40 mds (0,45% du PIB) : i/ élargir la liste de bénéficiaires du programme Auxilio Brasil (ancien Bolsa Familia) d’environ 1,6 million de personnes et accroître de 50% les transferts mensuels (à hauteur de BRL 600 par mois), ii/ permettre aux personnes agées de bénéficier de la gratuité des transports, et iii/ revaloriser une nouvelle fois l’aide aux chauffeurs routiers[4]. Le coût de l’opération devrait toutefois enfler davantage – le Congrès ayant proposé des transferts supplémentaires pour les taxis et les petits agriculteurs. L’opération serait financée par les recettes de privatisation liées à la vente d’Électrobras ainsi que le versement de dividendes par Petrobras.

Le gouvernement a dû déposer un amendement constitutionel (motivé par un « état d’urgence ») pour que ces nouvelles dépenses ne soient pas comptabilisées dans le plafond des dépenses. Les autorités encourent le risque que la multiplication de mesures fiscales (pour certaines, permanentes) ou l’assouplissement du cadre budgétaire (e.g. révision des règles de calcul du plafond des dépenses fin 2021 et dépôt du récent amendement constitutionnel pour contourner la règle budgétaire) n’entraînent une remontée trop importante des taux long réels (ces derniers sont déjà près de deux fois supérieurs à ce qu’ils étaient au lendemain de la réforme des retraites, fin 2019).

Le soutien budgétaire représente un casse-tête pour la banque centrale (BCB), laquelle vient d’engager un ralentissement de son rythme de resserrement monétaire. À la mi-juin, la BCB a remonté son taux directeur (Selic) de 50 points de base (pb) à 13,25% (soit la 11e hausse consécutive depuis mars 2021) et le durcissement devrait se poursuivre. Le contexte inflationniste pourrait contraindre la BCB à maintenir son taux directeur à un niveau élevé tant que les anticipations d’inflation ne convergeront pas vers la cible à horizon 2024 (3%).

Vent plus frais sur les marchés

Les conséquences du durcissement monétaire aux Etats-Unis n’ont pas épargné le Brésil. Malgré l’attractivité relative de la place brésilienne (décote du marché actions, attractivité des opérations de portage, sous-évaluation du BRL, baisse relative du risque souverain, faible déficit courant), le pays a été sujet, comme beaucoup d’autres pays émergents, à des retraits de capitaux depuis avril. Début juillet, les cours boursiers sont revenus en deça de leur niveau de début d’année (-5%). Dans un contexte de montée de l’aversion au risque, les investisseurs locaux se sont rabattus sur d’autres classes d’actifs moins risquées et plus attractives du fait de la remontée des taux (e.g. obligations locales).