Depuis le début de l’année, les pays émergents ont été confrontés à une série de chocs successifs et inattendus qui vont considérablement affecter leurs performances économiques. Les pressions inflationnistes mondiales ont augmenté en raison de la hausse des prix des matières premières et des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement résultant du conflit en Ukraine. De plus, au printemps, les confinements dans d’importantes régions industrielles chinoises ont aggravé les problèmes d’approvisionnement et un peu plus assombri les perspectives de demande mondiale. Les politiques monétaires ont été durcies dans la plupart des pays, tandis que les conditions de financement externe se sont détériorées du fait de l’affaiblissement de la confiance des investisseurs internationaux et du resserrement monétaire américain. Les marchés émergents ont déjà fait face à des sorties de capitaux depuis le début de l’année. Dans ce contexte, les emprunteurs émergents les plus exposés à d’éventuelles difficultés de paiement sont les États dont la notation est déjà faible et qui affichent à la fois des finances publiques fragiles et des déséquilibres extérieurs élevés. Ces états emprunteurs, très vulnérables, ne sont toutefois pas si nombreux.
Multiples vents contraires à la croissance économique
Au cours des quatre derniers mois, les marchés émergents (ME) ont été confrontés à une nouvelle série de chocs qui n’étaient pas anticipés au début de l’année. Tout d’abord, la demande et les chaînes d’approvisionnement mondiales ont subi deux revers majeurs et très différents : la guerre en Ukraine depuis fin février, et les sévères confinements dans d’importantes régions industrielles en Chine au cours du printemps. Les pressions inflationnistes mondiales ont également rapidement augmenté sous l’effet des chocs d’offre et de la flambée des prix de l’énergie et des matières premières agricoles, qui étaient déjà élevés et en hausse avant la guerre.
Tour à tour, la plupart des banques centrales ont resserré leurs politiques monétaires et ce, en dépit de la dégradation des perspectives de croissance économique. Enfin, le resserrement rapide de la politique monétaire américaine et la perte de confiance des marchés ont conduit à la détérioration des conditions de financement externe pour les emprunteurs des ME, et à d’importantes sorties d’investissements de portefeuille.
Par conséquent, en 2022, la croissance économique des ME sera plus lente que prévu en début d’année. L'une de nos plus fortes révisions à la baisse concerne la Chine. L'activité économique y a effectivement ralenti au T1 2022 et s'est probablement contractée au T2 2022. A court terme, la croissance ne devrait se redresser que progressivement. En outre, les risques baissiers restent élevés : la situation sanitaire est toujours incertaine et les autorités maintiennent une stratégie anti-COVID très ferme ; la consommation privée aura du mal à se redresser, notamment parce que le marché du travail s’est dégradé ; et la contraction du secteur immobilier se poursuit. Les politiques économiques chinoises sont de plus en plus expansionnistes, les autorités préférant des mesures de soutien graduelles et ciblées plutôt qu’un vaste plan de relance. La politique monétaire et les conditions de crédit se sont progressivement assouplies depuis le quatrième trimestre 2021, mais la faiblesse de la demande de crédit réduit l’efficacité de la politique monétaire.
Resserrement des conditions financières externes
Les récentes sorties de capitaux n’ont pas eu, jusqu’à maintenant, des conséquences très inquiétantes pour les pays émergents. Toutefois, les réserves de change des banques centrales se sont affaiblies dans la plupart des ME (notamment en Turquie), y compris les exportateurs de matières premières. Les effets sur les taux de change et les coûts d’emprunt sont importants, bien que plus faibles que prévu compte tenu de l’ampleur des sorties d’investissements de portefeuille. Concernant l’effet sur les coûts d’emprunt externes, le choc a renforcé la dichotomie entre les emprunteurs souverains de bonne qualité et ceux de qualité spéculative. Quant aux coûts des emprunts locaux, la situation est beaucoup moins binaire et, dans une certaine mesure, plus rassurante, car, à l’exception de quelques pays, les rendements réels actuels des obligations d’État restent inchangés, voire inférieurs, à ceux de fin 2019.
Pour les emprunteurs souverains de catégorie investment-grade, le taux d’intérêt réel sur la dette restera inférieur à la croissance du PIB réel attendue en 2022. Le fardeau de la dette pourrait donc s’alléger malgré la hausse du ratio dette/PIB. En revanche, pour les pays dont les finances publiques étaient déjà structurellement fragiles avant la crise de la COVID-19 et dont le déficit courant va s’aggraver en raison de la hausse des prix des matières premières, le coût du financement externe a atteint un niveau dissuasif, voire prohibitif.
Le refinancement de la dette extérieure nécessitera forcément le soutien d’institutions financières internationales ou de créanciers bilatéraux officiels afin d’éviter un défaut de paiement souverain. Parmi les principaux pays émergents et en développement, on peut citer la Tunisie et le Pakistan, qui se trouvent actuellement dans une situation très compliquée. L’Afrique du Sud et le Brésil devront surtout supporter un endettement plus élevé. L’Égypte se trouve entre ces deux catégories de pays.
La crise de la COVID-19 n’a pas entraîné de forte hausse de la dette du secteur privé non-financier, contrairement à la dette publique. En outre, la plus forte hausse de la dette des entreprises et/ou des ménages a été enregistrée dans des pays qui affichent un niveau de développement élevé et/ou de bons fondamentaux macroéconomiques. Quant à l’endettement en devises étrangères, dans un grand nombre de ME, la dette extérieure des entreprises a diminué, ou juste légèrement augmenté, depuis fin 2019. Cependant, les tensions sur les taux de change et les taux d’intérêt pourraient affaiblir la capacité des entreprises à supporter un endettement plus élevé.