Eco Emerging

D’un choc à l’autre

06/07/2022
PDF

Depuis le début de l’année, les pays émergents ont été confrontés à une série de chocs successifs et inattendus qui vont considérablement affecter leurs performances économiques. Les pressions inflationnistes mondiales ont augmenté en raison de la hausse des prix des matières premières et des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement résultant du conflit en Ukraine. De plus, au printemps, les confinements dans d’importantes régions industrielles chinoises ont aggravé les problèmes d’approvisionnement et un peu plus assombri les perspectives de demande mondiale. Les politiques monétaires ont été durcies dans la plupart des pays, tandis que les conditions de financement externe se sont détériorées du fait de l’affaiblissement de la confiance des investisseurs internationaux et du resserrement monétaire américain. Les marchés émergents ont déjà fait face à des sorties de capitaux depuis le début de l’année. Dans ce contexte, les emprunteurs émergents les plus exposés à d’éventuelles difficultés de paiement sont les États dont la notation est déjà faible et qui affichent à la fois des finances publiques fragiles et des déséquilibres extérieurs élevés. Ces états emprunteurs, très vulnérables, ne sont toutefois pas si nombreux.

Multiples vents contraires à la croissance économique

Au cours des quatre derniers mois, les marchés émergents (ME) ont été confrontés à une nouvelle série de chocs qui n’étaient pas anticipés au début de l’année. Tout d’abord, la demande et les chaînes d’approvisionnement mondiales ont subi deux revers majeurs et très différents : la guerre en Ukraine depuis fin février, et les sévères confinements dans d’importantes régions industrielles en Chine au cours du printemps. Les pressions inflationnistes mondiales ont également rapidement augmenté sous l’effet des chocs d’offre et de la flambée des prix de l’énergie et des matières premières agricoles, qui étaient déjà élevés et en hausse avant la guerre.

Tour à tour, la plupart des banques centrales ont resserré leurs politiques monétaires et ce, en dépit de la dégradation des perspectives de croissance économique. Enfin, le resserrement rapide de la politique monétaire américaine et la perte de confiance des marchés ont conduit à la détérioration des conditions de financement externe pour les emprunteurs des ME, et à d’importantes sorties d’investissements de portefeuille.

Par conséquent, en 2022, la croissance économique des ME sera plus lente que prévu en début d’année. L'une de nos plus fortes révisions à la baisse concerne la Chine. L'activité économique y a effectivement ralenti au T1 2022 et s'est probablement contractée au T2 2022. A court terme, la croissance ne devrait se redresser que progressivement. En outre, les risques baissiers restent élevés : la situation sanitaire est toujours incertaine et les autorités maintiennent une stratégie anti-COVID très ferme ; la consommation privée aura du mal à se redresser, notamment parce que le marché du travail s’est dégradé ; et la contraction du secteur immobilier se poursuit. Les politiques économiques chinoises sont de plus en plus expansionnistes, les autorités préférant des mesures de soutien graduelles et ciblées plutôt qu’un vaste plan de relance. La politique monétaire et les conditions de crédit se sont progressivement assouplies depuis le quatrième trimestre 2021, mais la faiblesse de la demande de crédit réduit l’efficacité de la politique monétaire.

Resserrement des conditions financières externes

Les récentes sorties de capitaux n’ont pas eu, jusqu’à maintenant, des conséquences très inquiétantes pour les pays émergents. Toutefois, les réserves de change des banques centrales se sont affaiblies dans la plupart des ME (notamment en Turquie), y compris les exportateurs de matières premières. Les effets sur les taux de change et les coûts d’emprunt sont importants, bien que plus faibles que prévu compte tenu de l’ampleur des sorties d’investissements de portefeuille. Concernant l’effet sur les coûts d’emprunt externes, le choc a renforcé la dichotomie entre les emprunteurs souverains de bonne qualité et ceux de qualité spéculative. Quant aux coûts des emprunts locaux, la situation est beaucoup moins binaire et, dans une certaine mesure, plus rassurante, car, à l’exception de quelques pays, les rendements réels actuels des obligations d’État restent inchangés, voire inférieurs, à ceux de fin 2019.

Pour les emprunteurs souverains de catégorie investment-grade, le taux d’intérêt réel sur la dette restera inférieur à la croissance du PIB réel attendue en 2022. Le fardeau de la dette pourrait donc s’alléger malgré la hausse du ratio dette/PIB. En revanche, pour les pays dont les finances publiques étaient déjà structurellement fragiles avant la crise de la COVID-19 et dont le déficit courant va s’aggraver en raison de la hausse des prix des matières premières, le coût du financement externe a atteint un niveau dissuasif, voire prohibitif.

Le refinancement de la dette extérieure nécessitera forcément le soutien d’institutions financières internationales ou de créanciers bilatéraux officiels afin d’éviter un défaut de paiement souverain. Parmi les principaux pays émergents et en développement, on peut citer la Tunisie et le Pakistan, qui se trouvent actuellement dans une situation très compliquée. L’Afrique du Sud et le Brésil devront surtout supporter un endettement plus élevé. L’Égypte se trouve entre ces deux catégories de pays.

La crise de la COVID-19 n’a pas entraîné de forte hausse de la dette du secteur privé non-financier, contrairement à la dette publique. En outre, la plus forte hausse de la dette des entreprises et/ou des ménages a été enregistrée dans des pays qui affichent un niveau de développement élevé et/ou de bons fondamentaux macroéconomiques. Quant à l’endettement en devises étrangères, dans un grand nombre de ME, la dette extérieure des entreprises a diminué, ou juste légèrement augmenté, depuis fin 2019. Cependant, les tensions sur les taux de change et les taux d’intérêt pourraient affaiblir la capacité des entreprises à supporter un endettement plus élevé.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Chine
Passage à vide

Passage à vide

L’activité s’est contractée en avril et mai 2022 en raison des sévères restrictions à la mobilité imposées dans des régions industrielles comme Shanghai [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Changement de policy mix

Changement de policy mix

À la fin de l’année budgétaire 2021/2022 (achevée au 31/03/2022), le PIB indien a dépassé son niveau d’avant-crise. De plus, les indicateurs d’activité des mois d’avril et mai ont été favorables [...]

LIRE L'ARTICLE
Corée du Sud
Plutôt positif

Plutôt positif

Grâce à ses solides fondamentaux macroéconomiques, la Corée du Sud figure parmi les pays ayant le mieux résisté à la crise liée à l’épidémie de Covid-19. Ses perspectives de croissance restent relativement bien orientées [...]

LIRE L'ARTICLE
Taïwan
Solide

Solide

L’économie taiwanaise a très bien résisté aux multiples chocs extérieurs des deux dernières années. Le secteur exportateur a largement tiré parti de la forte hausse de la demande mondiale de biens de haute technologie [...]

LIRE L'ARTICLE
Turquie
Exercice d’équilibriste

Exercice d’équilibriste

La situation économique de la Turquie offre des contrastes saisissants avec une croissance soutenue jusqu’au T1 2022, une inflation galopante, des entreprises beaucoup plus confiantes que les ménages, un excédent budgétaire primaire [...]

LIRE L'ARTICLE
Hongrie
Vers un durcissement budgétaire

Vers un durcissement budgétaire

La croissance économique est restée très dynamique jusqu’au premier trimestre 2022 [...]

LIRE L'ARTICLE
République Tchèque
Consommation en berne

Consommation en berne

Ces deux derniers trimestres ont été marqués par une progression plus lente de l’activité économique, principalement due à l’affaiblissement de la consommation des ménages [...]

LIRE L'ARTICLE
Brésil
Difficile dosage du policy mix

Difficile dosage du policy mix

L’activité économique a bien résisté au premier semestre mais le ralentissement de la croissance du PIB devrait s’intensifier au cours de la deuxième moitié de l’année [...]

LIRE L'ARTICLE
Pérou
D’une crise politique à l’autre

D’une crise politique à l’autre

Le PIB péruvien a retrouvé son niveau d’avant crise, grâce au fort sursaut d’activité enregistré en 2021. Mais les capacités de rebond sont limitées et les perspectives de croissance à court et moyen terme sont modérées [...]

LIRE L'ARTICLE
Arabie Saoudite
Réforme budgétaire en cours

Réforme budgétaire en cours

La reprise économique devrait être soutenue en 2022 grâce à la forte hausse de la production d’hydrocarbures décidée par l’OPEP+ et à l’accélération de la consommation des ménages. La conjoncture pétrolière est favorable aux finances publiques [...]

LIRE L'ARTICLE
Angola
Des vulnérabilités persistantes

Des vulnérabilités persistantes

Après cinq années de récession, les perspectives économiques de l’Angola s’éclaircissent : le pays devrait renouer avec la croissance, attendue à +3% en 2022 [...]

LIRE L'ARTICLE
Nigeria
Perspectives mitigées

Perspectives mitigées

La situation de l’économie nigériane est contrastée. Le niveau faible de la production pétrolière ne lui permet pas de profiter pleinement de la remontée des cours [...]

LIRE L'ARTICLE