Faiblesses structurelles
L’activité a retrouvé son niveau de décembre 2019 (soit avant le début de l’épidémie de Covid-19) mais peine à le dépasser (graphique 1).
La capacité de rebond est effectivement limitée. Les faiblesses structurelles du pays en termes de gouvernance se sont progressivement accentuées au cours du précédent mandat (2016-2021), comme l’ont illustré la défiance du Parlement vis-à-vis du gouvernement et la multiplication du nombre de scandales de corruption. Au cours de ce mandat, quatre présidents (trois en novembre 2020), deux parlements et un grand nombre de gouvernements se sont succédés. Le nombre de réformes économiques et sociales mises en place par le gouvernement a nettement diminué (en comparaison à la décennie précédente). Par ailleurs, la croissance du PIB (à peine 3% par an en moyenne entre 2015 et 2019 contre 5% entre 2011 et 2015) et de l’investissement (dont la part dans le PIB s’est réduite 21 % du PIB en 2016-2019 contre 24,3 % du PIB en 2011-2015) ont nettement ralenti.
En outre, le soutien massif des autorités, dès le début de la pandémie, n’a pas suffi à empêcher la dégradation de plusieurs indicateurs sociaux (le taux de pauvreté par exemple) et ceux du marché de l’emploi. D’après le FMI, les confinements très stricts imposés par les autorités (et les fermetures prolongées des écoles) auront des effets négatifs sur l’accumulation du capital humain, et donc sur la croissance potentielle. Le FMI estime à présent que la croissance potentielle péruvienne se situe autour de 3%, alors qu’elle était légèrement supérieure à 3,5% avant la crise.
Crise politique : pas d’issue à court terme
À court terme, le climat politique pourrait se dégrader encore davantage. Le parti du président Castillo (élu en avril 2021) ne dispose que de 37 députés (sur 130) au Parlement, et les coalitions sont fragiles. En moins d’un an (le mandat a débuté fin juillet), les remaniements gouvernementaux ont été nombreux et le président a déjà évité deux procédures de destitution.
Si Pedro Castillo termine son mandat (en 2026), les relations entre le Parlement et le gouvernement resteront tendues et le risque que les procédures de destitutions se multiplient est élevé. À l’inverse, si le président est destitué, ou s’il démissionne, de nouvelles élections pourraient mener à une polarisation encore plus marquée de la vie politique. Il est probable que le Parlement reste fragmenté, sans majorité nette, ce qui n’améliorera pas la gouvernabilité du pays et la capacité à mener des réformes.
Depuis le mois de janvier, les tensions se cristallisent autour du projet présidentiel de réécriture de la constitution (influencé par la procédure en cours au Chili). Après une première proposition, rejetée par le Parlement, le Congrès a promulgué une loi rendant nécessaire l’approbation des députés en cas de référendum public. Fin avril, le président a pourtant soumis au Parlement une nouvelle proposition de référendum (qui se tiendrait le 2 octobre prochain) concernant une nouvelle constitution. Même s’il a peu de chances d’être adopté, le projet est pour le moment en discussion au Parlement.
Dégradation des finances publiques
L’économie ne montre pas de signe de déséquilibre majeur et les réformes les plus radicales (et les plus coûteuses) envisagées par le gouvernement n’ont pas pu être mises en place. Mais il est probable que la prolongation de la crise politique continue de peser sur les perspectives d’investissement (domestique et étranger). Surtout, il est peu probable que le président parvienne à introduire la vaste réforme fiscale qu’il s’était engagé à mettre en place.
De nouvelles mesures populistes sont à craindre, ce qui repousserait la consolidation des finances publiques. Les pressions inflationnistes et de nombreux mouvements sociaux en avril ont déjà conduit le Congrès et le gouvernement à prendre de nouvelles mesures de soutien. Le Congrès avait ainsi autorisé les salariés à puiser dans leur épargne retraite. Le président a annoncé en avril une augmentation de 10% du salaire minimum, ainsi que plusieurs mesures de soutien destinées à compenser les effets de l’inflation : augmentation des subventions sur le prix du fuel et exonération de certaines taxes concernant les biens de première nécessité, pour un montant de 0,3% du PIB. Après une forte réduction en 2021, le déficit devrait se réduire très légèrement en 2022 (la hausse du prix du cuivre, et donc des revenus gouvernementaux, compensera celle des dépenses associées aux mesures de soutien).
Le risque d’un dérapage des finances publiques a augmenté depuis 2021. Bien qu’à un niveau encore modéré, la dette a fortement augmenté au cours des deux dernières années, de 27% du PIB fin 2019 à 36% du PIB fin 2021.
Mais plus que le niveau de la dette, c’est la détérioration de son profil qui inquiète : l’augmentation du déficit et l’autorisation donnée aux salariés de puiser dans leur épargne retraite se sont traduites par un recours accru au financement extérieur. La dette est à présent libellée à 50% en devises, et détenue à 50% par des non-résidents (chacun des deux indicateurs représentait moins de 30% du total en 2019), ce qui augmente la vulnérabilité du pays en cas de remous sur les marchés financiers. Moody's et Fitch ont dégradé la note souveraine du pays en septembre-octobre 2021, et Fitch a de nouveau dégradé sa note en mars 2022.