Après la présentation, le 3 septembre dernier, du plan « France Relance », le budget 2021 a été détaillé le 28 septembre[1]. Le premier fait désormais partie intégrante du second, tout en ayant une mission dédiée (afin de contrôler le risque d’exécution). Si l’attention se porte essentiellement sur les mesures du plan de relance, le budget 2021 ne se résume pas à ce plan. Il contient aussi son lot, habituel, de nouvelles mesures fiscales et budgétaires, non négligeables d’ailleurs, comme la poursuite de la baisse de l’impôt sur les sociétés et celle de la taxe d’habitation (cf. tableau 3 en annexe pour un récapitulatif des mesures fiscales sur la période 2018-2021). Il fournit également un certain nombre de renseignements, jusque-là manquants, notamment la décomposition du solde budgétaire en solde conjoncturel et structurel. Il marque aussi une première avec la présentation d’un « budget vert », c’est-à-dire une comptabilisation des dépenses publiques à l’aune de leur impact environnemental. C’est donc un budget 3 en 1.
Le bouclage de ce budget 2021 est, comme celui du budget 2020, moins compliqué que les années antérieures, mais la comparaison s’arrête là tant le contexte est différent. L’année dernière, le gouvernement avait résolu l’équation budgétaire en arbitrant plus clairement en faveur de la croissance et en passant au second plan la réduction du déficit budgétaire (et non plus en la traitant à égalité). Mais s’il était secondaire, cela restait un objectif dûment affiché. Cette année, les circonstances font qu’il n’y a qu’une seule priorité : le soutien à la croissance et à l’emploi, occultant la question de la réduction du déficit budgétaire. Ce n’est pas un sujet pour 2020, ni pour 2021. Si l’enjeu de ce budget 2021 ne réside pas dans la tenue des objectifs de déficit, il n’en est pas moins difficile : le point crucial est celui de son efficacité à amortir la crise et à soutenir la reprise.
Budget de crise : les chiffres
Dans son projet de loi de finances pour 2021, le gouvernement prévoit un déficit budgétaire de 10,2% du PIB en 2020 et de 6,7% en 2021. Le ratio de dette publique est attendu en hausse de près de 20 points, à 117,5% du PIB en 2020 contre 98,1% en 2019, avant de refluer légèrement à 116,2% en 2021. Ces quelques chiffres donnent une bonne première idée du caractère hors normes du budget 2021, qui porte la double trace du choc récessif massif, provoqué par la pandémie de Covid-19, et de la réponse budgétaire massive apportée, tant pour amortir la crise que pour soutenir la reprise.
Derrière ces chiffres globaux marquants, les détails sont aussi importants (cf. tableau 1). La détérioration de 7,2 points du déficit en 2020 est due, à hauteur de 6,7 points, à la chute de l’activité et, pour 1,6 point, aux mesures d’urgence. Par ailleurs, elle est atténuée par l’amélioration de 1,1 point du déficit structurel. En 2021, la réduction de 3,5 points du déficit nominal repose sur celle du déficit conjoncturel (+3,7 points) grâce au rebond attendu de la croissance, la réduction des mesures ponctuelles et temporaires (+2,4 points) et le creusement du déficit structurel (-2,5 points) se neutralisant à peu près.
Les à-coups du déficit structurel viennent en partie des choix de comptabilisation du gouvernement des mesures d’urgence en mesures ponctuelles et temporaires en 2020 (cf. tableau 2 en annexe pour un récapitulatif), d’une part, et de celles du plan de relance en mesures structurelles en 2021, d’autre part.
En 2020, l’amélioration du déficit structurel et le durcissement apparent de la politique budgétaire doivent être mis en regard de l’impulsion importante venant des mesures ponctuelles et temporaires (one-offs par la suite). Et inversement en 2021 : ce qui est perdu d’un côté (le soutien ponctuel des mesures d’urgence) est regagné de l’autre (le soutien structurel du plan de relance).
Ces à-coups rendent malaisés le calcul et l’interprétation de l’impulsion budgétaire[2] et de sa variation d’une année sur l’autre. L’impulsion peut être mesurée de deux manières : par la variation du solde primaire corrigé du cycle, y compris one-offs, et par celle du solde primaire structurel hors one-offs.
Ce double mode de calcul fait suite à la transformation du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) en baisse de charges en 2019 et aux effets perturbateurs de son coût budgétaire important, comptabilisé en one-off, sur la lecture habituelle des statistiques de déficit budgétaire. One-offs compris, l’impulsion budgétaire est nettement positive en 2019 (+1,2 point). Elle le serait un peu moins en 2020 (+0,7) et encore un peu moins en 2021 (+0,2). Hors one-offs, l’impulsion de 2019 est nettement réduite (+0,3 point), elle devient négative en 2020 (-0,9 point) avant de redevenir très positive en 2021 (+2,6 points)[3]. Quelle est la bonne grille de lecture ? Y a-t-il plus ou moins de soutien budgétaire en 2021 par rapport à 2020 ? Difficile de trancher, les deux mesures ayant chacune leur part de vérité[4].
L’ajustement structurel positif en 2020 est, par ailleurs, imputable à des facteurs techniques ponctuels :
- L’effort en dépenses (+1,1 point) est factice. Il est dû au dynamisme du déflateur du PIB, pour partie la résultante de la convention comptable retenue par Eurostat (et suivie par l’INSEE) concernant le partage volume-prix de la valeur ajoutée des branches non marchandes (avec contrecoup en 2021)[5].
- Le niveau élevé de la clé en crédit d’impôt (+0,4 point) est lié à la suppression du CICE et à l’écart important entre les versements encore substantiels au titre des années précédentes et la quasi-disparition des créances.
- L’effet d’élasticité fiscale (+0,6 point) résulte de la résistance des prélèvements obligatoires (PO) face à la chute de l’activité (les premiers ne s’ajustant pas instantanément à la seconde). Cet effet s’inverse en 2021 (-0,7 point).
- L’ajustement structurel positif masque, en outre, un effort en recettes nettement négatif (-0,6 point).
En 2021, l’ajustement structurel aurait pu être plus négatif encore, et avec lui le déficit budgétaire, sans la contribution positive de 1 point des « recettes hors PO », dont la majorité est issue du volet « subventions » du financement européen du plan de relance. Nous nous demandions comment ce financement européen serait comptabilisé et viendrait réduire le déficit budgétaire français : nous avons la réponse.
Autre détail important : la décomposition du solde public est basée sur les hypothèses de croissance potentielle de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2018-2022 (qui fait référence à ce jour), à savoir 1,25% en 2020 et 1,3% en 2021. Selon les hypothèses actualisées fournies par le gouvernement dans le RESF, le PIB potentiel reculerait de 0,3% en 2020 et augmenterait de 0,6% en 2021. Le déficit structurel révisé ressort plus dégradé et c’est l’inverse pour le déficit conjoncturel (cf. dernières lignes du tableau 1). Ainsi corrigé, le déficit structurel en 2021 (environ -5% du PIB) se situe, d’après les estimations du gouvernement, à un niveau comparable à celui atteint à l’issue de la crise de 2008-2009 (environ -6% en 2009, sachant qu’il s’est encore creusé en 2010 à 6,5%). Les efforts de redressement engagés ces dernières années permettent toutefois d’aborder la crise actuelle dans une position budgétaire plus favorable qu’en 2007 (déficit structurel estimé à 2,2% du PIB en 2019 contre 3,5% en 2007).
Bien que l’enjeu de ce budget 2021 ne réside pas dans la tenue ou non des objectifs de déficit, on retiendra qu’ils sont jugé « atteignables » par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) mais assortis d’aléas extrêmement importants dus à l’incertitude entourant les conditions sanitaires et les évolutions macroéconomiques. Les prévisions de PO sont considérées comme « cohérentes avec le scénario macroéconomique retenu » par le gouvernement et les prévisions de dépenses sont qualifiées de « vraisemblables ».
Pour finir, les derniers chiffres ayant retenu notre attention sont ceux des projections à long terme fournies par le RESF, en attendant la prochaine LPFP annoncée pour début 2021. Nous disposons ainsi d’une première indication de la trajectoire de rétablissement des finances publiques à l’horizon 2025. Si la réduction volontaire du déficit n’est pas un sujet pour 2020 ni pour 2021, elle ne saurait être reportée sine die. La question est celle du quand et du comment. Dans le RESF, la réduction du déficit structurel (re)commence en 2022 et se poursuit à l’horizon 2025 à hauteur de 0,5 point par an (le minimum requis par les règles budgétaires européennes). Il s’agit plus, à nos yeux, d’une hypothèse technique que d’une véritable prévision et d’un engagement gouvernemental. Mais cela permet de fixer les idées sur l’ampleur de l’effort à venir, d’autant plus que, d’après le gouvernement actuel, cet ajustement ne passera pas par des hausses d’impôts mais par un effort sur les dépenses. Associée au redressement du solde conjoncturel, cette réduction du déficit structurel permet de ramener le déficit nominal juste sous la barre des 3% du PIB en 2025.
Du côté du ratio de dette publique, entre l’avant et l’après-crise Covid-19, il n’y a pas de différence de trajectoire (stabilisation à peine amorcée avant, attendue après) mais il y a une énorme différence de niveau puisque le ratio de dette a grimpé de près de 20 points de PIB entre 2019 et 2020 (qui se décomposent en 10 points dus au creusement du déficit – effet numérateur – et 10 points dus à la chute du PIB – effet dénominateur). La hauteur de la marche est comparable à celle franchie en 2008-2009 (+18,5 points). Le niveau du ratio de dette atteint en 2020 est incontestablement élevé. Une prévision de baisse à l’horizon 2025 plutôt que sa seule stabilisation aurait envoyé un signal plus favorable mais au moins n’augmente-t-il pas. En outre, il n’y a pas d’inquiétudes particulières à avoir quant à sa soutenabilité (ni difficulté de financement ni de remboursement), notamment du fait de l’écart positif entre le taux de croissance nominal et le taux d’intérêt moyen sur le stock de dette (le premier étant soutenu par la capacité de résistance accrue de l’économie due aux réformes structurelles de ces dernières années et aux effets positifs à venir de France Relance et le second étant maintenu bas par le soutien monétaire de la BCE et le statut de valeur refuge de la dette française).
Budget de reprise : les mesures
Les enjeux du plan France Relance sont grands puisqu’ils visent non seulement à soutenir la croissance à court terme (avec en ligne de mire le retour du PIB à son niveau d’avant-crise en 2022) et aussi à la renforcer à long terme (« construire aujourd’hui la France de 2030 »). S’il est certain que ce plan aura un effet positif, l’ampleur et la rapidité de cet effet sont incertaines[6]. Nous présentons ici les estimations du gouvernement. Commençons par sa prévision de croissance pour 2021 (+8%), qualifiée de « volontariste » par le HCFP. Elle se situe en effet dans le haut de la fourchette des prévisions des autres organismes officiels alors que sa prévision de contraction du PIB en 2020 (-10%) se situe dans le bas de cette fourchette. Ceci explique peut-être cela (plus la chute est importante, plus le rebond l’est aussi). On peut aussi y voir un effet attendu du plan de relance plus important pour le gouvernement que pour les autres prévisionnistes, ce qui est compréhensible.
Dans la prévision de croissance du gouvernement, cet effet transite par le fort redressement attendu du taux de marge des sociétés non financières (de 29% en 2020 à 32,5% en 2021, un niveau élevé en perspective historique) et de leur taux d’investissement (de 23,6% en 2020 à 25,1% en 2021, un nouveau plus haut historique). Les prévisions d’emploi, jugées « plausibles » par le HCFP, portent également la trace du plan de relance : l’emploi total progresserait de 435 000 postes en glissement annuel en 2021, après une baisse de 920 000 en 2020[7]. Presque la moitié des pertes seraient rattrapées[8]. Du côté des ménages, le gouvernement se montre « prudent » : leur taux d’épargne ne reperdrait, en 2021, que 3 des 6 points gagnés en 2020. Il s’établirait à près de 18%, soit 3 points au-dessus de son niveau de 2019 qui correspond aussi à son niveau tendanciel.
S’agissant des estimations de l’impact sur la croissance du plan de relance, le résultat principal est qu’il soutiendrait l’activité à hauteur d’1,1 point en 2021 et d’1 point en 2022 (cf. graphique 4). Pour ce calcul, le gouvernement découpe en six axes le plan de relance, selon ses différents canaux macroéconomiques de transmission (cf. graphique 5). Selon ce découpage en nombre d’axes, les volets « demande » et « offre » du plan sont équilibrés. Sur la période 2020-2025, l’ensemble des mesures évaluées représente 5 points de PIB (3 points sur 2020-2022, près de la moitié des décaissements portant sur des mesures du volet demande[9] ; 2 points sur 2023-2025, dont 85% de mesures d’offre). Ces 5 points de PIB contribuent à rehausser l’activité de 4 points en cumulé : le multiplicateur budgétaire global est évalué à 0,8 (1 pour le volet demande et 0,5 pour le volet offre). Sur la période 2020-2022, le surcroît de croissance provient pour près de 75% du volet demande du plan. Les mesures d’offre prennent ensuite le relais comme facteur de soutien. Les effets positifs attendus sont importants, en permettant non seulement un retour du PIB à son niveau d’avant-crise en 2022 et aussi un retour, dès cette année-là, de la croissance potentielle sur son rythme antérieur (1,35%). L’écart de production, estimé à -9,4 points de PIB potentiel en 2020, se réduirait fortement en 2021 (-2,7 points) et serait quasiment refermé en 2023 (-0,1 point). La comparaison avec les dernières prévisions de croissance du FMI, également disponibles à l’horizon 2025, illustre également l’optimisme du gouvernement (et/ou le pessimisme du FMI). En 2025, le PIB français atteint 106 dans le scénario du gouvernement (base 100 en 2019) et 104 dans celui du FMI, sachant que le gouvernement se montre plus positif sur le début de période (2021-2022) mais qu’ensuite, sur 2023-2025, c’est au tour du FMI d’être plus optimiste.
Mais aussi importants que soient les effets attendus du plan de relance, aussi nécessaire et idoine que soit celui-ci, cela n’est pas suffisant pour retrouver le sentier de croissance d’avant-crise. Si l’on prend, par exemple, pour référence les prévisions du FMI d’octobre 2019, partant de 100 en 2019, le PIB français atteignait 109 en 2025, soit tout de même un écart de 3% avec le niveau post-crise du PIB dans le scénario du gouvernement. L’écart est de 2% si l’on compare les trajectoires de PIB potentiel d’avant et d’après-crise. Réduire cet écart, si ce n’est le combler, s’ajoute à la liste des défis à relever.
Le découpage du gouvernement montre également la part de communication politique et d’ambivalence d’un certain nombre de mesures, en particulier le chômage partiel et la rénovation énergétique, qui sont autant des mesures d’offre que de demande, du soutien aux entreprises qu’aux ménages, du court terme que de long terme. Ce découpage et les estimations d’impact sur la croissance permettent aussi au gouvernement de répondre à la critique faite d’un plan trop tourné vers l’offre et insuffisamment vers la demande à l’horizon de 2021-2022.
Mais, à peine l’encre du budget 2021 séchée, la donne était à nouveau bouleversée, courant septembre, avec la recrudescence de l’épidémie de Covid-19 et la nécessité d’un soutien supplémentaire à la croissance, plus immédiat. Ce soutien prend déjà forme : prolongation et extension d’un certain nombre des mesures d’urgence prises au printemps pour amortir le choc du confinement[10] ; soutien aux plus modestes via une aide exceptionnelle de EUR 150 (plus EUR 100 par enfant) à destination des allocataires du RSA et des APL, des jeunes de moins de 25 ans et des étudiants boursiers, versée fin novembre. Ces mesures devraient faire partie du quatrième projet de loi de finances rectificatif (PLFR 4) pour 2020, annoncé il y a quelques temps déjà pour la fin de l’année pour, précisément, affiner et renforcer le soutien à l’économie. D’autres mesures vont aussi venir compléter le plan de relance[11]. Des ajustements aux prévisions budgétaires analysées dans cette publication sont donc à prévoir.