L’économie américaine s’envole. Dopée par le recul de l’épidémie de Covid-19 autant que par des transferts budgétaires sans précédent, l’activité croîtra d’au moins 6% en 2021, pour dépasser son niveau de 2019. L’inflation accélérera, jusqu’à s’établir assez sensiblement au-dessus de la cible de 2% visée par la Réserve fédérale. Pour autant, la Banque centrale ne déviera pas de sa ligne accommodante. Sa priorité reste l’emploi, qui porte encore les stigmates de la crise et est loin d’avoir récupéré tout le terrain perdu avec celle-ci. Les conditions monétaires resteront donc favorables, pour l’économie comme pour les marchés, quitte à encourager quelques excès.
Alors qu’aux États-Unis le cap dramatique des 500?000 morts de la Covid-19 a été franchi, l’accélération de la campagne vaccinale (déjà 170 millions de doses administrées, près de la moitié de la population couverte) et le recul concomitant du taux des contaminations (pratiquement au plus bas depuis le début de l’épidémie) confortent jour après jour l’espoir d’en sortir. Dans une allocution télévisée, le président Biden a retenu la date symbolique du 4 juillet, jour de fête nationale, comme celle d’un possible retour à la normale.
Déjà, les indicateurs de mobilité fournis par le moteur de recherche Google s’améliorent ; avec le rebond de l’emploi (916 000 postes créés en mars), ils confirment que, après sa baisse de régime des derniers mois de 2020, le moteur de la consommation repart.
Celui-ci ne manquera pas de carburant. Adopté le 11 mars 2021 sous le nom d’American Rescue Plan Act, le gigantesque dispositif de relance de USD 1?900 milliards (9 points de PIB) voulu par l’Administration Biden cible largement les ménages, sous forme de chèques, compléments d’indemnités chômage, ou crédits d’impôts (cf. encadré). Dire quelle sera la véritable propension des Américains à consommer plutôt qu’épargner cette manne est toujours une gageure. Toutefois, l’impulsion est telle que le taux de croissance de l’économie ne peut être que revu à la hausse.
Croissance à plus de 6% et rebond de l’inflation
L’output gap, en l’occurrence le déficit de production qui resterait à combler pour que l’économie retrouve son potentiel, est évalué par le Congressional Budget Office (CBO) à USD 960 milliards. D’un montant deux fois supérieur et s’ajoutant aux USD 900 milliards de rallonge budgétaire votés en décembre 2020, l’American Rescue Plan aurait donc tôt fait de le résorber, fût-il assorti d’un multiplicateur faible. En retenant pour ce dernier un chiffre de 0,5 et en supposant que l’essentiel des 1900 milliards contenus dans l’enveloppe soit rapidement engagé, l’économie croîtrait d’au moins 6% en 2021. Elle ferait mieux que rattraper son retard, de sorte que, dès l’automne prochain, le moteur américain serait proche du plein régime.
Au rythme actuel des vaccinations (2 millions d’injections quotidiennes), il est raisonnable de penser qu’à cet horizon, les secteurs encore paralysés par la pandémie (hôtellerie, restauration, spectacles, etc.) fonctionneront normalement et auront pu réembaucher. Le retour au plein emploi serait rapide. Pour la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, il est envisageable dès 2022.
La remontée du cours des matières premières aidant (le pétrole s’est renchéri de quelque 150% depuis un an, les métaux de 60%), la mise sous tension de l’économie américaine ranime les anticipations d’inflation, notamment sur les marchés où le taux des swaps indexés à dix ans est remonté (il est actuellement proche de 2,5%).
Les prix à la consommation progressent, de facto, plus vite, ne serait-ce qu’en raison d’une facture énergétique et alimentaire qui s’alourdit. Ils témoignent aussi d’un effet de rattrapage. Avec moins de contaminations et des freins aux déplacements qui se relâchent, un certain nombre d’achats jusqu’ici différés reprennent. La demande des ménages pour les voyages et les biens durables (automobiles, équipements du foyer) est forte et participe au rebond des prix. À partir d’avril et dans les mois suivants, lorsque les chiffres se compareront à ceux, déprimés, du printemps 2020, l’inflation se situera nettement au-dessus de l’objectif de 2% fixé par la Réserve fédérale (Fed), la barre des 3% pouvant même être atteinte.
Le dépassement sera toutefois transitoire. Aux États-Unis comme ailleurs, les salaires et les prix restent contraints par des arbitrages mondiaux, peut-être plus encore depuis que la crise accélère la révolution digitale dans les services. Ils ne réagissent plus comme jadis aux tensions qui s’exercent sur les capacités, un phénomène connu sous le terme d’aplatissement de la courbe de Phillips[i]. Déjà remarquablement stable autour de 2% durant la phase historique de recul du chômage de 2010-2020, l’inflation a peu de raison d’accélérer dans la durée.
Risques d’excès
C’est l’analyse faite par le Comité de la politique monétaire qui, lors de sa réunion du 17 mars dernier, n’a pas dévié de sa ligne accommodante : maintien du taux objectif des fonds fédéraux au voisinage de zéro, poursuite au rythme de USD 120 milliards par mois des rachats nets de titres du Trésor (pour une part de USD 80 milliards) et d’Agences (pour une part de USD 40 milliards). L’expansion du bilan de la Fed, qui dépasse celle du déficit fédéral et atteint USD 3500 milliards ou 16,5 points de PIB depuis le début de la pandémie, va donc se poursuivre.
Utile pour contrer les chocs dépressifs mais aussi vecteur d’excès, une telle prodigalité monétaire n’est pas sans inconvénient dans la durée.
Les trillions de dollars créés en contrepartie des rachats de la Fed font l’objet d’un vaste recyclage, dans l’immobilier, les infrastructures, les crypto-monnaies, en Bourse, etc. Disponibles à faible coût, ils encouragent la prise de risque et le recours au levier, jusque sur des segments de marché où la liquidité n’est pas toujours bien assurée.
Facilité par la multiplication des plateformes de trading en ligne, le financement par la dette des investissements individuels en actions bat des records, en termes absolus comme en regard du PIB (graphique 3). Le risque d’instabilité financière augmente, ce qui s’est illustré récemment par l’incapacité de certains intervenants de marchés à faire face à leurs appels de marge et des ventes forcées d’actifs.
Déjà maintes fois souligné par le Fonds monétaire international, l’enjeu est aujourd’hui suffisamment important pour que la secrétaire américaine au Trésor s’en empare. Le 31 mars, Mme Yellen a indiqué réactiver la cellule « hedge funds » du Conseil de surveillance de la stabilité financière (FSOC), mise en sommeil par son prédécesseur Steven Mnuchin. Plus généralement, dans son dernier Rapport d’avril sur la stabilité financière, le FMI alerte sur un « monde d’après » bien plus endetté que celui d’avant, qui l’était déjà beaucoup…