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Les forces populistes peuvent-elles s’imposer en Suède ?

08/09/2022
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Berceau de la social-démocratie, la Suède fait face à une possible percée de l’extrême droite. Douze ans seulement après leur entrée au Parlement, avec seulement 5,7% des voix, les Démocrates de Suède (SD, extrême droite) menacent désormais les forces politiques traditionnelles.

Après une campagne marquée par les débats sur la criminalité en Suède, la coalition gouvernementale actuelle, centrée autour du Parti social-démocrate suédois, pourrait échouer le 11 septembre prochain à briguer un troisième mandat consécutif (après ceux de 2014 et 2018). Bien que, d’après les derniers sondages, le parti emmené par l’actuelle Première ministre Magdalena Andersson devrait arriver en tête des suffrages (les sociaux-démocrates sont crédités de 29% des voix), devant le parti d’extrême droite (20% pour les Démocrates de Suède), la coalition de gauche n’obtiendrait pas les 175 sièges nécessaires pour constituer une majorité au Parlement (Riksdag). Si un tel scénario se produit, l’Alliance de droite pourrait reprendre les rênes du pays en cas d’accord inédit avec l’extrême droite.

Historiquement, les débats des campagnes électorales en Suède sont animés par les enjeux liés à l’emploi, la santé, l’environnement ou encore l’éducation. Mais cette année toute l’attention s’est portée sur la criminalité qui frappe le pays.

Pour la première fois depuis leur création, les sondages de l’Université de Göteborg en 1979 montrent que les électeurs placent la criminalité en tête (41%) de leurs préoccupations. Cela s’explique par l’explosion du nombre de fusillades. En l’espace de quelques années, la Suède est devenue le deuxième pays européen, derrière la Croatie, à enregistrer le plus grand nombre de décès par arme à feu par habitant, selon un rapport du Conseil national suédois pour la prévention du crime.

Ces préoccupations peuvent être accentuées par le fait que, sur les autres fronts, notamment celui de la dynamique économique, la Suède s’en sort pour l’heure plutôt bien. La croissance suédoise résiste (+0,9% t/t au 2e trimestre 2022), le PIB évolue bien au-dessus de son niveau d’avant-crise (+5,1% par rapport au T4 2019), le taux de chômage continue de refluer (à 7% en juillet contre 8,5% un an auparavant) et le taux d’emploi atteint des plus hauts historiques (à 69,3% en juillet). Malgré une inflation qui reste un sujet essentiel (+8,5% sur un an en juillet), comme dans d’autres pays d’Europe, la Banque centrale (Riksbank) se montre clairement déterminée à la juguler à moyen terme, ce qui est probablement de nature à tempérer les inquiétudes de la population.

Les partis positionnés à droite de l’échiquier politique surfent sur le sentiment d’insécurité

Suède : solde budgétaire des administrations publiques

Les partis conservateurs[1] et le parti d’extrême droite (Démocrates de Suède) font clairement campagne sur un supposé lien entre la montée de la criminalité et l’immigration massive qu’a connues le pays entre 1985 et 2015. La part de la population d’origine non-occidentale est passée, sur cette période, de 2% à 15% de la population totale[2].

Par voie de conséquence, le parti d’extrême droite, entré pour la première fois au Parlement en 2010 avec 5,7 % des voix (Graphique 1), est en passe de devenir le second parti du pays puisque les sondages le créditent de 20% des voix devant le parti des Modérés accrédité de 18% des voix.

Les deux grands blocs centristes veulent protéger la population de l’inflation mais chacun à sa manière

Les conservateurs, pourtant associés traditionnellement à l’orthodoxie budgétaire, multiplient les promesses afin d’aider les ménages suédois à supporter la forte accélération des prix à la consommation (+8,5% en juillet 2022 sur un an). Les Modérés, qui constituent le principal parti d'opposition de centre-droit, proposent notamment de réduire significativement le barème de l’impôt sur le revenu. Ils avancent aussi des baisses sur le prix des carburants. Ces mesures seraient financées à terme par des réductions des prestations d'assurance-chômage et d'assurance-maladie.

Si du côté de l’opposition, le soutien aux ménages passe avant tout par un allégement de la fiscalité, les mesures d’aides proposées par le gouvernement de centre-gauche de la Première ministre Magdalena Andersson reposent davantage sur une hausse des dépenses. Le Parti social-démocrate a ainsi annoncé une enveloppe de SEK 90 mds (EUR 8,4 mds) de subventions, sous forme de chèques énergie pour faire face à la hausse des factures d'électricité.

La coalition de gauche est affaiblie, plombée par les sociaux-démocrates qui peinent à séduire

Projection des élections législatives

De l’autre côté du paysage politique, le Parti social-démocrate actuellement au pouvoir peine à rallier les forces de gauche à sa cause. En effet, dès son arrivée au ministère des Finances en 2014, Magdalena Andersson a mené une politique budgétaire restrictive qui ne faisait pas consensus au sein de la coalition gouvernementale. Ainsi, dès 2014 le déficit des administrations publiques suédoises a été totalement effacé alors qu’il s’élevait à plus de 1,5% du PIB en 2013 (Graphique 2).

Le gouvernement, emmené par Stefan Löfven, a poursuivi cette politique de consolidation budgétaire et a ainsi dégagé un excédent budgétaire sur les cinq années suivantes. Par ailleurs, les sociaux-démocrates sont accusés d’avoir laissé les inégalités se creuser et plus généralement de ne pas avoir été assez actifs sur le volet social. D’autant qu’en Suède, bien que le système de protection sociale reste très développé, il est considérablement moins généreux que par le passé. L’intervention de l’État s’est fortement réduite depuis 25 ans : les dépenses publiques, qui représentaient plus de 71% du PIB en 1993, ne pèsent désormais plus que 49% en 2019.

La coalition de gauche pourrait perdre sa majorité au Parlement

Projection des sièges au Riksdag

Si la probabilité que le Parti social-démocrate finisse en tête des élections est élevée (Graphique 3), l’incertitude est totale concernant la capacité de l’ensemble de la coalition de gauche à remporter les 175 sièges nécessaires pour constituer une majorité au Riksdag.

Perspective historique des suffrages obtenus par les différents partis

Certes, les derniers sondages montrent que le parti à la tête du gouvernement serait crédité de 29% des suffrages contre seulement 20% pour les Démocrates de Suède, mais l’ensemble de la coalition de gauche réunirait moins de 50% des voix. Cette coalition ne récolterait que 173 sièges (Graphique 4) d’après les dernières projections. En l’absence de majorité, les sociaux-démocrates échoueraient probablement à faire réélire Magdalena Andersson à la tête du futur gouvernement. Leur seule chance serait de parvenir à convaincre certains libéraux à se rallier à leur cause.

L’Alliance de droite pourrait reprendre les rênes du pouvoir, mais au prix d’un accord avec l’extrême droite

Si la coalition de gauche échoue à faire réélire Magdalena Andersson, le président du Parlement se tournera alors vers l’opposition pour qu’elle présente un(e) candidat(e).

À ce stade, c’est Ulf Kristersson (qui est à la tête du parti des Modérés) qui fait figure de leader au sein de l’opposition. Cependant, l’Alliance de droite ne bénéficiera vraisemblablement pas d’assez de sièges pour porter à elle seule Kristersson à la tête du gouvernement.

Seul un accord avec le parti d’extrême droite leur permettrait de reprendre le pouvoir. Jusque-là, l’Alliance de droite a toujours refusé de tendre la main au parti fondé le 6 février 1988 par des partisans de la mouvance néonazie, mais les frontières sont désormais poreuses. Plusieurs voix s’élèvent à droite se disant prêtes à gouverner avec l’extrême droite. Si les chrétiens-démocrates et les Modérés sont plus enclins à négocier avec les Démocrates de Suède, ce n’est pas le cas des Libéraux qui ont toujours considéré l’extrême droite comme « infréquentable ».

[1] Les Chrétiens-Démocrates, les Modérés, les Libéraux

[2] Fondapol « Les Suédois et l'immigration, fin de l'homogénéité ? », septembre 2018, rédigé par Tino Sanandaji, chercheur en histoire économique et commerciale à l'Institut de recherche de la Stockholm School of Economics.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE